Un mois.
Ça fait déjà un mois.
Il n’a toujours pas de solution, il dort n’importe où pour économiser son argent. Il commence doucement à comprendre quelques mots, mais c’est insuffisant. Il a bien essayé de proposer ses services à quelques boulangers, bouchers, postier, fleuriste, herboriste, il avait fait le tour des boutiques de la ville, partout la même réponse : on le regarde, on fronce des sourcils en le voyant essayer de communiquer sans mots, on lui montre la porte pour l’inviter à sortir.
Il paye pour prendre un bain de temps en temps et laver ses vêtements. Il a faim parfois, mais les nuits sous les étoiles, sous la pluie si les divinités se sentent particulièrement sadiques, c’est encore ce qu’il y a de pire. Le vent glacial et le givre qui vient avec la nuit d’hiver le font grelotter tous les soirs, il dort en boule pour garder sa chaleur et rêve d’avoir une fourrure sur le dos.
Il est assis à la sortie d’une boulangerie. Il a posé une casquette en feutre bleu devant lui, il espère qu’on lui donne de quoi manger, boire, ou se laver. L’odeur du pain frais est une véritable torture, mais met les gens de bonne humeur. Les douces effluves de pâte croustillante et beurrée font ressortir la bonté humaine, aussi l’entrée de la boulangerie était un endroit stratégique pour faire la manche.
En fin de journée, le boulanger passe un coup de balais, ferme la porte en le saluant d’un bref mouvement de tête, habitué à sa présence. Il ressort par une petite porte en bois rouge carmin et lui passe un pain rassis avec un regard franc, avant de disparaître au détour d’une ruelle.
Un peu de chance dans une situation maudite, le vieil homme semble le prendre en pitié. Il aurait peut-être hésité à accepter sa charité il y a quelques semaines, plus maintenant.
Alors qu’il ramasse sa casquette et les quelques pièces qu’on y a glissé, il sent qu’on le regarde. La rue est vide devant lui.
Il se retourne.
Le renard. Il le fixe encore, avec ses yeux glacés.
Il hésite avant de lui adresser la parole, un peu au hasard.
« T’aurais pas une place chez toi ? Je dormirais bien au chaud …
Le renard se transforme dans un battement de cils. Le garçon a le même manteau brun qu’à leur première rencontre, le même air hagard qui cache une lueur maline.
Il sourit.
—T’aimes bien les tanières ?
Il lui répond avec un haussement d’épaules.
—Mieux qu’un coin de rue. »
Maintenant qu’il lui parle sobre, il peut faire attention aux détails. Le garçon-renard a une voix railleuse, mal élevée, moqueuse. Il se tient mal, se laisse distraire par un oiseau qui passe au-dessus d’eux, une odeur qu’il hume bruyamment, mais revient toujours planter son regard sur lui. Il a les iris si pâles que Dùghall a du mal à les distinguer du blanc de ses yeux, et ses deux pupilles noires semblent flotter comme deux taches d’encre sur du papier encore vierge. Il a la peau de la couleur du blé, parsemée de cicatrices et de taches de rousseur, les lèvres sèches, le nez long et pointu comme un museau. Ses cheveux roux comme le soleil sont négligemment coupés autour de son visage et au niveau de ses épaules, il est facile de deviner qu’il les a coupés lui-même sans s’occuper du résultat. Sous son manteau un peu débraillé, il a une chemise brune constellée de tâches, ouverte de quelques boutons, juste assez pour effaroucher les bonnes mœurs. Il a un pantalon troué aux genoux, pas de chaussures. Il y a chez lui l’audace et la malice d’un souvenir d’enfance, sans en avoir l’innocence.
Le garçon-renard lui fait un signe de tête et se met en marche.
Au lieu de l’emmener dans une maison, un grenier, ou même un trou de terre au fin fond d’une forêt, il s’arrête devant la taverne dans laquelle il l’a rencontré il y a un mois. L’écriteau indique, il ne le remarque que maintenant, La Tanière.
Il lui offre une bière, c’est étrange ce soir les gens semblent parler moins fort. Ils s’installent à côté de la cheminée, ce qui le fait soupirer de plaisir. Décidément plus efficace que l’alcool pour oublier ses tracas.
Le jeune homme finit sa pinte, sans parler. Il observe la pièce, inspire, écoute. Puis, comme lassé, il s’adresse à lui.
« Alors. Qu’est-ce que tu fais maintenant ? »
Il est pris de court.
« Pardon ?
—T’es certainement pas d’ici, ça fait un mois que t’es arrivé, tu vis dans les rues. Tu as faim, et froid. Tu comptes rester ici ?»
Il réfléchit. Ne trouve pas de réponse.
Il nourrit secrètement l’espoir de pouvoir rentrer un jour, de se faire accueillir en héro par son père en larme. C’est même peut-être ce qui l’a fait survivre, quand il était encore captif. Mais il ne peut s’empêcher de se demander si on voudra de lui, si on l’a vraiment cherché quand il a disparu. Si, en le voyant revenir, on le jettera à nouveau entre quatre murs et que cette fois on s’assurera qu’il ne sorte jamais.
