Partie 2 - Chapitre 4

Notes de l’auteur : Attention. La version que vous lisez sur les différentes plateformes de lecture est une version non corrigée (elle contient encore des fautes d’accord, de syntaxes, des maladresses diverses sur les tournures de phrases.)

Bonne lecture !

     Zhen YuJin atteignit sa destination sans la moindre hésitation. Le « Jardin du Dôme », comme il l’appelait dans son enfance. L’un des jardins entourant le pavillon impérial, terrain réservé exclusivement à l’Empereur, sa famille et leurs proches amis. La plupart des servantes et serviteurs du Palais n’avaient pas le droit de s’aventurer jusqu’ici. L’endroit était délicatement parsemé de buissons fleuris, d’érables, de pruniers et de ginkgos. Un saule pleureur sur la droite laissait ses longues branches effleurer un lac. Un chemin de graviers blancs menait à la structure principale : une imposante coupole composée de plantes grimpantes. Les cailloux crissèrent sous ses bottes au moment où il s’approcha de son ouverture et qu’il se faufila à l’intérieur du dôme dont la surface au sol faisait la même taille que sa chambre d’enfant. Son cœur rata quelques battements tandis que ses yeux parcouraient toutes les ramures et feuilles mortes qui le composaient. Le ciel gris hivernal se voyait entre les branches. Mais l’été, toute la structure se recouvrait de verdure, offrant un abri ombragé et agréable. Autrefois, lorsqu’il était seul, il préférait se rendre près du genévrier pour pouvoir lire ou jouer, mais quand il voulait s’amuser avec Ming XiWang, ils venaient tous les deux ici.

     Le Musivateur frémit. Le tiroir de ses souvenirs d’enfance menaçait de s’ouvrir. 

     Machinalement, il chercha des yeux le banc de pierre sur lequel ils s’asseyaient pour dessiner des cartes du jardin. Elles servaient à trouver où de potentiels trésors, tout droit sortis de leur imagination, avaient été dissimulés. À l’origine, le banc se situait au centre de la coupole. Constatant sa disparition, il pivota sur ses pieds en fouillant l’endroit du regard et le découvrit installé près d’un pan de la paroi végétal. Son cœur vrilla aussitôt, il se passa une main sur le visage. Cette nouvelle position n’était pas anodine. Lors de son dernier été en tant que Prince, les Ming père et fils étaient venus pendant presque trois mois. Dès la première semaine, les deux petits garçons avaient décidé de construire un abri dans le dôme, en s’aidant d’une partie du mur de feuilles existant, de grandes branches récupérées dans d’autres jardins et de vieilles nappes que Maître YiShi avait accepté de leur céder pour ne pas qu’ils s’amusent à utiliser les couvertures de leurs chambres. Ce refuge contenait quelques jouets d’extérieur, des bonbons et des friandises volées dans les cuisines. Lorsque tous deux revenaient de leurs chasses au trésor, leur butin se composait de jolis cailloux ou de bouts de bois aux formes rigolotes, qu’ils ramenaient et cachaient précieusement en ces lieux. Leurs épées en bois se trouvaient également ici. YiShi Shen avait passé les trois mois à les réprimander parce qu’il ne pouvait pas commencer leurs entraînements à l’heure, les deux garnements devaient à chaque fois aller récupérer leurs armes dans « le refuge ». Et le banc occupait aujourd’hui la place de ce petit abri.

     Une boule monta dans la gorge de l’ancien Prince Héritier, il sentait la présence de Zhang JingXi partout dans la coupole. Celui-ci devait souvent venir à cet endroit. À cette pensée, une douce chaleur envahit son être tandis que ses yeux s’humidifiaient.

     Dans son esprit, le tiroir céda, libérant d’autres souvenirs qu’il croyait perdus à jamais. Des images de ce dernier été passé ici, alors qu’ils ne devaient pas avoir plus de six et huit ans. Ming XiWang portait les cheveux tirés en un chignon strict et il détestait ça. Son père insistait pour qu’il garde cette coiffure, disant qu’il avait l’air bien plus sérieux ainsi. Une fois tous les deux seuls, sachant qu’ils avaient plusieurs heures de tranquillité devant eux, le tout jeune Prince Héritier aidait son complice à libérer sa chevelure. Il le coiffait ensuite avec un demi-chignon qu’il faisait tenir avec une baguette qu’il amenait exprès pour lui. Lorsqu’il l’oubliait, il devait se contenter de lui faire une queue de cheval. Maître YiShi était parfaitement au courant de ces changements et, plus d’une fois, il avait aidé Zhang JingXi à refaire sa coiffure stricte avant de les laisser filer rejoindre leurs parents pour le repas.

