Bastien avait sa main posée sur son épaule, quand le train qu’il attendait arriva en gare dans un bruit assourdissant. Alexandre fit semblant de n’être perturbé de rien : ni par le bruit, ni par la foule qui se jetait sur lui en sortant du train. Au fond de lui, il rêvait de faire comme Aïden qui avait porté une de ses mains à son oreille, mais ses doigts étaient tant cramponnés à la poignée de sa valise, qu’il lui semblait impossible de faire un mouvement.
« Ça va aller, Alex ? »
Il hocha la tête en silence. Il était grand désormais, il était adulte. Rien ne pouvait lui faire peur. Les portes du train étaient ouvertes dans le vide, attendant à ce que les passagers entrent. Il allait faire un pas, quand Aïden lui tendit quelque chose :
« Tiens, ça te motivera à passer ton permis moto.
– Mais… C’est pas ton casque ?
– Ça va, je m’en prendrais un autre. Pour quand tu reviendras. Allez, prends-le.
– Merci… »
Aïden n’était pas du genre à se perdre dans de longs discours. Il avait toujours préféré agir et montrer ce qu’il voulait exprimer. C’était sans doute ce qu’Alexandre préférait le plus chez lui. Alexandre prit le casque qu’il avait déjà beaucoup porté. Ces derniers mois, Aïden l’avait beaucoup fait voyager en moto pour le déstresser de ses examens. Il lui avait promis de ne pas abandonner, sur tout les plans. Avant de se retourner pour de bon, il prit Bastien dans ses bras, manquant de le cogner avec le casque. Avec beaucoup de tendresse, l’homme lui caressa la tête.
« Tu enverras un message à tes parents pour dire que tu es parti ?
– Oui, oui…
– Alex, s’il te plaît, c’est important.
– D’accord, promis, j’enverrai un message à mon père. »
Il entendit l’homme soupirer dans ses cheveux, ce qui lui décocha un sourire désolé. Ils avaient beau ne plus jouer de musique ensemble, les adultes étaient tous restés très unis, et Alexandre n’était pas un fils digne.
« J’y vais, murmura le jeune homme, avant de se détacher de Bastien.
– A bientôt, Alexandre, et bon courage !
– Oublie pas de nous tenir au courant, ajouta Aïden alors qu’il entrait dans le train. »
Il regarda les deux hommes côte-à-côte sur le quais, les saluant d’un signe de main, avant de lire à nouveau son billet. A son grand soulagement, le train n’était pas bondé. Il s’assit à son numéro de siège, saluant une dernière fois les deux hommes, avant de sortir son ordinateur portable et d’effectuer des vérifications de dernière minutes.
Il quitta son écran des yeux quand le train sorti de la gare. Les montagnes, vertes et lointaines, lui offraient une dernière salutation avant son départ. Il appuya sa tête contre la vitre, ne pouvant s’empêcher de les contempler. Un changement radical s’annonçait dans sa vie, quittant tout ce qu’il avait pu connaître, et pourtant il ne ressentait au fond de lui aucune agitation. Bercé par le roulis du train qui se lançait dans son allure de croisière, il regardait son enfance s’éloigner comme s’il avait été prévu depuis longtemps que tout allait se passer de cette manière.
Il ferma son ordinateur. Les ultimes vérifications viendraient plus tard. Il posa sa main sur la vitre, comme s’il pouvait toucher les arbres. Il pensait à son père, à qui il devait envoyer un message pour Bastien. Mais en y pensant, il n’avait aucune idée de ce qu’il pouvait lui écrire. Il hésitait à plutôt envoyer un message quand il serait là-bas, installé.
Alexandre avait passé les huit derniers mois chez Bastien et Aïden. Il avait repris le lycée, la danse, après les fêtes de fin d’années. Et très vite, il avait fait en sorte d’occulter ce qui l’avait profondément blessé. Il avait reparlé à William et Charlie, bien sûr. Mais ils ne s’étaient vu que par intermittence, quand Bastien l’avait tiré de temps en temps à des fêtes et des concerts. Ils s’étaient échangés des banalités avec l’air triste. Alexandre avait écouté, observé Charlie. Désormais, quand il écoutait ses histoires, il ne ressentait qu’un grand vide. Plus d’admiration, plus de mur et d’estrade entre elle et lui. Sans que son talent lui paraisse facile, il n’avait plus l’impression qu’il avait la même saveur qu’autrefois. Le jeune homme avait changé, et le parent était resté le même. Ses boucles étaient devenues lassantes, habituelles. Et même son genre, ses tenues et son maquillage, devenait tristement banal. Il n’y avait rien de spécial en Charlie, qui n’était qu’un humain comme un autre.
