Il pleut.
L’eau sale se déverse sur les pavés irréguliers, elle serpente en une petite rivière, elle infiltre les fissures.
Elle se pare d’or à la lumière vacillante des réverbères, répare ce qui est brisé et recolle les morceaux.
Il a froid, assis sur un banc en pierre d’une grande place d’une ville qu’il ne connaît pas. Abrités de leurs capuches ou de ce qu’ils ont trouvé d’autre pour éviter de finir trempés, les passants courent sous ses yeux comme de petites fourmis affolées, la pluie est arrivée sans prévenir. Ils se plaignent dans une langue qu’il n’a jamais apprise. L’eau s’est infiltrée dans son manteau, ses cheveux sont lourds et collent à sa peau et il sent la pluie ruisseler de son dos à ses pieds. Cela fait quelques heures qu’il regarde dans le vide, sans savoir ce qu’il est censé faire.
Il s’est réveillé seul, il y a quelques jours ; ou une dizaine, ou même plus, il ne sait pas, il n’a pas compté. Toutes les portes étaient ouvertes, sans aucune trace de vie entre les murs, à part la sienne. Alors il n’a pas hésité, il est passé par le grand portail en fer noir et s’est enfui à travers bois. Il a couru longtemps, poussé par l’adrénaline et la peur d’avoir quelqu’un derrière lui, pour le ramener et lui faire mal. Il y a quelques griffures qui courent le long de ses bras et ses joues. Si sa tête n’a pas compté les jours, son ventre pourrait donner les secondes tant il est affamé. Il ne sait pas vivre en dehors de murs et il avait vomit plus d’une fois de l’eau sale ou des plantes non-comestibles.
En arrivant dans la ville, il était soulagé. Il pourrait trouver à manger, et on aurait du mal à le retrouver dans la foule qui vit là. Si jamais on le cherchait, parce qu’à vrai dire il n’était pas certain d’être si important, peut-être qu’on le laisserait pour mort.
Il y a cinq pièces en cuivre et trois en argent dans sa poche. Il les a récupérées avant de partir, d’une petite caisse en bois. Elles sont froides dans sa poche, elles s’entrechoquent quand il descend sa main pour s’assurer qu’elles sont bien là. Il se lève et s’approche d’un vendeur dont le chariot sent bon le blé, malgré l’odeur insistante de la pluie tout autour.
Il finit le pain encore un peu chaud sur des marches pas très abritées, et enfin son ventre semble se calmer, et la faim qui lui hurlait dessus s’est tue. Il ferme les yeux, ne sait toujours pas où aller. Après plusieurs minutes à se faire détremper, il commence à apprécier le froid que lui procure la pluie. Elle lui donne un besoin et un but à atteindre : va chercher la chaleur. C’est plus facile, quand c’est son corps qui décide.
Il pousse la porte de la première taverne qu’il croise, désolé de ramener autant d’eau à l’intérieur, déstabilisé par le bruit assourdissant, ravi d’apercevoir une cheminée dans le fond de la pièce. Il se fraie un chemin jusqu’au comptoir, essaie de commander mais tout le monde crie déjà si fort que personne ne l’entend. Il est submergé par la musique, les chants éméchés, les mains décidées qui frappent les tables, les verres qui trinquent joyeusement. Il se pince l’arête du nez et prend une inspiration, joue la scène plusieurs fois dans sa tête, réessaye de commander. L’homme derrière le comptoir le regarde enfin, il lui pose une question qu’il ne comprend pas, il hausse les épaules. Quelques minutes plus tard, il se fait servir une bière et un regard méfiant qui se radoucit vite devant une de ses pièces d’argent. On lui rend quelques pièces de cuivre.
Il traverse la salle comme il peut, s’excuse de mouiller quelques manteaux au passage, et va s’assoir le plus près possible de la cheminée. Il retire ses chaussures et ses chaussettes et les met à sécher sur la grille qui protège des braises. Ses petits doigts gelés dont il avait presque oublié la présence rosissent devant les flammes, et tout son corps fond comme une glace au soleil. Après de longues minutes résurrectives, il tend la main vers sa pinte, la bière n’est pas trop mauvaise, mais il apprécie moins les quelques yeux intrigués qui le visent de temps en temps. Ils sont plein de questions et de réponses déjà trouvées, et tout son corps frissonne alors qu’il commence à avoir trop chaud. Il fait de son mieux pour les ignorer et finit son verre rapidement, il va en commander un autre au bar.
Il enchaîne les verres, parce que plus il boit moins il pense, et c’est tout ce qu’il demande de cette soirée. Finalement, il se rend compte qu’il n’arrive pas à oublier si bien, et qu’il a surtout mal au ventre, et qu’il est vraiment très fatigué. Très, très fatigué, parce que dans un clignement d’yeux, il a vu un renard le fixer à l’opposé de la pièce et rien ne fait sens autour de lui. Il sort prendre l’air.
