Partie 2 - Chapitre 7

Notes de l’auteur : Attention. La version que vous lisez sur les différentes plateformes de lecture est une version non corrigée (elle contient encore des fautes d’accord, de syntaxes, des maladresses diverses sur les tournures de phrases.)

Bonne lecture !

     Apercevant le regard préoccupé et interrogateur du Musivateur, HengXing ShanYao lui sourit :

     — Pas d’inquiétude, l’état de l’Empereur est toujours stable. Ma sœur m’a mis dehors parce que je ne lui servais plus à rien.

     Il désigna une direction d’un signe de tête, tandis que le Maître du Feu soupirait intérieurement de soulagement.

     — Le Seigneur Jian Lin et les autres sont revenus.

     Aussitôt, YiShi Shen et Zhen YuJin échangèrent un regard. Le Chef de Clan continua :

     — Ils nous attendent dans le pavillon du Capitaine, si vous n’y voyez pas d’inconvénient. Nous devrions pouvoir converser en toute tranquillité.

     L’Intendant acquiesça machinalement, puis se mit en marche, ouvrant la voie à leur trio. En passant près du pavillon impérial, Zhen YuJin ne put s’empêcher de tourner la tête vers la porte d’entrée. À cet instant, il souhaitait secrètement ignorer la réunion qui s’annonçait, ne pas se préoccuper du problème du souterrain et des meurtres. Il voulait retourner aux côtés de son Amour et s’assurer qu’il se réveillerait. Il se détourna de ces pensées en songeant qu’il serait bien plus utile à Ming XiWang en avançant sur cette affaire, qu’en étant à son chevet. Plus ils arriveraient à la gérer, moins l’Empereur aurait à s’en soucier lorsqu’il reprendrait connaissance.

     Ils prirent la direction du quartier des invités qui se situait non loin des jardins privés de Sa Majesté, puis continuèrent leur route jusqu’à une poignée de bâtiments inconnus de Zhen YuJin. Un simple coup d’œil lui permit de comprendre que ces pavillons étaient récents. Il s’agissait de plusieurs habitations et il supposa qu’elles appartenaient aux personnes de confiance de l’Empereur. Il y en avait trois. Les portes et les fenêtres de la première étaient fermées comme si la personne n’occupait que très rarement les lieux. YiShi Shen lui montra discrètement la deuxième :

     — Si à un moment je ne suis pas avec vous et que vous me cherchez, j’habite ici à présent.

     Il faillit lui demander pourquoi il ne vivait plus dans la maison qu’il lui connaissait dans son enfance. La question refusa pourtant de franchir ses lèvres. Après le récit que son ancien Précepteur lui avait raconté sur Ming YanShi, il songea que YiShi Shen avait certainement été chassé de sa maison pour être relégué dans le bâtiment avec tous les autres domestiques. Sa demeure avait probablement été réquisitionnée pour autre chose. Selon à quoi elle avait servi durant le règne du Tyran, l’Intendant n’avait sûrement pas eu envie d’y retourner par la suite.

     Quant au troisième pavillon, la porte était ouverte et il entendait des voix à l’intérieur. Arrivé le premier sur le seuil, HengXing ShanYao toqua contre le battant en annonçant leur présence.

     — Entrez, entrez ! les invita chaleureusement Jian Lin. Ne faites pas attention au désordre, je vous prie.

     L’entrée donnait directement sur une petite cuisine toute simple. Au milieu, une table en bois se dressait, assez grande pour deux ou trois personnes, mais pas davantage. Le Maître des lieux débarrassa une assiette et un verre vide et les déposa dans l’évier en pierre, en attendant de faire sa vaisselle, ce qui surprit le Maître du Feu. Il avait supposé que le Capitaine des Gardes allait chercher, ou se faisait porter, ses repas depuis les cuisines officielles du Palais. Apparemment, il lui arrivait aussi de se les préparer, s’il en croyait les placards pleins et les ustensiles. Le four servait de façon régulière, s’il se fiait à son usure, tout comme la marmite rangée avec soin à côté du fourneau. Et même si leur hôte mentionnait du désordre, en réalité la pièce était plutôt bien ordonnée et entretenue. Apercevant le balai appuyé dans un coin, le Musivateur se demanda si des serviteurs passaient pour l’entretien de la maison, ou si le Capitaine faisait lui-même le ménage.

     — Excusez-moi, je n’ai pas beaucoup de places, reprit Jian Lin. Venez vous asseoir, Seigneur YiShi.