Pour combler ce vide qu’il ressentait à la poitrine suite à ce constat, il se plongea dans le travail. Ce qui comptait désormais était l’après. Le post bac, les concours, les grandes écoles. Dans un éclair de folie, il s’inscrivit dans l’école de danse la plus prestigieuse de la capitale. Aïden prit un jour de congé pour l’accompagner jusqu’au lieu du concours, à plusieurs heures de train. L’homme avait été habitué depuis toujours à être un public hors pair : sa présence fut un vrai réconfort pour le jeune homme, qui ne croyait toujours pas en ses chances. Pourtant, il fut tout aussi choqué que lui, quand le nom d’Alexandre sorti des rares choisi. Après quelques bouteilles de champagne, fêté avec ses parents, les adultes s’unirent pour trouver un appartement pour lui. Si William, Bastien et Aïden étaient véritablement touchés et enthousiasme, Charlie se tenait quelque peu à l’écart. Il observait son fils, comme s’il était un étranger.
« Je croyais que tu n’aimais pas les foules…
– C’est pas le plus important, balaya le jeune homme d’un revers de la main. Et j’ai bien aimé Dublin, c’est bien la preuve que je peux m’y habituer.
– Je ne pensais pas que tu en serai capable. »
Alexandre avait fixé son parent avec des yeux ronds. La phrase avait été dite sans une once de méchanceté. Il avait murmuré ça, presque pour lui-même, comme un regret. Mais aux yeux de son enfant, Charlie ne fit que se briser un peu plus. Lui qui avait toujours été là, qui l’avait toujours soutenu, qui devait y croire, plus que n’importe qui, avait douté. Il s’éloigna de lui davantage, alors que William l’appelait pour donner son avis sur une annonce.
Son père allait lui donner un peu d’argent. Mais il l’avait prévenu qu’il aurait sûrement besoin de trouver du travail ou une source de revenu, même alimentaire. Alexandre ne s’en inquiétait pas plus que ça. Tout avait été si compliqué depuis si longtemps, qu’il se disait avec espoir que pour le début d’une nouvelle ère, il pourrait peut-être, enfin, avoir quelque chose de simple. Après quelques heures de somnolence, il envoya un message à son père, lui signifiant qu’il était bien parti et qu’il le préviendrait une fois qu’il aurait rejoint son appartement. Il n’eut même pas à attendre avant de voir son téléphone, posée sur la tablette du train, s’allumer de blanc.
« Super ! Je suis très content pour moi. Tu pourras m’envoyer des photos de ton appartement quand tu seras arrivé ? J’espère que tout ira bien, et à bientôt ! »
Il ne put s’empêcher de sourire en lisant les quelques mots. Ses parents n’avaient pu le voir partir, mais son père était venu chez Bastien la veille au soir exprès pour vérifier les affaires et les valises, comptant la vaisselle et vérifiant l’emballage des verres.
« Plus tu en apportes venant d’ici, moins tu auras à payer une fois là-bas ! Fais attention, la vie à la capitale, c’est cher.
– Qu’est-ce que tu en sais, papa ? Avait répliqué Alexandre avec un sourire moqueur. Tu n’y as jamais mis les pieds.
– Tu sais, les capitales, quand on en a fait une, on connaît le fonctionnement de toutes, répondit William, peut-être un peu vexé. »
Le voyage en train fut calme. Alexandre eut le temps de voir tout ce qu’il avait prévu. Une fois que les montagnes avaient disparu de l’horizon, il avait rouvert son ordinateur. Son casque sur les oreilles, il revoyait en vidéos quelques ballets célèbres, relisait quelques théories et positions. Après des années d’apprentissage auprès d’un professionnel de la step dance, et trois années d’apprentissage dans un établissement très général sur les pratiques corporelles, il avait enfin choisi sa spécialisation dans la danse classique. Il ne ferma l’ordinateur à nouveau que quand il entendit son arrêt. Il garda son vieux casque sur les oreilles pour poser un pied dans la gare, qu’il traversa sans regarder autour de lui. Le bâtiment était ancien et magnifique, mais le jeune homme était trop occupé à couper la foule. Oubliant les sons autour de lui, il traversait un amas noir de monde, incapable d’y penser. Il ne ressentait pas de peur, ni de gêne. Il quitta la gare sans se retourner, empruntant la rue qu’il avait observée mainte et mainte fois sur son plan.
