La douleur ne l'avait jamais vraiment quitté, et il le savait : ce serait toujours là, quelque part. Chris James, shérif du comté de San Bernardino, ne pouvait s'empêcher de penser à Sophia Turner, à sa place laissée vide, à ce bureau figé comme un sanctuaire. Les crayons éparpillés, une tasse de café vide et, sur le dossier de la chaise, une écharpe oubliée, symbole muet de sa disparition.
Il inspira profondément en observant ses hommes, réunis dans la salle de briefing. Les visages étaient tirés, marqués par les heures de travail sans fin liées à l'affaire sur laquelle ils travaillaient. Cette enquête avait été leur refuge à tous après la mort de Sophia. Tous l'avait profondément aimé. C'était une femme déterminée au caractère trempé qui avait dédié sa vie au service de la justice. Elle en avait payé le prix et avait laissé derrière elle des larmes amers. Chacun avait repris le travail depuis, essayant de faire honneur à sa détermination et cette affaire symbolisait beaucoup pour eux. Chris le savait, elle les unissait plus que jamais. « Bon, je sais que c'est dur pour tout le monde, croyez-moi », commença-t-il. « Sophia était bien plus qu'une collègue, c'était une amie pour chacun d'entre nous. Mais on est là aujourd'hui, ensemble, parce qu'elle aurait voulu qu'on continue à avancer et à faire notre job. Et... C'est ce qu'on va faire. C'est un gros coup, on peut pas se permettre la moindre erreur. On doit rester concentré sur notre objectif et coincer ces types ce soir. On aura pas d'autres chances. » Son regard se perdit un instant sur le bureau vide, avant de se tourner à nouveau vers chaque membre de son équipe. Il ajouta, « Il faut aussi que vous sachiez que nous auront bientôt un nouvel agent pour occuper le poste laissé vacant pas Sophia. » Il avala péniblement sa salive, le regard perdu avant de se reprendre. « Je sais que ce que certains parmi vous penseront: c'est trop tôt et, je peux le comprendre. Je ne vous juge pas pour ce que vous ressentez mais, cette personne n'a rien à voir avec notre douleur. Je veux qu'on l'accueille chaleureusement. Ça sera difficile au début, mais c'est ce qu'on doit faire, c'est ce qu'aurait voulu Sophia, j'en suis certain. Et maintenant au travail! On a du pain sur la planche. »
Un silence suivit, lourd et épais, mais il fut bientôt brisé par Luis, un homme un peu maigrichon mais aux traits doux qui murmura, hésitant : « Elle... elle vient d'où, cette personne ? »
Chris, un peu pris de court, souffla lentement. Il savait que c'était un sujet délicat. Mais son équipe comptait sur sa sincérité, alors il choisit de ne rien cacher : « Du FBI », lâcha-t-il en croisant les regards.
Un murmure parcourut la salle, et Neal, un autre agent, fronça les sourcils, visiblement mécontent. « Attendez... donc, on récupère quelqu'un du FBI qui débarque là, dans notre comté, sûrement parce qu'elle s'est faite virer de son poste. On passe pas du FBI à un poste comme celui-ci sans raison. Elle doit sûrement avoir des casseroles au cul cette nana. Sophia aurait détesté cette situation. »
Chris pinça les lèvres, la tension montant en lui comme une vague, reconnaissant dans les paroles de Neal une écho de ses propres doutes. Il comprenait ce ressentiment, cette colère sourde, mais il savait aussi qu'il ne pouvait laisser cette amertume contaminer toute l'équipe. « Écoutez, je comprends vos doutes », reprit-il d'une voix ferme. « Mais on ne sait rien d'elle. On ne juge pas les gens avant de les connaître et de toute façon, on n'a pas d'autre choix que d'aller de l'avant. On ne sait pas encore quand elle arrivera exactement parce qu'elle doit d'abord terminer un travail et nous aussi d'ailleurs. L'intervention de ce soir doit rester notre priorité à tous. Le tuyau qu'on a reçu à la dernière minute pourrait nous mettre sur une grosse prise, et on n'a pas le droit de laisser passer ça. »
Les agents se redressèrent, les traits plus tendus, leurs regards plus déterminés. Il leur exposa alors les détails succincts de l'opération montée dans la précipitation : un trajet, une heure, aucun indice clair sur la marchandise. Chris aurait volontiers appelé le FBI pour assurer ses arrières, mais le temps pressait, et il n'avait d'autre choix que de faire appel à tout ce qu'il avait sous la main. Il chassa les doutes qui l'envahissaient. Ses hommes avaient besoin de le voir sûr de lui.