     Il se rappela également de l’un des premiers jours où ils étaient venus ici, avant de construire le refuge. Assis sur le banc, son camarade de jeu avait levé la tête alors que le soleil frappait les ramures recouvrant toute la Coupole. Émerveillé, il avait chuchoté :

     — Regarde, A-Shui, regarde comme c’est beau ! On dirait que les feuilles se parent d’or ! La lumière est si belle !

     À cet instant, le Prince Héritier se moquait bien du reflet de l’astre solaire qui jouait avec les végétaux. Il était absolument fasciné par la joie qui illuminait le visage de son ami et s’était fait la réflexion qu’il y avait aussi de l’or dans ses yeux lorsqu’il était heureux. Le lendemain, Ming XiWang avait apporté des feuilles, des peintures, des encres et des pinceaux, puis s’était acharné pendant plusieurs heures à essayer de reproduire ce qu’il avait vu.

     Du bout des doigts, Zhen YuJin effleura le banc, tout en visualisant son camarade de jeux qui dessinait une carte avec application et concentration. Il se demanda s’il possédait encore ces vestiges de leur enfance.

     Il sortit ensuite du dôme. Son attention se porta sur le saule pleureur qui les avait vu maintes fois se déshabiller et sauter dans l’eau du lac. Leurs rires insouciants, leurs bagarres pour départager qui savait mieux éclabousser l’autre. Qui retenait sa respiration le plus longtemps. Qui nageait plus vite.

     Ses pas le conduisirent sur la rive, il écarta le rideau de feuillage du saule, puis s’appuya contre le solide tronc. Les branches basses et leurs poids d’enfants s’étaient très bien entendus à l’époque. Ils se faufilaient comme d’agiles petits singes et plus d’une fois, ils avaient sauté depuis les hauteurs de l’arbre directement dans le lac.

     Comment avait-il pu oublier… ?

     L’ancien Prince Héritier tourna la tête et pressa son front contre l’écorce en fermant les yeux. Il huma son odeur de sève, mêlée à celle de l’humidité de la terre. Dans le fond, il savait très bien pourquoi il avait mis ces souvenirs sous clé. Dès qu’il avait rejoint Lu Lei, qu’ils avaient compris que tous les alliés de son père se faisaient tuer, que sa propre vie serait en danger si sa survie était connue, il avait trouvé judicieux de ne plus parler du tout du Palais. Il savait qu’il risquait de lâcher une information, une anecdote qui paraitrait anodine, mais qui pourraient tomber dans de mauvaises oreilles s’il y avait du monde autour d’eux. Qui pouvait dire quelles bouches iraient ensuite les murmurer au nouvel Empereur ? Ne plus mentionner cette partie de sa vie restait le plus sage. De même, il remarquait les efforts déployés par Lu Lei pour faire en sorte de le protéger, de lui offrir une bonne éducation malgré tout. Tout comme il voyait que Chan YinMai ne demandait pas mieux que d’être son ami. À l’époque, il s’était formulé qu’il paraitrait peut-être ingrat de signaler qu’avant il mangeait dans de la vaisselle en riche porcelaine et non dans des écuelles en terre cuite. Qu’il portait souvent des vêtements neufs et très doux sur la peau et non ces habits, rapiécés chez certains membres de la Troupe, usés pour d’autres. Il ne souhaitait pas faire de peine à sa mère adoptive et avait conscience que s’il vivait encore, il le devait au bon vouloir du destin. Faire la fine bouche ne lui apporterait rien. Et même s’il avait pleuré ses parents, la nouveauté offerte par cette vie de nomade avait été assez rapidement excitante. Aussi, il avait laissé de côté tout ce qui ne lui permettait pas d’aller de l’avant. Ressasser le passé ne les ramènerait pas. Finalement, en grandissant, son identité secrète n’était devenue plus qu’une ombre qui le suivait, une ombre qui lui rappelait qu’il devait faire tout de même attention et se montrer très prudent. Mais il avait pu la garder suffisamment à distance pour qu’elle ne reste qu’un concept qui n’ouvrait plus la porte à la nostalgie.

     Le Maître du Feu se laissa glisser au sol où il s’assit en lotus. Les yeux dans le vague, il contempla la surface calme du lac. L’écho de ses jeux avec son ancien camarade hantait ses pensées. Il songea à la dernière fois où il avait nagé avec Zhang JingXi, quelques jours à peine auparavant… ils n’avaient pas tout à fait joué cette fois-là.