Il marchait comme s’il était sûr d’où il allait. Pour la première fois, il s’enfonça dans les entrailles d’un métro avec son casque de moto et ses valises, compostant un billet avec un peu de doute. Le wagon dans lequel il sauta n’avait plus aucune place assise, si bien qu’il s’installa comme il put autour d’une barre qu’il n’avait pas envie de toucher. Il était presque surpris de constater que la foule immobile qu’il avait sous les yeux ne lui faisait pas plus peur. Après quelques instants de réflexion, il haussa les épaules dans le vide. Après tout, il en faisait aussi partie, désormais.
Il n’eut pas besoin de chercher longtemps sa résidence, car le propriétaire l’attendait devant. C’était un bâtiment en béton sale, tout en hauteur. Ils se saluèrent avant d’entrer dans l’ascenseur. Son nouvel appartement était au quatrième étage et durant tout le trajet jusqu’à la porte, le propriétaire lui rappelait toutes les modalités du contrat, des garants et de l’état des lieux, dont Alexandre ne se souciait qu’assez peu.
L’appartement était un studio minuscule, meublé mais en très mauvais état. D’un blanc-gris usé, il y avait a peine la possibilité de se déplacer entre la cuisine, le bureau et le lit simple. L’armoire pour ranger les vêtements n’était qu’un bête trou dans le mur, qui pouvait se boucher avec une porte en plastique coulissante. La seule autre pièce était si minuscule qu’elle aurait pu être comparé à un placard. Elle contenait un évier, une douche et des toilettes, le simple nécessaire. Pour le peu de temps que durait cet état des lieux, le propriétaire ne pouvait s’empêcher de répéter la chance qu’avait Alexandre de trouver un appartement aussi bien situé et déjà meubler. Sans un mot, en observant le plafond griffé par l’humidité, le jeune homme se demandait si un jour, ses parents avaient connu une telle habitation.
Très vite, le propriétaire sorti en confiant son locataire les clés. Il semblait très heureux de son affaire, bien plus que l’était Alexandre, récupérant le trousseau avec un peu d’hésitation. Et ce fut ainsi, au milieu de l’après midi, alors que le soleil caché derrière les immeubles se reflétaient dans la vitre sale de son logement, qu’il se retrouva seul. Il s’assit alors à terre, appuyant son dos contre le lit. En tendant les jambes, son pied rencontra le pied du bureau. Il resta immobile, ainsi, à regarder le plafond. En ne voyant pas ce qui était au sol, il avait l’impression que son logement devenait moins petit. Après plusieurs minutes à ne rien faire, désœuvré, il prit son son téléphone afin de prendre en photo ce qu’il voyait, comme il l’avait promis. Mais n’ayant pas envie de lire l’avis de son père sur le sujet, il posa le téléphone loin de lui, avant d’ouvrir ses valises pour trouver à chaque chose sa nouvelle place, méthodiquement.
Le soir tombait quand son téléphone vibra. Alexandre avait quasiment fini son rangement et était presque fier de lui. Mais tout sentiment le quitta quand il vit le terme affiché sur son écran. Il avait même oublié que c’était lui qui l’avait enregistré de cette manière, tant les appels étaient rare. Ce vieux terme, qu’il n’avait plus utilisé depuis longtemps, et qui pourtant était toujours là. Pama.
« Ouais, qu’est-ce qu’il y a ?
– Bonsoir, mon grand. Tout se passe bien ?
– Bah écoute, je viens de finir d’aménager mon appartement, souffla Alexandre avec nonchalance. Donc ça va.
– J’ai vu les photos que tu avais envoyé à Will. C’est un peu petit, non ?
– On fait avec ce qu’on peut… »
Il entendit Charlie soupirer dans le creux de son oreille. Il s’attendait à ce qu’il continue la conversation avec tout le naturel et le savoir-faire dont il faisait preuve. Mais non. Un silence gênant s’installa, alors qu’Alexandre regardait tout autour de lui sans rien voir. Profitant d’un peu de calme, il n’avait encore allumé aucune lumière, se contentant de la lumière de la ville s’incrustant dans ses murs. Un long moment passa, tant et si bien qu’Alexandre demanda avec suspicion :
« Tu veux me dire quelque chose ? »
Mais à sa grande surprise, il fallu encore un long temps de silence, avant que Charlie daigne lui répondre.