     Il tira une chaise pour l’Intendant et approcha la deuxième pour le Chef de Clan qui le remercia en prenant place. Le Capitaine préféra rester debout, tandis que Hei TaiYang s’adossait contre un mur, les bras croisés. Chan YinMai avait jeté son dévolu sur un rebord de fenêtre où il s’assit en laissant assez de place à Zhen YuJin pour qu’il puisse s’installer à côté de lui.

     — Comment tu te sens ? lui chuchota le Médium en le dévisageant. Tu as l’air encore remué.

     Son meilleur ami haussa légèrement les épaules, puis répondit dans un murmure tandis que leur hôte fermait la porte :

     — Ça va… Je suis surtout inquiet, j’ai hâte qu’il se réveille.

     Chan YinMai hocha la tête avec compassion et lui tapota légèrement le dos pour le réconforter. Le geste fut simple, pourtant le Musivateur sentit ses épaules se détendre légèrement. Il tenta de reléguer son bien-aimé dans un coin de son esprit et focalisa son attention sur Jian Lin qui se tenait au milieu de la cuisine.

     — Bien, nul besoin de tourner autour du pot. Nous avons réussi à avoir accès à la troisième salle et malheureusement, elle n’était pas vide, loin de là.

     Il pivota légèrement vers Chan YinMai qui acquiesça aussitôt en prenant le relais :

     — Il y a beaucoup de similitudes avec Jinhar, cette fois-ci. Personne n’a été égorgé et, à première vue, il y a presque autant de Cultivatrices et de Cultivateurs que de gens sans capacités particulières. Cette fois-ci, il y avait une nette distinction entre les deux groupes.

     — Néanmoins les civils n’avaient pas reçu pour autant le traitement respectueux de Jinhar, compléta Hei TaiYang. Demoiselle HengXing pourra sûrement confirmer, mais je crois que nous sommes sur des opérations qui ont eu lieu juste avant qu’elles ne continuent par chez nous. Je mise toujours sur un à deux ans, pas plus.

     L’Intendant fronça les sourcils en pianotant sur la table. Au moins, ils avaient tous la confirmation que les deux villes étaient bel et bien liées dans cette sombre affaire de meurtres et de disparitions. Et pour une raison inconnue, les assassins avaient changé de ville.

     — Est-il possible de savoir si une ou plusieurs familles ont déménagé dans le laps de temps qui nous intéresse ? suggéra Zhen YuJin.

     La grimace du Capitaine fut une première réponse. YiShi Shen secoua négativement la tête :

     — Nous pouvons toujours essayer d’interroger les gens, mais trouver une réponse fiable sera aussi difficile que chercher une aiguille dans une botte de foin. Le peuple va-et-vient à sa guise et la Capitale est trop grande pour connaître précisément tous les habitants qui y vivent ou non.

     Posant un coude sur la table, le menton calé dans le creux de sa main, HengXing ShanYao proposa à son tour :

     — Jinhar est plus petite et presque tout le monde connaît mon Clan, nous intervenons souvent dans le secteur. Peut-être aurions-nous plus de chance en interrogeant les habitants là-bas ?

     Son Maître d’Armes grogna en levant les yeux au ciel :

     — On a vu le résultat quand on a tenté de savoir où se cachaient nos assaillants, personne ne savait rien !

     — … C’est vrai, concéda le Chef de Clan avec un léger soupir désappointé.

     Silencieux, Zhen YuJin contempla le bout de ses chaussures, toujours assis sur le rebord de fenêtre. Après un instant d’hésitation, il releva la tête et se risqua à prendre la parole :

     — Peut-être l’approche a-t-elle été trop directe ?

     Hei TaiYang fronça les sourcils en portant son attention sur lui, tandis que HengXing ShanYao pivotait sur sa chaise pour mieux le regarder.

     — Je veux dire, à chaque fois que nous avons pu avancer dans cette histoire, c’est parce que Ming XiWang allait chercher les informations. Mais il ne pose pas des questions au nom d’un Clan, il trouve toujours le moyen d’attirer la sympathie et de là il arrive à faire parler les gens.

     — C’est vrai, mais Sa Majesté n’est pas en état de nous aider actuellement, fit remarquer le Capitaine en regardant fixement le Maître du Feu.

     Celui-ci eut l’impression de déceler un léger reproche dans ses yeux, il se demanda ce qu’il avait pu dire pour le contrarier.

