Partie 1 - Chapitre 4

 

Comme prévu, il est là à l’aube, assis sur un banc de la petite place devant la boulangerie. Il a son sourire grinçant quand il le voit arriver.

Dùghall le regarde, repense à ce qu’il s’apprête à faire. Il se demande s’il le regrettera, plus tard …

Heol bâille et s’étire à la manière d’un animal.

« Allons-y. »

Il a la voix rauque, mauvaise haleine.

Avec un dernier regard pour la boulangerie qui l’a accueilli, Gall’ se met en route, et se laisse guider par le renard entre les ruelles de la ville qui se réveille doucement.

La campagne est calme, la rosée du matin a une odeur de fleur, il fait un peu froid. Le vent souffle entre les quelques arbres au loin, il court le long de la rivière et s’envole vers les nuages. Il fait frissonner le jeune homme. L’herbe à ses pieds est rousse comme le pelage du renard, il aperçoit parfois de petites araignées et quelques sauterelles qui s’y baladent. En évitant une flaque, Dùghall voit le bleu glacé du ciel s’y refléter. Il repense à ses fugues, quand il était petit, quand il échappait à la vigilance de ses gardiens et qu’il allait se perdre dans les prés. En écho, il se souvient des punitions et du sifflement du martinet. Mais ce matin, on n’entend pas grand-chose, à part le vent et le bruit des pas qui écrasent les herbes hautes.

Ils marchent, l’un derrière l’autre. Enfin, lui marche, le renard préfère vagabonder, il se laisse emmener par les odeurs, bondit à droite à gauche, il n’attrape rien d’autre qu’un papillon qu’il broie entre ses canines. De temps en temps, il redevient humain et le fixe de ses petits yeux pâles. Il ne dit rien, se contente de le regarder, parfois avec une mine agacée, impatiente, et parfois il a juste l’air intrigué.

Régulièrement, Dùghall regarde derrière lui. On voit la ville, elle a l’air plus petite d’ici. Presque raisonnable, presque apprivoisable. Ils sont sur les hauteurs, alors on distingue plutôt bien ses contours gris. Il la cache avec la paume de sa main. Elle est déjà un souvenir, bien rangée dans sa tête.

Vers la fin de l’après-midi, ils entrent dans une forêt et quelques chevreuils s’enfuient en les voyant. Heol le regarde. Il a l’air de dire « T’es pas discret, hein ? », mais Dùghall n’y peut rien, il ne sait pas chasser. Il n’a pas appris à se tapir dans les buissons, à rester immobile, à marcher sur les feuilles mortes sans faire craquer les branches sous ses pieds.

« Il va falloir trouver à manger. 

Il ne sait pas quoi répondre. Il ne sait pas ce qu’on mange, dans une forêt.

Devant l’air perdu du jeune homme, le garçon-renard soupire.

—Bon, on se retrouve ici, je vais attraper quelque chose. J’espère que t’aimes bien la viande crue. 

Il aurait bien proposé de faire un feu, mais il sait bien que c’est plus simple à dire qu’à faire.

—Je vais essayer de trouver des … plantes. »

Heol le regarde avec un air dubitatif, mais se change en renard et s’en va.

Il connaît quelques plantes comestibles, peut-être aura-t-il la chance d’en reconnaître une dans les sous-bois. Il se met à en chercher, en faisant bien attention à son chemin pour pouvoir revenir sur ses pas. Il trouve quelques orties près d’une vieille souche colonisée par la mousse et les champignons, il les cueille en se piquant les doigts. Quand il revient, le renard n’est pas encore là. En l’attendant, il fait un tas de feuilles mortes, elles ont commencé leur décomposition alors que les nouvelles sont à peine sorties des branches et il sait qu’il ne dormira pas au sec, malgré la couverture dans sa sacoche.

Il ne se rend compte qu’il est là que quand il pose sa main sur son épaule. Dans un sursaut il croise les yeux pâles et le sourire d’une petite vengeance. Le renard est rancunier. Mais il a amené de quoi manger, enfin à peu près : il a capturé un lapin qu’il tient, sanguinolant, dans sa main. Un coup de croc a achevé la bête, elle ne bouge plus. Heol lui tend avec un couteau. Dùghall prend l’animal entre ses mains, il est déjà froid. Il regarde la lame, dans son autre main, et reste paralysé. Le renard soupire, lui reprend le lapin, il ouvre le ventre pour le vider, enlève sa peau, le coupe en deux et lui donne la moitié. Dùghall regarde son repas avec dégoût, en un coup d’œil il voit que le renard s’est transformé et s’en donne à cœur-joie en laissant des traces carmin sur son beau pelage blanc et roux. Il regarde à nouveau l’animal mort dans ses mains et ne sait pas quoi faire, alors que sa faim le tiraille. Il finit par se résoudre, l’animal est mort pour lui, alors il ravale son rebut et mord la chair à peine froide. Il a du sang autour de la bouche, il en a sur les mains, il en a sur ses dents et un peu sur ses joues, ça pique. Il grimace en mangeant les orties coupées en petit morceaux, mais c’est déjà bien meilleur. Le renard est occupé à ronger les os dont il lui a fait cadeau, ceux qu’il a terminés luisent, blancs comme la lune, sur les feuilles noires. La nuit est tombée, on ne voit plus grand-chose, heureusement.

Il s’allonge sur le tas de feuilles froides, et s’enroule dans sa couverture. Le renard s’est roulé en boule en face de lui, il lui envie sa fourrure qui semble si chaude et confortable. Il le regarde respirer, son corps se gonfler d’air, se vider, se soulever à nouveau, paisible. Il a une respiration un peu sifflante, qui se cache dans le bruit des feuilles dans la brise. Gall’ finit par se recroqueviller sur lui-même, ferme les yeux. Il sait que sa nuit ne sera pas aussi tranquille que celle du renard, il n’est pas chez-lui dans la forêt, le moindre bruit suspect le fait sursauter et il lutte pour ne pas regarder autour de lui. Il arrive néanmoins à s’endormir pour quelques heures.

 

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