« Plusieurs, en fait… Je réfléchis par quoi j’aimerai, ou je dois commencer.
– C’est toi qui voit, répondit Alexandre d’une voix neutre. Après tout, c’est toi le pro.
– Je ne suis pas un ‘‘pro’’ là-dedans, moi. Mon boulot, c’est de raconter, pas de parler.
– Tu plaisantes ? Ça revient au même.
– Pas tout à fait.
– Alors quoi ? Qu’est-ce que je fais, j’attends ?
– Exactement. Je sais que je te l’ai beaucoup demandé, mais, j’aimerais que tu prennes le temps de m’écouter.
– Bien, je suis tout ouï. »
Il ne pouvait pas empêcher sa voix de prendre un ton ironique. Mais Charlie ne le relevait pas. De son côté, il était assis au bord de la baie vitrée de la salle de danse, regardant la lune. A lui aussi, les pensées se bousculaient dans sa tête.
« Je te demande pardon, Alexandre. Ces derniers mois… non, même, cette dernière année, et peut-être même avant, je ne me suis pas bien comporté avec toi et… Je le regrette. Je sais que c’est beaucoup te demander, mais, même si tu me le refuse, je veux que tu le saches. Je suis profondément désolé, pour tout ce qui s’est passé.
– Je sais. C’est ça que tu voulais me dire ? »
Lui qui avait l’impression d’être blindé depuis le début de son départ, désormais, tournait en rond sur le peu d’espace qu’il possédait. Quelque chose en lui se réactivait, et l’agressivité passive était le seul moyen pour lui de s’en protéger.
« Ce n’est pas la seule chose, répondit la voix de Charlie qui ne se laissait pas perturber, mais je pense qu’il était important que je commence par celle-ci. Même si tu le savais, je pense qu’il était important que j’y mette mes mots, dessus.
– Et je suis censé faire quoi, avec ça, moi ? Te dire si je te pardonne ou pas ?
– Non, ça, c’est entre toi et toi… Tu peux me le dire si tu le souhaites, mais je n’y tiens pas spécialement. Si quelqu’un t’offre un cadeau, tu n’es pas dans l’obligation de lui dire ce que tu en penses, c’est la même chose pour ceci. Est-ce que, tu m’autorise à dire d’autres choses ?
– Tout ce que tu veux, grinça Alexandre, je suis là pour ça. »
De tout ce qu’il entendait du calme de Charlie, il semblait rester calme et imperturbable malgré la méchanceté dont il faisait preuve. Et ça l’énervait encore qu’il ait attendu le jour où il parte si loin pour enfin lui parler sérieusement. Même s’il ne pouvait pas supporter de l’entendre, il aurait préféré qu’il soit en face de lui.
« Tu n’as jamais été une erreur, ni un accident. Nous t’avons conçu parce qu’on le désirait tout les deux, et à ta naissance, je ne voulais que toi. Je m’en veux énormément que tu en es venu à le douter, et je n’ai malheureusement aucune preuve à te donner. Mais je t’assure que c’est la vérité. On t’aime depuis très, très longtemps, Alex. »
Son fils ne lui répondit pas. Il étouffait sa respiration au plus possible. Il n’avait pas envie qu’elle l’entende.
« Si je n’ai pas voulu retenter l’expérience… Ce n’est pas de ta faute. Je ne regrette rien de ce que j’ai vécu avec toi. J’ai apprécié chaque moment que j’ai partagé avec toi. Te voir grandir, c’est de très loin ma plus grande fierté. Quand je t’ai mis au monde, je revenais de si loin, j’étais persuadé que j’en serai incapable. Et pourtant, tu m’as admiré au-delà du possible. A tel point que je n’ai jamais été capable de te révéler à quel point j’étais quelqu’un de vulnérable. Je pensais bien faire, te protéger en t’éloignant de mes faiblesses et mes démons. Et d’un certain côté, je pense qu’effectivement, j’ai bien fait de ne pas tout te confier. Mais je reconnais m’y être mal pris. J’aurais du mieux mesurer mes actes, parler de ce qui se passait, en essayant de me débarrasser de mes états d’âme. Je pense que ça aurait été la meilleure solution, peut-être que toi aussi, tu te dit ça…. Seulement, je ne sais pas si j’en aurais été capable. J’y ai réfléchi, j’ai retourné le problème dans tous les sens… Mais c’est un fait. Je n’étais pas bien. »
Charlie soupira, baissant la tête. Très loin de lui, il entendait la respiration légèrement tremblante de son fils se mélanger au son du téléphone. Il reprit alors :
« Je refusais d’y croire, au début. Cette grossesse n’est pas venue d’un oubli, contrairement à ce que tu pensais. C’est juste que… Rien n’est jamais sûr. Et quand ça s’est avéré vrai, je sentais que je n’avais pas le choix. Je ne… pouvais pas. Pas par peur de revivre ce que j’ai vécu avec toi. Simplement par épuisement personnel, de lutter contre le courant, lutter contre le doute, la peur de mal faire, les jugements, les établissements scolaires… Ce n’était pas l’enfant qui me posait problème. C’était moi, épuisé de vivre dans ce monde qui me fait tant souffrir. Quand j’étais plus jeune, quand je t’ai eu… Oui, j’avais une certaine résistance, que je n’ai plus désormais. J’ai vieilli, Alexandre, tu sais ?