« Bien. Ce plan est sans doute pas le meilleur qu'on est eu mais, c'est le seul qu'on ait. Il est temps d'y aller à présent », déclara-t-il. « Je veux chacun de vous affûté comme jamais, compris ? On va travailler ensemble à la mémoire de Sophia. »
Des hochements de tête sérieux lui répondirent. La douleur, la peur, tout cela semblait s'effacer, ne laissant place qu'à la détermination, la même qui chaque jour avait animé Sophia au sein de cette équipe. Ils étaient prêts.
***
La route déserte s'étendait sous un ciel noir sans étoiles, comme un gouffre d'encre englobant le monde. Dans l'obscurité, un camion avançait lentement, ses phares projetant des lueurs blafardes qui peinaient à percer l'épaisse brume nocturne. À l'intérieur, l'air était suffocant. La terreur était palpable, étouffante. Serrées les unes contre les autres, des jeunes femmes tremblaient, leurs regards fixés sur le vide ou jetés furtivement autour d'elles. Certaines essayaient de retenir leurs sanglots, tandis que d'autres laissaient leurs larmes couler silencieusement, la peur leur scellant les lèvres.
Les trafiquants, debout près de l'arrière, les faisaient taire de leurs voix menaçante. L'un d'eux, un type massif au visage marqué par de vieilles cicatrices, s'approcha d'une fille qui étouffait un sanglot trop bruyant. « Fermez-la ! » aboya-t-il, son haleine putride et ses yeux empreints d'agacement, « Vous feriez mieux de la boucler, sinon je vous aligne toutes, une par une. »
Kate Davis était là, parmi les otages, la tête basse mais les sens en alerte. Son corps tendu comme un arc était prêt à se mouvoir au moindre signal. Derrière son regard d'un vert perçant se cachait un esprit vif. Elle analysait chaque détail, chaque échange, sa survie et celles des femmes dans ce camion en dépendaient. Elle observait la nervosité inhabituelle des deux hommes ; quelque chose dans leurs gestes trahissait leur stress. Elle le sentait dans ses tripes : quelque chose clochait.
Soudain, le camion s'arrêta net. L'arrêt brutal projeta les jeunes femmes les unes sur les autres ; Kate amortit sa chute en agrippant une barre métallique rouillée. Dans l'espace confiné, un cri collectif s'éleva, mais le fracas extérieur couvrit aussitôt la cacophonie intérieure. Des éclats de voix fusèrent : des ordres criés, des balles sifflantes. Les trafiquants échangèrent un regard, paniqués, avant que l'un d'eux ne lâche dans un espagnol haché : « Barrage de flics ! »
Les coups de feu redoublèrent au-dehors, et le camion se remit en marche avec une accélération furieuse, faisant tanguer les jeunes femmes comme des poupées désarticulées. Une des captives, incapable de maîtriser sa terreur, éclata en sanglots hystériques, répétant des prières inlassablement. L'un des trafiquants, excédé, perdit son sang-froid. Il approcha son arme de la tempe de la jeune femme, prêt à appuyer sur la gâchette. Kate n'hésita pas plus longtemps. En un éclair, elle se glissa derrière lui, agrippa son poignet et d'un mouvement précis, désarma l'homme, le renversant au sol avec une violence calculée. Elle se redressa aussitôt pour affronter l'autre, mais celui-ci, avait déjà saisi une otage. Alors que ses doigts se resserraient autour du cou de la malheureuse, le camion fit une embardée brutale et bascula sur le côté. Tout le monde fut projeté comme dans un tourbillon de métal et de cris, les corps se heurtant violemment aux parois.
Secouée mais rapidement remise grâce à l'adrénaline, Kate tâtonna pour retrouver l'arme que le comparse avait laissé tomber au sol. L'autre trafiquant, lui, se redressa d'un bond, ses yeux cherchant fébrilement son propre pistolet. Kate parvint à la récupérer juste à temps pour le neutraliser d'une balle en plein cœur alors qu'il s'apprêtait à tirer. Le cœur tambourinant dans la poitrine, elle ressentit une satisfaction glaciale.
Le vacarme extérieur n'avait pas diminué. À travers les brèches du camion, Kate distinguait une agitation chaotique. Dehors la symphonie des balles sifflantes avait repris de plus belle. Elle entendait à présent des ordres criés faisant pensé à un champs de bataille, une bataille dans laquelle elle allait devoir se plonger. L'adrénaline pulsait dans ses veines, mais elle parvint à garder la tête froide. Elle tira de son arme quelques balle pour faire sauter le verrou,puis, repoussa la porte d'un coup de pied. Avant de sortir, elle se retourna vers les jeunes femmes, leurs regards accrochés au sien. Dans un espagnol parfait elle leur ordonna, « Restez ici, c'est trop dangereux pour l'instant. Je reviendrai vous chercher dès que je le pourrais. »
Les regards apeurés de ces jeunes filles restaient fixés sur elle. Elle y lut une confiance qu'elle se promit de ne pas trahir. Kate Davis tenait toujours ses promesses.