Assis sur une marche, il fixe les gouttes de pluie et se concentre sur l’odeur humide et fraîche. Elle contraste avec le parfum de bois brûlé qui embaume ses cheveux, sa chemise et sa peau.
La porte de la taverne s’ouvre, et un jeune homme le fixe, une pointe de malice dans les yeux. Des yeux étranges, pâles, presque blancs. Il cligne des paupières, et le renard est de retour. Il ne bouge plus, quelques secondes, rien ne bouge, que la pluie qui tombe.
Il se frotte les yeux, et le jeune homme est là, sourit, comme s’il prenait plaisir à le voir perdre la tête.
Il rassemble ses forces.
« Qu’est-ce que tu veux ? »
Pas de réponse, juste une légère inclinaison de sa tête sur le côté.
« J’ai rien sur moi tout de façon… ».
Toujours pas de réponse, il n’insiste pas. Il répète, pour lui-même.
« J’ai rien sur moi… »
Le garçon-renard descend les marches pour arriver à sa hauteur, prend place à côté de lui. Il est un peu plus petit, mais plus âgé, il le regarde de haut en bas et s’attarde sur son bras, sur la longue cicatrice qui part de la base de son poignet et disparaît sous sa manche retroussée. Elle ne s’arrête qu’à son épaule. Le garçon fronce ses sourcils, comme s’il attendait une explication.
« Va te faire voir.
C’est tout ce que Dùghall peut rassembler, tout ce que l’inconnu a besoin de savoir.
—Ça fait mal ?
Il sursaute en entendant la voix du jeune homme. Elle n’est pas inquiète ou compatissante, juste curieuse. Comme une pensée toute droit sortie de sa tête, sans filtre. Il prend quelques minutes avant de répondre, observe un peu mieux son interlocuteur. Il a des cheveux roux brillants, en bataille, qui fondent sous la pluie. Il a le visage couvert de tache de rousseurs, il a aussi des cernes si marqués qu’il en vient à se demander s’il n’a pas ajouté de la poudre pour les noircir. Il a un air hagard, volage.
—Non. »
L’inconnu le fixe à nouveau, mais cette fois-ci il a l’impression qu’il essaie de se souvenir de lui. Un bref instant, il a peur qu’on le reconnaisse, puis il se souvient que les seules personnes à être au courant de son existence se comptent sur les doigts d’une main.
Dans un clignement de ses yeux, le renard est à la place du garçon.
L’animal se lève et part en trottinant sous la pluie battante.
Je tiens à commencer mon commentaire en te félicitant pour la couverture, elle est vraiiiiment belle ! ^^
Ensuite, c'est un début fort mystérieux que voilà ! On est directement plongé dans un univers dont le personnage principal n'a pas toutes les clefs (notamment la barrière de la langue), et on comprend que son départ pose beaucoup de questions. C'est très intéressant, et ça donne envie de lire la suite.
D'un point de vue forme, je crois que j'ai du relire plusieurs fois les deux premiers paragraphes du chapitres : les phrases sont assez longues tout en posant le décor : d'un côté, ça m'a posé question en termes de facilité de compréhension, mais de l'autre, j'aime bien le style particulier et le rythme que ça donne au texte.
Pour rester sur le rythme, il me semble que tu as pas mal de "Il y a", et de descriptions factuelles des actions de Dughall : "Il pousse la porte", "il se fraye un chemin", "il s'excuse"... encore une fois, ça donne un certain rythme et un style particulier au texte, que je trouvais intéressant de noter ici.
Merci pour ce bon moment de lecture, et au prochain chapitre ! :)
Merci beaucoup pour ton retour ! :)
1er chapitre fort intéressant :)
Bien écrit, fluide et on se demande qui est ce garçon-renard. Intrigant aha
Quelques retours sur la forme :
"Finalement, il se rend compte qu’il n’arrive pas à oublier si bien, et qu’il a surtout mal au ventre, et qu’il est vraiment très fatigué. " -- plutôt "Finalement, il se rend compte qu’il n’arrive pas vraiment à oublier, qu’il a mal au ventre et qu’il est terriblement fatigué."
"Il ne bouge plus, quelques secondes, rien ne bouge, que la pluie qui tombe" -- répétition de bouge et la fin un peu bancale, peut-être : "Il ne bouge plus, quelques secondes, tout semble figé, à part la pluie qui tombe."
"Il se frotte les yeux, et le jeune homme est là, sourit, comme s’il prenait plaisir à le voir perdre la tête" -- j'aurais mis "souriant", "un sourire naissant" ou "tout sourire".
Voilà, à voir la suite :)
Merci beaucoup pour le retour et pour tes suggestions ! :)