Et d’un coup, il y a une petite voix dans son crâne, qui n’a ni visage ni genre, qui sonne comme si toutes les voix de l’humanité avaient été mises ensemble et réduites à une seule.
Elle lui dit :
Il a raison. Tu dois rentrer là-bas.
Il croit qu’il a déjà entendu la voix quand il était petit, mais il ne se souvient plus très bien. Il se demande, inquiet, si la voix peut entendre ce qu’il pense, alors plein d’images honteuses s’affichent dans son esprit alors qu’il demande à son cerveau de les faire disparaître. Il secoue la tête, il est malade, sûrement, et la voix n’existe pas.
Le garçon-renard fronce les sourcils devant l’air étrange du jeune homme qui semble un peu absent tout d’un coup. Il soupire, regarde ses ongles rongés et les grains de terre en dessous.
« Hum, t’es qui alors ?
C’est bizarre parce que malgré ses mauvaises manières et son air d’enfant sauvage, il y a une certaine sagesse qui l’auréole. C’est difficile de mettre le doigt dessus, le garçon y réfléchit pour éviter de penser à la voix.
—Dùghall.
Il hausse les épaules.
—Tu peux m’appeler Gall’.
Et d’un coup, il réalise, relève la tête, interpelle le renard.
—Attends, pourquoi tu parles vastarien ? T’es pas d’ici, toi non plus ?
Il sourit et considère la question, plisse les yeux.
—C’est un peu plus … compliqué. Mais on peut dire ça comme ça.
Il commande une autre bière, et se remet à le fixer sans gêne.
—Et dis-moi, Gall’…
Il prononce son nom avec un ton moqueur et laisse trainer les L sur sa langue. Il recule sa chaise et pose ses pieds sur la table.
—Qu’est-ce que tu fais là ?
Gall’ se sent presque menacé, soudainement. Mais il ne perd pas le nord.
—Et toi, tu m’expliques le renard ? »
Le jeune homme relève la tête, un poil contrarié. Il a une petite cicatrice sur la lèvre.
Il ne dit rien, ses yeux pâles vacillent, il hésite quelques secondes.
Finalement, il finit son verre et se lève, se dirige vers la sortie sans demander son reste, alors Gall’ se dépêche de finir le sien et le suit en trottinant. Un instant, il se dit que le garçon-renard n’a pas envie d’être suivi, peut-être qu’il a mal interprété son geste, qu’une fois dans la ruelle à peine éclairée et déserte, il se changera en renard et filera dans la nuit.
Mais il ne le fait pas, à la place il le regarde.
« Viens. »
Et dans un clignement d’yeux il est renard, et attend que Gall’ se mette à avancer pour le guider sous les étoiles.
***
Cette nuit-là, il a rêvé et il a oublié la voix. Il s’est réveillé dans un lit confortable, à son chevet un bout de papier froissé, avec inscrit dans une écriture à peine lisible :
Mange, j’ai tout payé.
Il ne s’est pas fait prier. Il vient de finir un bol de soupe, et fait une tartine de pain avec du beurre dessus, et ça fait déjà depuis trop longtemps qu’il a mangé du pain avec du beurre dessus. Un mois, c’est long, quand on a faim.
Apaisé, il repense à son rêve. Il marchait, courrait dans la nuit noire, guidé par un renard. Il glissait à travers champs, en attrapant au passage quelques fleurs sauvages, écoutant les cris des chouettes et les aboiements des chiens au loin. Ses bras n’ont pas été griffés et ses pieds n’ont pas eu mal. Il n’avait pas eu froid.
Il se souvient du ciel et ses milles yeux, de l’odeur humide, du glapissement du renard.
Il serre dans son poing le bout de papier.
Il sait qu’il ne reverra pas le jeune homme aujourd’hui, mais peut-être plus tard, il a encore quelques questions à lui poser.
En tout cas, ça démarre très fort !
J'ai juste relevé une petite chose, rien de dramatique ! Tu as oublié un "s" à héros, voilà voilà ! Le reste me semble vraiment très bon, j'ai hâte de lire la suite !
Les couches de mystère s'aditionnent tel un merveilleux plat de lasagnes (est-ce que j'ai faim ? Oui, peut être :D)
Décidément, ce garçon intrigue. Je me demande où ça va aller, pourquoi il aide Gall, parce qu'au-delà du fait de parler la même langue, il a l'air d'avoir des idées derrière la tête...
Question forme, j'ai noté encore beaucoup de "Il + action", et de "Il y a". Par exemple, quand il est écrit : "il vient de finir son bol de soupe", j'ai l'impression de recevoir une information, un fait, là où mon esprit de lecteur s'attendrait à recevoir une image mentale, une sensation.
Voilà pour ce chapitre, merci pour la lecture ^^ on se retrouve au chapitre suivant ! :)