Le grand portail électrique s'ouvrit devant sa cylindrée et il s'engouffra dans l'allée bétonnée bordée de part et d'autre par une haie de buis. Cela faisait des mois que Mathias n'était pas revenu au domicile de ses parents et pour cause. Les relations avec eux s'étaient dégradées, sa famille n’ayant jamais approuvé son choix de devenir enquêteur. Il ne revenait que de temps en temps pour sa jeune sœur, Mel.
La demeure était parfaitement entretenue par des employés de maison. De grandes feuilles de lierre recouvraient toute la façade visible de l'allée à l'exception des fenêtres du rez-de-chaussée qui donnaient sur le salon. Avec appréhension, il s'approcha d'abord des fenêtres pour y jeter un œil, personne. Il emprunta alors le petit chemin de gravillon qui permettait de rejoindre la terrasse. Il y trouva sa petite sœur, allongée sur une chaise longue. Sa mère quant à elle, barbotait dans la piscine qu'ils venaient de faire construire. Il embrassa brièvement Mel et se dirigea silencieusement vers sa mère avec la ferme intention d'avoir des réponses et si possible rapidement. Elle, ayant pourtant remarqué sa présence, agit comme si de rien n'était.
— Maïwenn Deniel, lança le jeune homme en s’accroupissant au bord de la piscine.
— Je suis censée connaître ?
Tout en posant cette question, Roselyne sortit de l’eau et s’enroula dans une serviette.
— Jamais entendu ce nom avant, reprit-elle.
— C’est la fille que tu as voulu impressionner sur la plage. Ne me dis pas que tu as déjà oublié.
— Je ne vois pas de quoi tu parles, enquêteur.
— Ne joue pas à ça avec moi. Tu sais que nous n’avons pas le droit de torturer quelqu’un. J’enquête sur la mort de Victor, c’est grave et si tu obstrues mon travail, il y aura des conséquences.
— De quoi m’accuses-tu exactement ? D’avoir quelque chose à voir avec la mort de Victor, c’est cela ? Pourtant, c’est bien Pierre qui a été arrêté et qui s’est enfui, lança sa mère pleine de défi. C’est cette Maïwenn qui m’accuse ? Je sais de source sûre que son père vient de se faire arrêter lui aussi et qu’il est en ce moment interrogé par la police.
Mathias ne put cacher sa surprise et Roselyne se mit alors à rire.
— Tu n’en savais rien ? Ta protégée aurait-elle des choses à se reprocher elle aussi ?
— Je vais découvrir la vérité et si tu es mêlée de près ou de loin à tout cela, je ne pourrai rien pour toi.
— Ne t’inquiète pas pour moi. Je suis de toute évidence beaucoup mieux renseignée que toi et il ne fait aucun doute que Pierre a fait supprimer son frère pour prendre sa place. Place que Richard mérite davantage.
— De quoi parlez-vous ?
Mel avait mis entre parenthèses sa séance de bronzage, alertée par les éclats de voix.
— Ton frère s'énerve pour rien, comme d’habitude. Il allait partir d'ailleurs, lui répondit sa mère.
— Effectivement, j'ai une enquête qui m'attend.
— Je ne comprends rien à votre discussion, avoua la jeune fille.
Mathias quitta donc les lieux et se rendit en fin d’après-midi chez Maïwenn pour lui demander des explications sur l’arrestation de son père. À son arrivée, la jeune fille était encore un peu chamboulée de son expérience avec le Visio-nerf, mais il ne lui laissa pas le temps de lui refuser d’entrer. D’emblée, il s'installa sur le canapé du salon. Maïwenn, offusquée par cette attitude, ne chercha même pas à cacher son ennui de le voir là.
— J’ai vu ma mère, commença Mathias. C’est une personne très impliquée chez les Guides. Plus jeune, elle travaillait pour Pierre, mais du jour au lendemain, elle a tout quitté et s’est investie corps et âme dans la cause de Richard.