À l'extérieur, Kate émergea dans le chaos. La nuit était déchirée par les éclats des tirs et les cris des agents qui se couvraient ou ripostaient. Ses yeux s'habituèrent rapidement aux flashs aveuglants. Elle repéra les silhouettes des forces de l'ordre, mais avant de pouvoir s'engager davantage, son regard tomba sur un homme, accroupi. Il semblait en mauvaise posture. Il échangeait des tirs avec un groupe retranché derrière une voiture. Il s'agissait du shérif d'après sa tenue. Alors qu'elle s'apprêtait à poursuivre son chemin, elle aperçut un type qui tentait de le prendre par surprise. Elle réagit sans réfléchir: Un tir, net et précis, abattit l'assaillant avant qu'il ne puisse approcher sa cible. Le shérif, alerté par la détonation, tourna la tête vers elle et lui fit un signe de reconnaissance. Elle hocha brièvement la tête pour accepter cette gratitude, puis se détourna pour poursuivre ses propres objectifs. Elle n'avait pas de temps à perdre, son esprit tout entier focalisé sur sa propre cible : elle devait trouver le chef du groupe, un homme qu'elle avait passé des mois à surveiller en vue de cette infiltration, et qui, elle le savait, aurait plutôt mis fin à ses jours que de se laisser capturer.
Elle contourna prudemment les zones de tir pour s'approcher d'un groupe d'hommes armés, ses muscles tendus comme des ressorts. Hélas, elle arriva trop tard : les deux derniers hommes, retranchés, s'abattirent volontairement, préférant la mort à la capture. Kate jura intérieurement ; son infiltration venait d'être réduite à néant par l'intervention non planifiée du shérif et de ses sbires.
En rage, elle retourna vers le camion, ses pas martelant le sol encore chaud des impacts. À son arrivée, elle tomba nez à nez avec un jeune policier, transpirant la peur et l'inexpérience. Surpris par son arrivée, il leva son arme vers elle. « Ne bougez pas ! » bredouilla-t-il, sa voix tremblante.
Kate, exaspérée, leva les yeux au ciel. « Je suis de la maison, gamin. Dégage de mon chemin. »
Mais le jeune homme, obstiné et visiblement offensé par la réplique de Kate insista, « Vous avez été prise en otage, madame. Il faut que je vous conduise à un médecin. »
Les traits de Kate se durcirent, son regard devenant aussi tranchant qu'un couteau. « Écoute-moi bien le bleu, ça fait des mois que je bosse comme une dingue sur cette infiltration, pour une mission que vous venez de faire foirer en deux secondes alors maintenant, tu vas gentiment dégager avant que je te botte les fesses ! »
Une voix calme, posée, interrompit leur échange : « Agent Barns, c'est bon, laissez-nous. »
Kate tourna la tête pour voir un homme s'avancer, grand, avec une assurance tranquille et un regard de vieux loup. Elle reconnu celui qu'elle avait sauvé quelques minutes plus tôt. Le shérif la scrutait avec une expression moitié amusée, moitié admirative. Le jeune policier s'exécuta, visiblement soulagé. « Merci shérif, »
« Chris James. » se présenta-t-il avant d'ajouter, « C'est moi qui devrait vous remercier pour tout à l'heure. Joli tir.»
Kate haussa les épaules, ignorant les louanges du shérif qu'elle estimait silencieusement responsable de l'échec de sa mission. Elle s'adressa à lui sur un ton dédaigneux, « Les filles dans le camion doivent être prises en charge rapidement et j'imagine que vos uniformes ne doivent pas forcément leur inspirer confiance. Je leur ai promis de revenir vers elles, laissez moi juste la possibilité de leur parler calmement. »
Chris l'invita d'un geste de la main à avancer et l'escorta vers les captives. Discrètement, il observa sa silhouette. Kate était une femme de poigne au physique athlétique mais aussi très féminine, sa longue chevelure brune retombait en vagues désordonnées bas dans son dos. Elle dégageait une aura magnétique, une détermination inébranlable, malgré la fatigue et les éraflures visibles sur son visage.
Ils se dirigèrent ensemble vers le camion, une scène de chaos silencieux les entourant, où quelques policiers finissaient de sécuriser le périmètre. Les éclats de voix avaient cessé, remplacés par des murmures rassurants, des sanglots étouffés et les allées et venues de quelques agents s'affairant autour des victimes. Kate marcha d'un pas ferme, son regard perçant revenant doucement à sa concentration initiale, mais une certaine douceur avait gagné ses traits à mesure qu'elle retrouvait le groupe de femmes qu'elle avait promis de protéger.