     — Ceci étant dit, reprit le Chef de Clan, ce que propose Maître Zhen est loin d’être idiot. Nous sommes frontalement intervenus dans les familles des coupables connus, un peu plus de subtilité aurait peut-être été bienvenue.

     Il sourit en voyant le visage rembruni de Hei TaiYang :

     — Ne le prends pas personnellement. Aucun de nous n’a pensé que nous pourrions être plus discrets.

     — Est-ce qu’on va retourner à Jinhar ? s’enquit Chan YinMai en croisant les jambes.

     Bien que sa question s’adresse à tout le monde, ses yeux s’étaient posés sur HengXing ShanYao. Celui-ci le dévisagea un instant, avant d’arborer un air songeur. L’Intendant en profita pour prendre la parole :

     — Si vous retournez là-bas, Sa Majesté ne pourra pas être de la partie avant un moment. En admettant qu’il se remette rapidement de sa blessure, il serait tout de même préférable qu’il ne reprenne pas la route tout de suite.

     Il ponctua sa phrase par un coup d’œil machinal en direction de Zhen YuJin qui opina du chef, tout à fait d’accord avec ses propos. Il imaginait déjà le moment où il allait devoir convaincre son bien-aimé de se tenir tranquille.

     L’échange silencieux n’échappa pas à Jian Lin dont les yeux firent quelques allers-retours entre les deux hommes, intrigué par ce lien qu’il devinait entre eux.

     — Je ne pense pas que nous aurons besoin de retourner enquêter là-bas, pour le moment, reprit le Chef de Clan d’une voix lente. Nos ennemis sont en train de se cacher. Je ne suis pas sûr que nous pourrons les retrouver si facilement, même en la jouant comme Sa Majesté et en faisant copain-copain avec les gens. Sans compter que nos cibles sont peut-être déjà parties, je vous rappelle que les Xue semblent avoir quitté la ville.

     — Et un marchand également, renchérit Hei TaiYang. J’ai reçu un rapport tantôt, le magasin de vin est fermé depuis plusieurs jours et les disciples ont trouvé ça étrange. Mais personne ne sait où il est allé.

     Un silence découragé s’abattit dans la pièce.

     Ils se trouvaient dans une impasse. Ils avaient des corps sur les bras et une poignée de coupables qui s’étaient enfuis sans laisser de traces.

     — Au fait, Capitaine Jian.

     L’intéressé porta son attention sur HengXing ShanYao qui venait de l’interpeller. Distrait, Zhen YuJin écouta l’échange, tout en observant un tableau accroché sur l’un des murs.

     — Hier, vous m’avez dit qu’il serait mieux de faire rapatrier les dépouilles de Jinhar, jusqu’ici. À défaut de savoir comment coincer les coupables, peut-être pourrions-nous nous mettre d’accord sur ce que je dois faire à ce sujet ? Dois-je donner des instructions à mes disciples ?

     L’air ennuyé, le Capitaine croisa les bras en avouant :

     — Je n’ai pas eu l’occasion d’en parler à nouveau avec l’Empereur et de savoir ce qu’il pouvait en penser.

     Il se tourna vers l’Intendant, interrogateur, pour savoir si ce dernier avait eu des informations de son côté. YiShi Shen répondit par la négative dans un premier temps, avant d’observer le Maître du Feu qui semblait perdu dans ses pensées.

     — Nous pouvons toutefois prendre la décision dès à présent sur ce qu’il convient de faire, je ne pense pas que Sa Majesté nous en voudra. Seigneur Zhen, quel est votre avis sur la question ?

     Surpris, le Musivateur décrocha ses yeux du tableau — un paysage hivernal réalisé par Zhang JingXi, il en aurait mis sa main à couper — et porta son attention sur l’Intendant :

     — Maître YiShi ? Pardon, je n’écoutais pas.

     — Votre avis, sur les corps actuellement à Jinhar. Devons-nous les ramener ici, maintenant, ou non ?

     Zhen YuJin cligna des yeux, se demandant pourquoi l’Intendant s’adressait à lui en particulier et avec ce titre précisément. Qu’ils veuillent régler la question dès à présent ne le dérangeait aucunement, mais il n’estimait pas être le plus apte à prendre la moindre décision concernant une affaire aussi importante. Il n’était ni l’Empereur, ni le Capitaine des Gardes, ni un Chef de Clan. Et il n’eut pas besoin de regarder ces deux derniers pour savoir qu’ils étaient tout aussi pris de court que lui.