Maïwenn fut plutôt surprise de cette confidence, car jusqu’à présent, le jeune homme était resté vague et distant.
— Ma famille n’a jamais accepté que je devienne enquêteur. Ils avaient tous d’autres projets pour moi.
La jeune femme ne comprenait pas où il voulait en venir avec cette histoire et en devint presque méfiante. Mathias, quant à lui, comptait sur ces confessions pour faire vibrer sa corde sensible et obtenir des réponses sur son père. Il ouvrit les portes de la petite commode près de la télévision et en sortit une bouteille.
— Je vois que tu avais bien repéré les lieux. Fais comme chez toi, je t’en prie, dit la brunette.
— Ah… La famille, reprit-il, pas facile tous les jours.
— Ne m’en parle pas.
— Ben si justement, parle m’en, demanda le Guide en lui tendant un verre.
— Je ne bois pas d’alcool avec mes médicaments, je vais me chercher un soda.
Maïwenn s’éclipsa de la pièce laissant Mathias réfléchir à un autre moyen de la faire parler, lui qui avait misé sur l’alcool pour délier sa langue.
— Pourquoi tu prends ces médicaments ? interrogea le jeune homme.
— Je t’en parle depuis le début et maintenant, ça t’intéresse ?
— Oui.
Mathias ne rajouta rien de plus et un silence s’installa avant que Maïwenn ne se décide à lui répondre :
— Disons que j’ai vu un homme se faire tuer et que ça m’a bien chamboulée et puis tous ces cauchemars.
— Tu sais qu’il y a une explication pour tes cauchemars. Ils sont dus à de mauvais Guides. Tu n’es pas folle. Tu peux les arrêter maintenant.
— Mon psy ne serait pas de cet avis.
— Ton psy ne connaît pas l’existence des Guides, insista Mathias.
En réalité, il avait peur que la prise de ces médicaments ne décrédibilise son témoignage auprès du Chef désigné.
— Parle-moi plutôt des Varlarc’h, tu n’as rien voulu me dire l’autre jour, dévia la jeune femme en lui resservant un verre.
— Pour faire court, les chefs de chaque branche forment ce qu'on appelle le grand cercle qui lui, est dirigé par le chef désigné. Pour être protégé et protéger le secret de notre existence, chaque chef à des Varlarc’h sous ces ordres.
— Des gardes du corps en somme ?
— On peut dire ça, mais j’utiliserais davantage le terme de soldats. L'apprentissage est un supplice qui dure des années au terme duquel ils doivent prêter serment. Les meilleurs sont affectés à la protection du chef désigné et sont reconnaissables à leur dague d’or. Les autres vont dans chaque branche et ont une dague d’argent. La grande différence est que la seconde catégorie de Varlarc’h accepte des recrues qui ne sont pas Guide et ils peuvent avoir un autre métier afin de mieux se fondre dans la société.
— De quelle manière protègent-ils votre secret, je veux dire… Ils peuvent tuer ?
— Plus de nos jours. La plupart du temps, ils discréditent ceux qui sont une menace, les calomnient.
— Charmant. Comment sais-tu tout cela ?
— Mes parents m’ont forcé à suivre l’entraînement. C'était horrible, j'en garde des séquelles, aussi bien physiques que psychologiques.
— Donc, tu as prêté serment ?
— Non, j'ai refusé de le faire et j'ai donc jeté la honte sur toute ma famille. Depuis, je suis en conflit permanent avec eux. Le chef désigné m’a alors proposé de devenir enquêteur, car il trouvait que j’avais du potentiel.
— Un loup solitaire en fait, s’amusa la jeune femme en le resservant encore.
Mathias réalisa soudain qu’il s’était laissé aller à parler alors qu’elle, par contre, n’avait encore rien dit. Elle venait d’appliquer le plan qu’il lui avait réservé.
— Tu es une maligne toi !