En la voyant approcher, les filles encore entassées dans le camion se tournèrent vers elle attendant sans nul doute ses indications. Quelques-unes tendirent instinctivement la main vers elle, comme si elle incarnait la seule lueur de sécurité dans cet enfer nocturne.
Kate se planta devant elles, inspirant profondément pour trouver les mots, avant de parler en espagnol : « C'est fini, maintenant. Les hommes qui sont ici vont vous emmener en sécurité, vous soigner. Vous n'êtes plus seules. Personne ne vous fera de mal à présent. »
Son ton, rassurant et grave, acheva d'apaiser leurs peurs ; elle avait ce talent inné de calmer ceux qui en avaient besoin, un talent qu'elle dissimulait sous un masque froid et des répliques cinglantes mais qui, ici, la révélait comme une présence bienveillante et déterminée. Chris, qui observait la scène à quelques pas, sentit un respect naître en lui pour cette femme à la personnalité complexe.
Chris fit un pas vers elle, et pour la première fois, ses mots se firent empreints d'une douceur discrète. « Merci. Sans vous, je ne suis pas sûre que nous aurions réussi à les convaincre de nous suivre avant les premières lueurs du jour. »
Elle répondit simplement, « Je ne fais que mon job. »
Chris l'observa, admiratif. « Vous saignez à la tête, » dit-il doucement en la détaillant.
Kate balaya sa remarque d'un revers de main. « J'ai vu pire. »
Chris esquissa un sourire amusé, « Je n'en doute pas. Sans vouloir vous manquer de respect, qui êtes-vous ? »
Kate le fixa un moment avant de répondre. « Kate Davis. Infiltrée, ou ex-infiltrée, grâce à vous shériff. »
Un éclat de surprise passa dans le regard de Chris, mais il répondit avec calme. « Vous étiez sur ce réseau ? Désolé, à vrai dire, on pensait être face à un simple trafic de drogue. Il y a pas mal de passage par ici. »
Les traits de Kate se détendirent un instant, comme si elle laissait tomber un masque de colère. Ses yeux verts se firent plus doux, marqués d'une lueur d'épuisement, mais aussi d'une résignation sans appel. « C'est moi qui devrais m'excuser, » lâcha-t-elle finalement, adoucissant sa voix de ce timbre rauque qui trahissait son agacement refoulé. « Je ne devrais pas réagir ainsi mais, cette mission... c'était important pour moi. Vraiment important. Des mois d'infiltration, à passer entre les gouttes, et tout s'écroule à cause d'une mauvaise communication. Et... c'était ma dernière mission avant ma réaffectation. »
Chris, intrigué, pencha la tête de côté. Avec ses yeux verts, brillant de cette bienveillance chaleureuse qui le rendait si humain malgré la dureté de leur métier, il s'exclama, « Votre prochaine affectation ? ». Sa voix témoignait d'un intérêt sincère.
Kate le fixa, son expression oscillant entre lassitude et une touche d'amertume à peine dissimulée. Elle déglutit légèrement avant de répondre, pesant chaque mot. « San Bernardino, » dit-elle en soupirant, laissant chaque syllabe marquer un adieu implicite à une mission pour laquelle elle avait sacrifié plus que quelques mois de sa vie. « Une nouvelle affectation au bureau du shérif dès la fin de mon infiltration... ce qui revient à dire, aujourd'hui. »
Chris l'observa en silence, absorbant chaque nuance de cette révélation. Le vent frais de la nuit souffla légèrement entre eux. Son sourire s'étira, et ses yeux s'attardèrent un peu plus longuement sur elle. « Eh bien, » s'exclama-t-il amusé par la situation « on dirait que je suis votre nouveau supérieur, alors. »
Une surprise sincère traversa les traits de Kate. Elle le regarda, les sourcils levés, son expression se muant en une sorte de gène. Elle pinça les lèvres avant de lâcher dans un soupir empreint d'humour. « Alors j'espère que sauver la vie de mon patron dès le premier jour lui permettra de mieux tolérer mon charmant caractère, » répliqua-t-elle, avec un sourire aussi léger que narquois. « Et pour être honnête... c'est sans doute pas la dernière fois que je vous aboierai dessus, autant vous y faire dès maintenant. »
Chris laissa échapper un rire bref, appréciant ce mélange de sarcasme et de franchise qui semblait être sa marque de fabrique. Il croisa les bras, son sourire s'élargissant malgré lui. « Parfait, » répondit-il, levant un sourcil avec un amusement malicieux dans le regard. « C'est ce que j'attends de mon équipe. Pas de langue de bois. Et puis, si on a des divergences d'opinion... je saurais à qui je dois ma peau. »
Un silence se posa entre eux, un silence agréable qui promettait il l'espérait un avenir différent des appréhensions qui l'avaient habité jusqu'alors depuis l'annonce du remplacement de Sophia.
J'espère que la suite te plaira tout autant.