     Un léger sourire flotta sur ses lèvres alors qu’un autre souvenir remontait à sa mémoire. Tous deux commençaient à s’entraîner au combat. Ming XiWang montrait ce qu’il avait appris chez lui et Zhen YuJin faisait de même. Maître YiShi leur enseignait les bases, l’Empereur avait déjà prévu qu’un à deux ans plus tard, le Précepteur laisserait le relais à un Maître d’Armes. En attendant, les deux petits garçons adoraient ces moments d’entraînement et il n’était pas rare qu’ils profitent de leur temps libre pour réviser ou inventer des mouvements. Ils aimaient lorsque le vent soufflait, ce dernier faisait voler des feuilles partout et ils les considéraient comme des projectiles lancés par un invisible ennemi. Il se souvint que Zhang JingXi avait inventé un mouvement pour esquiver une attaque. Son bras s’enroulait autour de la taille de WangZi BanShui — à l’époque il était plus petit et plus léger que l’actuel Empereur — et il se déportait avec lui en effectuant un gracieux quart de tour qui leur permettait d’éviter de sournois végétaux. Le Prince Héritier avait adoré ce mouvement et ils l’avaient peaufiné ensemble ; lorsque son ami attrapait sa taille, lui passait son bras autour de ses épaules et le quart de tour s’était transformé en un tour complet qui les déplaçait davantage. Ils se relâchaient ensuite mutuellement, puis se plaçaient dos à dos, prêts à en découdre. Très fiers d’eux, ils avaient montré leur beau mouvement chorégraphié à Maître YiShi qui avait haussé les sourcils très haut, avant de garder un long silence. Un silence qui avait duré si longtemps que les deux enfants avaient craint d’avoir commis une erreur. Leur mentor avait alors soupiré :

     — Vous êtes parfaitement coordonnés et je vois le temps que vous avez passé à travailler cette esquive. Je suis impressionné et je loue vos efforts, jeunes gens.

     Ming XiWang et WangZi BanShui avaient échangé un regard de triomphe et de joie, puis leur Précepteur avait repris en baissant la voix :

     — Toutefois, je crains qu’il ne faille l’oublier.

     Devant l’incompréhension qui se peignait sur le visage des deux garçons, il avait pensivement levé le sien vers le ciel, cherchant comment formuler sa phrase :

     — Certaines… personnes… pourraient trouver cette esquive légèrement indécente et peu conventionnelle pour deux garçons. Vous êtes un peu trop proches l’un de l’autre, comprenez-vous ?

     Sur le moment, ils avaient eu du mal à comprendre le problème, mais si Maître YiShi disait qu’il valait mieux éviter, il fallait l’écouter. Officiellement, ils n’utilisaient plus cette esquive sur les entraînements, officieusement ils s’amusaient toujours à tournoyer ensemble lorsqu’ils se retrouvaient uniquement tous les deux pour jouer.

     Les yeux baissés sur le sol, Zhen YuJin se demanda si Zhang JingXi se souvenait de cette pirouette. Dans un même temps, il ressentit une bouffée de gratitude pour son ancien mentor qui n’avait pas émis le moindre jugement devant leur proximité à l’époque, il s’était contenté de les mettre en garde contre les autres personnes. D’ailleurs, la veille, il n’avait pas semblé dérangé de voir Zhang JingXi et lui-même aussi proches… Il ne savait pas jusqu’à quel point l’Intendant était au courant de leur relation, mais pour le moment il n’avait pas l’impression que ça lui posait problème.

     Est-ce pour ça que, même si nous ne nous sommes pas consciemment reconnus, nous avons réussi à nous entendre si vite ? Personne n’a jamais pu m’approcher aussi rapidement ni aussi intimement, mais avec lui ça coulait de source… Une part de nous a-t-elle su, dès le départ, qui nous étions réellement l’un pour l’autre ?

     Il était heureux de voir quel homme son ami d’enfance était devenu. Pendant des années, il s’était vaguement demandé si Ming XiWang suivrait les traces de son père, puis il avait été rassuré lorsqu’il avait vu sa façon de gérer le pays. Son ancien camarade de jeu s’en était bien sorti et se révélait être un bon Souverain. Ces constatations lui avaient suffi durant ces dernières années. Et maintenant, il savait à quel point l’Empereur était bien plus que ça. Il s’investissait dans son rôle, il s’intéressait de très près aux affaires du peuple, se mêlait à eux comme un citoyen lambda, leur venait en aide en se montrant désintéressé de toute récompense. Et il prenait très à cœur leur bien-être. Zhen YuJin se sentait vraiment fier d’avoir pu le côtoyer ces derniers jours et d’avoir pu refaire sa connaissance sous les traits de Zhang JingXi, le Cultivateur Itinérant.