     Jian Lin se posait effectivement de plus en plus de questions sur cet homme. Son attitude l’avait déjà interpellé, la veille. Il ne réagissait pas comme les autres personnes. Et sa familiarité avec l’Empereur le laissait des plus perplexes. La veille, il pouvait trouver des explications logiques, Sa Majesté s’était jointe à eux en adoptant sa tenue de civil et à ce moment-là, les deux Musivateurs ignoraient encore toute la vérité. Il se moquait bien que l’individu entretienne ou non une relation avec Ming XiWang, leurs histoires privées ne le concernaient pas. Par contre, la vérité avait à présent éclaté au grand jour et pourtant le Musivateur ne se comportait pas normalement à ses yeux. Chan YinMai avait immédiatement corrigé son attitude, lorsqu’ils étaient repartis tous les deux vers les souterrains, il avait parlé de Ming XiWang en l’appelant par son titre. Rien de plus normal.

     Mais cet homme-là… Qu’il soit intime, ou non, avec Sa Majesté ne lui octroyait pas le droit de parler de lui en l’appelant simplement « Ming XiWang » devant eux. Il le faisait pourtant, le plus naturellement du monde et sans prendre conscience de son erreur, comme si elle ne lui venait même pas à l’esprit. Les seuls qui s’autorisaient une telle familiarité étaient lui-même et Lan ShenMei et seulement dans des circonstances particulières. Ils se connaissaient tous trois depuis des années, avaient comploté ensemble et se considéraient comme des frères spirituels. Sans compter qu’ils se parlaient sans mentionner leurs titres uniquement lorsqu’ils étaient réunis entre eux. Le reste du temps, lui-même et Lan ShenMei se montraient très respectueux envers Sa Majesté, surtout en public.

     Ce qui ennuyait également le Capitaine était qu’il connaissait l’Empereur depuis assez longtemps pour être certain de n’avoir jamais vu le Maître du Feu dans son entourage, jusqu’à hier. Même s’ils s’étaient rapprochés durant leur voyage, Zhen YuJin ne pouvait tout bonnement pas se permettre de se montrer aussi irrespectueux envers son Souverain !           Étrangement, l’Intendant ne le corrigeait pas non plus et semblait même tenter de lui donner un rôle ou une importance qu’il n’était pas censé avoir.

     D’ailleurs, même le relationnel entre le Musivateur et le bras droit de Ming XiWang l’interpellait. Tout le monde appelait ce dernier « Seigneur YiShi », sauf ce Zhen YuJin qui, encore une fois, donnait un autre nom et l’affublait d’un « Maître YiShi » qui semblait tout à fait naturel dans sa bouche. Qui semblait respectueux alors même qu’il le rétrogradait en agissant de cette manière. Et le concerné ne semblait absolument pas s’en formaliser.

     Pourtant, Zhen YuJin paraissait être un individu bien éduqué et cultivé. Alors, comment expliquer ces erreurs ?

     Et pourquoi l’Intendant s’adressait-il à lui comme s’il avait réellement son mot à dire ? Bien sûr, son opinion comptait. Mais la façon dont le Seigneur YiShi venait de l’interpeller donnait l’impression que la parole du Musivateur aurait autant de poids que la sienne. D’où sortait donc cet homme et qui était-il en réalité ?

     HengXing ShanYao se tapotait pensivement le menton, les yeux tournés vers le Maître du Feu qui semblait tout aussi pris de court que lui et le Capitaine. Il commençait aussi à se poser des questions et se demanda si l’Intendant avait reçu des instructions de la part de l’Empereur, concernant Zhen YuJin. Ils se connaissaient depuis peu, pourtant le Musivateur semblait avoir déjà un statut hautement privilégié qui, il en aurait mis sa main à couper, ne s’expliquait pas juste par le fait qu’ils avaient probablement couché ensemble. Il risqua un coup d’œil en direction du YiShi Shen qui attendait la réponse de l’homme assis à la fenêtre.

     Mal à l’aise, Zhen YuJin se passa une main dans la nuque :

     — Je ne suis pas sûr d’être apte à pouvoir répondre à…

     — Bien sûr que si, l’interrompit l’Intendant d’une voix ferme. Je vous demande de nous donner votre opinion. Que pensez-vous que nous devons faire ?