« Alors oui, j’ai fait ce choix. Et même si tu dois trouver ça honteux de ma part, j’en ai affreusement souffert. La culpabilité me rongeait. Je n’arrivais plus à me regarder en face. Puis, j’ai pris ce qu’on m’a donné. Par manque de chance, j’ai eu tous les effets secondaires, même les plus rares. Mon corps est… Compliqué. Disons qu’il y a… Des conséquences à s’être drogué quand on était jeune. »
La main de Charlie s’agrippa au sol en bois de la salle de danse. Il ferma les yeux, essayant de ne pas voir ce qu’il exprimait.
« Je ne sais pas si je fais bien de te dire tout ça, mais… J’ai passé trop de temps à t’éviter. Et je sais que ça t’a profondément déçu. Et le pire, avec tout ça, c’est qu’une fois j’avais commencé à faire l’autruche, c’était impossible de sortir à nouveau la tête du sable. Le bon moment n’existait plus, tout ne pouvait qu’être pire. C’est pour ça que je te dis ça maintenant. A force de chercher le moment parfait, on ne fait plus rien. »
Alexandre regardait l’évier de sa cuisine d’un regard vitreux. Plus rien dans sa tête, désormais, n’avait de sens. Il ne se sentait plus capable de lui répondre. Il espérait qu’elle en dise plus, mais entendant que Charlie se taisait, il murmura :
« C’est tout ce que tu avais à dire ?
– Désolé, je vais conclure. Je suis désolé de ne pas avoir été à la hauteur. De ne pas avoir été cette personne dont tu avais besoin quand les choses ont dérapé. J’aurais aimé être plus fiable, plus solide que ça. Mais je n’ai pas pu faire autrement, malgré toute la volonté du monde et tout l’amour que j’ai pour toi. Je crois ne pas te l’avoir bien dit, mais je suis très fier de toi. Et j’espère que ta rentrée va bien se passer. Et même si je n’ai pas pu beaucoup te le prouver, j’aimerais que tu puisses venir me voir, si jamais quoi que ce soit ne va pas. Que si tu as envie de me parler, je peux tout entendre. Que si je ne peux pas aussi solide que j’aimerai l’être, je ferai toujours en sorte de l’être au plus pour encaisser avec toi tes problèmes, te soutenir autant que je peux. Je t’aime, Alexandre, quoi qu’il se passe, et même si tu décides de me détester, je ne pourrai jamais changer ça. Je t’aime profondément, avec toute ma faiblesse, peut-être, mais… de la manière la plus honnête que je puisse. »
Il espéra peut-être que son fils lui réponde. Mais elle-même n’avait aucune idée de ce qu’elle espérait l’entendre dire. Charlie était persuadé désormais qu’il avait mal fait, ou qu’il en avait trop dit. Il ne savait plus ou se situait le bien du mal dans ses actions. Ne sachant plus quoi dire, et sentant ses larmes monter, il murmura :
« Je vais raccrocher, mon grand. Je te souhaite une bonne nuit.
– C’est ça. Bonne nuit, pama. »
Et ce simple mot, teinté d’innocence, suffit à ce que Charlie s’effondre sur lui-même lorsque le téléphone raccrocha. Dans le même temps, à des kilomètres de là, son fils sorti en claquant la porte de son appartement pour la fraîcheur de la ville de nuit, trouver de quoi survivre.