     Le Maître du Feu resta un moment perdu dans ses pensées et ses souvenirs. Il finit par se relever et quitta les lieux, sans trop savoir où aller. Il laissa son instinct le guider et ce dernier le mena vers l’un des autres jardins entourant le pavillon impérial. Ses pieds s’arrêtèrent devant un haut mur, recouvert de plantes grimpantes. Il tendit une main, ses doigts effleurèrent une pierre apparente présentant une cavité vide, en même temps que ses yeux se baissaient sur la trappe devant ses pieds. Elle était parfaitement visible et exposée, mais à l’époque elle était soigneusement cachée par un faux tapis d’herbe, tandis que l’emplacement pour le talisman se retrouvait dissimulé par les plantes. S’il appliquait un certain talisman de pierre dans le creux, la trappe s’ouvrirait aussitôt sur un escalier. Ce dernier menait à un tunnel qui descendait en secret tout le long du tertre, puis passait sous la ville. La sortie se trouvait hors de ZhenShen, dans une cabane qui paraissait abandonnée, fermée à quiconque ne possédait pas le laissez-passer adéquat. Ce fameux jour de Nouvel An, lorsqu’il était parti se promener en ville avec son Précepteur et Ming XiWang, ils étaient passés par ici. Il avait emprunté à nouveau le chemin, quelques heures plus tard, en compagnie de Chan YinMai. Pour fuir.

     Machinalement, dans un état un peu second, Zhen YuJin glissa une main dans sa manche et en extirpa un talisman de pierre. Il le contempla en le faisant tourner entre ses doigts, perdu dans ses pensées. Celles-ci furent interrompues lorsqu’il sentit une présence se rapprocher dans son dos. Il se retourna pour voir l’Intendant venir à sa rencontre. Le Musivateur lui adressa aussitôt une respectueuse révérence :

     — Maître YiShi ! Pardonnez-moi, tantôt je ne vous ai pas salué correctement.

     Arrivant à sa hauteur, l’ancien Précepteur lui fit signe de se redresser :

     — Allons, allons, même si vous voulez vous délester de votre titre, je ne puis accepter que vous vous incliniez devant moi. De plus, les circonstances n’étaient guère à la politesse.

     Son regard se porta sur le rectangle de pierre, toujours serré dans les mains du Maître du Feu. Ce dernier observa l’objet un instant, avant de le lui tendre :

     — Je crois qu’il est temps pour moi de vous le rendre. C’est celui que Chan YinMai et moi avons utilisé, lorsque nous nous sommes enfuis.

     — Et vous l’avez gardé tout ce temps… ?

     — Je ne pouvais me résoudre à l’abandonner n’importe où.

     Au lieu de prendre le laissez-passer, l’Intendant replia les doigts de Zhen YuJin autour de lui :

     — Conservez-le pour le moment et parlez-en avec Ming XiWang. Je m’attends toutefois à ce qu’il vous suggère de le garder soigneusement.

     Sans insister davantage, le Musivateur rangea à nouveau l’objet dans sa manche, tout en demandant d’une voix teintée d’inquiétude :

     — Comment va-t-il ?

     D’un geste, YiShi Shen l’invita à l’accompagner pour une promenade dans les jardins alentour :

     — Il était toujours sans connaissance, au moment où je suis parti. Néanmoins, Dame HengXing affirme avoir la situation sous contrôle et m’a précisé qu’il valait mieux pour lui être endormi durant l’extraction du poison. Elle et le Chef de Clan ont déjà réussi à en retirer une partie, ils continuent avec patience.

     Zhen YuJin hocha la tête, tout en se tournant machinalement vers le pavillon impérial dont le toit était visible depuis sa position. Malgré son envie d’y retourner, même si ça signifiait ne rien pouvoir faire à part regarder la médecienne agir, il se cala sur le rythme de l’Intendant en le suivant. Paisiblement, ce dernier s’aventura en direction du jardin préféré de l’Impératrice WangZi, à l’époque de son vivant. Une partie du chemin se composait d’une succession d’arches sur lesquelles poussaient de belles glycines, offrant un tunnel de verdure qui sentait très bon, lors des saisons estivales. Pour l’heure, les fleurs n’étaient guère présentes, néanmoins le Musivateur apprécia de s’engager dans ce couloir couvert par les branches. Tout avait beaucoup grandi depuis son enfance. Avec une certaine joie, il constatait que les jardins n’avaient pas beaucoup changé.

     — Nous avons du temps à tuer. Voulez-vous me parler un peu plus précisément de ce qu’il s’est passé, cette nuit-là ?

     Croisant les mains dans le dos, Zhen YuJin leva le visage vers le ciel grisonnant. Ils étaient encore en pleine journée, l’après-midi commençait à peine, mais il avait la sensation d’avoir vécu trois jours en un seul. Il réfléchit à la proposition de YiShi Shen, puis hocha la tête, estimant qu’en effet, il n’avait absolument rien d’autre à faire.

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Illustration réalisée par Druide Lunaire, pour ce chapitre : https://www.instagram.com/p/C7qcO5rM22Q/

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