     Le Chef de Clan ne put s’empêcher d’échanger un regard étonné avec le Capitaine. Tous deux se demandaient pourquoi le Seigneur YiShi insistait puisque même l’interpellé ne semblait pas comprendre. D’ailleurs, ce dernier glissa un regard en direction de Chan YinMai, l’air peu sûr de savoir ce qu’il devait faire. Le Médium lui répondit par une esquisse de sourire et un très léger hochement de tête d’encouragement. À ce moment-là HengXing ShanYao se dit que son imagination ne lui jouait pas des tours. Zhen YuJin devait être particulier, d’une façon ou d’une autre. C’est à lui que l’Intendant s’intéressait et uniquement à lui, puisqu’il ne demandait rien à Maître Chan.

     Résigné, Zhen YuJin prit le temps de la réflexion, avant de finalement ouvrir la bouche :

     — Si je récapitule ; à l’heure actuelle, nous avons quelques noms de coupables, mais nous ignorons où ils sont. Nous supposons qu’ils sont tout un groupe et non juste une poignée de cinq individus. Nous avons également Ming XiWang blessé et nous ignorons totalement dans quelles circonstances il a été agressé, si nos ennemis en sont responsables ou non. Si c’est le cas, nous devons supposer qu’une partie d’entre eux se trouvent en ce moment dans la Capitale.

     Attentif, le Capitaine acquiesça.

     — Acheminer les dépouilles jusqu’ici, même en communiquant le moins possible dessus, ne va pas être discret du tout, reprit le Maître du Feu en fronçant légèrement les sourcils de concentration. Même si nous n’expliquons rien, même si nous ne donnons aucune identité, les déplacer va attirer l’attention. Les gens vont se montrer curieux et un bouche-à-oreille risque de se créer alors et de donner envie au peuple de se rassembler à ZhenShen. Si nous voulons pouvoir enquêter correctement, que ce soit ici ou à Jinhar, nous avons besoin des coudées libres et non de créer un rassemblement de personnes. Dans l’hypothèse où nos ennemis sont ceux qui ont blessé Ming XiWang, nous devons éviter de leur donner l’occasion de se fondre encore plus dans la foule. La Capitale est déjà bien assez grande et suffisamment peuplée comme ça, évitons de leur faciliter encore plus la tâche.

     Il tourna les yeux vers l’Intendant et acheva calmement :

     — Donc, pour répondre à votre question, je pense que pour le moment, il vaut mieux attendre encore un peu. Et quand Ming XiWang se réveillera, il pourra nous dire qui l’a attaqué. Si ce sont nos cibles, il nous faudra alors trouver un moyen d’enquêter discrètement pour savoir où elles se cachent.

     Jian Lin n’avait pipé mot durant la prise de parole de Zhen YuJin. Il nota que si ce dernier avait rechigné à s’exprimer de prime abord, il s’était ensuite exprimé avec calme et précision, avec un raisonnement qui se tenait.

     YiShi Shen hocha la tête, puis s’adressa au Chef de Clan et au Capitaine :

     — Cette réponse est-elle à votre convenance, Messieurs ?

     Les deux hommes échangèrent un nouveau regard, avant d’acquiescer.

     — Que faisons-nous, à présent ? interrogea alors le Maître d’Armes. On tente de poser des questions en ville ?

     — Ma foi, il me semble que pour le moment, c’est tout ce que vous pouvez effectivement faire, approuva l’Intendant en se levant de sa place. Si personne n’a rien d’autre à ajouter, je suggère qu’une partie d’entre vous se rende dans les rues pour…

     — Attendez.

     L’ancien Précepteur se tut aussitôt. Les regards convergèrent en direction de Chan YinMai qui venait de parler. Le Médium fixait la cheminée et plus précisément le seau à charbon juste à côté.

     Déjà débout, HengXing ShanYao sentit un petit frisson d’excitation le traverser. Il avait entendu parler des capacités du Médium, sans avoir vraiment l’occasion de le voir à l’œuvre. Se demandant si que quelque chose d’intéressant risquait de se produire, il porta toute son attention sur lui tout en appuyant sa hanche contre le bord de la table et croisa les bras.

     Le Capitaine retint un instant son souffle, se demandant si cet étrange voyant avait encore une vision, avant de constater qu’il n’arborait pas le regard dans le vague de la veille. Curieux, il l’observa et soutint son regard lorsque ses yeux violets croisèrent ses prunelles grises.