— Je ne vois pas ce que tu veux dire, feignit Maïwenn.
— À ton tour, parle-moi de ta famille, insista Mathias.
— Et bien, ma mère pense probablement que je suis folle. A-t-elle vraiment tort ? Et mon père est en garde à vue actuellement dans l’affaire de Pierre. Super non ?
Nous y voilà enfin, se dit Mathias.
— Ton père ? Quel est le lien ?
Maïwenn esquissa un sourire :
— Figure toi que Pierre est le géniteur de mon père.
Le jeune homme se leva du canapé pour reprendre un verre et resta adossé au comptoir en lui tournant le dos.
— Putain, mais est-ce que tu te rends compte ? lâcha-t-il.
— De ?
— Pierre n’a jamais eu d’enfant avec sa femme. Cela fait de ton père et donc de toi, de nouveaux héritiers. Vous êtes vraiment en danger. Pourquoi l’ont-ils convoqué ?
— Apparemment, Pierre et lui se seraient vus il y a quelques semaines. Cet inspecteur Guengat était au courant pour leur parenté. C’est étrange, car personne n’a jamais rien dit de mon côté.
— Inspecteur Guengat tu dis ? Je vais me renseigner.
— Oui je veux bien car honnêtement pour un enquêteur c’est moi qui te donne des infos, s’exclama Maïwenn.
Mathias parut vexé, mais ne rétorqua pas.
— En parlant d’info, reprit la jeune femme.
Maïwenn venait de repenser à la bague qu'elle avait mise dans son peignoir. Elle se précipita dans la salle de bains et en revint un sourire aux lèvres.
— Regarde, c’est cela que Victor m’a remis pour toi, dit-elle en présentant la chevalière.
— Elle est à Pierre. Comment est-elle arrivée dans les mains de Victor…
Maïwenn la lui donna et Mathias l’observa avec attention.
— Tu vois ici Maïwenn, elle est légèrement bombée.
La jeune fille se rapprocha pour mieux voir.
— Et la petite encoche ici...
Il souleva d'un coup sec le haut de la chevalière qui s'ouvrit, laissant apparaître une petite clé. Ils se regardèrent d'un air surpris, mais surtout satisfait.
— Comment savais-tu qu'elle s'ouvrait ?
— C'est un bijou dont Pierre a hérité de son père, j’en ai déjà entendu parler.
Il sortit la clé de sa cachette et la porta à la lumière de la lampe près de lui pour la regarder plus distinctement. Cette dernière était petite et avait une forme on ne peut plus banale, seul un petit logo suivit de quelques chiffres étaient gravés sur l'un des côtés.
— Ah quoi cela peut-il bien correspondre ? dit-il, tout en l'examinant scrupuleusement.
— Aucune idée, mais ça doit être suffisamment important pour qu'il la confie à Victor et qu’il veuille ensuite que tu l’aies. Est-ce que cela n'aurait pas un rapport avec sa fuite ? Des documents compromettants ? Et dans ce cas, cela pourrait être la clé d'un coffre.
— Bien vu.
Il passa la chevalière à son doigt et se leva d'un coup du canapé, saisissant au passage sa veste.
— Qu'est-ce que tu fais ? Tu t'en vas ?
— Oui. Je vais chez Pierre. Je veux savoir s'il n'a pas laissé d'indices.
— Attends-moi, je vais chercher mon manteau.
— Non, j'aime autant que tu restes là, ça peut être dangereux, dit-il d'un ton mêlé d'autorité et de machisme.
— Tu rigoles ou quoi ? Je suis dedans jusqu'au cou maintenant, je veux aider mon père. N'espère pas que je reste là sans rien faire. Je viens et puis c'est tout.
Malgré quelques protestations de plus, Mathias n'eut pas d'autre choix que de la faire monter à l'arrière de sa moto. Il détestait qu'on lui force la main, mais il devait bien admettre que la détermination de la jeune femme le surprenait.