     — Seigneur Jian, vous travaillez en parallèle sur une autre affaire, il me semble, commença Chan YinMai. Vous avez eu du nouveau au sujet du vol chez l’apothicaire ?

     — Malheureusement non. Mes hommes cherchent toujours à retrouver le remède et le voleur. Mais quel rapport ?

     Le Médium le dévisagea un moment, puis détourna la tête en réfléchissant :

     — Je n’en suis pas sûr, encore… Le Seigneur YiShi, Zhen YuJin et moi-même sommes déjà au courant, mais pourriez-vous expliquer ce qu’il s’est passé aux autres ? Tant qu’à faire, un rappel ne nous fera pas de mal non plus.

     Un peu étonné, mais ayant déjà compris qu’il valait mieux éviter de poser des questions, le Capitaine acquiesça et se lança dans le récit concernant les mines de ShanJing.

     Lorsqu’il acheva de tout leur reporter, HengXing ShanYao haussa les sourcils tandis que Hei TaiYang lançait sur un ton agacé :

     — Attendez une seconde, vous êtes en train de nous dire que ce charbon modifié a failli tuer des gens parce que vous n’aviez aucun remède officiel ? Comme par hasard, l’Empereur s’est fait empoisonner par un produit qui n’a pas de contrepoison connu ? C’est un peu gros pour être une coïncidence…

     Réalisant à quel point la remarque se voulait pertinente, Jian Lin opina du chef tout en s’en voulant de ne pas avoir fait le lien plus tôt. Avec les découvertes dans les tunnels et l’état de Ming XiWang, il avait relégué au second plan le problème du village de ShanJing. Il lança un regard d’excuse en direction de l’Intendant, mais ce dernier ne le remarqua pas, perdu dans ses réflexions.

     — Voilà qui est intéressant, finit par commenter YiShi Shen. Cette affaire semble plus complexe encore que nous le pensions. Nous avons effectivement deux cas d’empoisonnements sans remède déjà existants. Et celui préparé par l’apothicaire a été volé par quelqu’un capable de se cacher aussi efficacement que les personnes que nous recherchons.

     — Si nous sommes sur un même produit, le contrepoison de cet apothicaire aurait peut-être pu servir à sauver Ming XiWang, compléta Zhen YuJin. Ou alors, le voleur est ce Lan ShenMei ? Puisqu’il a pu nous donner directement de quoi le soigner…

     — Non, trancha immédiatement le Capitaine d’une voix ferme.

     Il appuya sa phrase d’un sec mouvement de bras qui ne tolérait aucune protestation.

     — Je le connais, il n’aurait jamais volé quoi que ce soit sans me tenir au courant.

     — Peut-être, risqua le Chef de Clan, mais tout à l’heure vous n’étiez même pas au courant qu’il se trouvait en ville. Il n’a peut-être pas eu le temps de vous prévenir…

     — Ou alors, votre gugusse n’est pas si fiable que ça, renchérit froidement le Maître d’Armes. Après tout, d’après ce que vous m’avez raconté, il a littéralement sorti un antidote de ses manches et il était au courant, on ne sait pas comment, de la blessure de l’Empereur ! Ça tombe un peu trop bien à mon sens…

     Les yeux gris de Jian Lin s’assombrirent de colère, il se tourna franchement vers les deux membres du clan HengXing :

     — Permettez-moi de vous rappeler, Messieurs, que je connais très bien Lan ShenMei. Si je dis qu’il n’aurait pas commis un tel vol sans m’en parler, c’est que c’est le cas ! Je ne suis certes pas au courant de toutes ses actions, mais celle-ci n’aurait aucun sens ! Pourquoi irait-il prendre le remède chez cet apothicaire, pour ensuite nous le donner ? Ce n’est pas dans sa façon d’agir. S’il s’agissait du même produit, il aurait trouvé un moyen de me le faire savoir. Et quand bien même, s’il s’agissait du même contrepoison, serait-ce un problème ? Il nous a aidés. En dehors de sa Majesté, il est la personne la plus fiable que je connaisse.

     L’Intendant leva ses deux mains pour apaiser l’atmosphère :

     — Jeunes gens, calmez-vous, je vous en prie.

     HengXing ShanYao, toujours debout près de la table, s’empressa de s’incliner légèrement devant le Capitaine :

     — Je vous présente mes excuses, Seigneur Jian, je ne souhaitais pas mettre en doute son comportement. La coïncidence est troublante, mais vous avez raison, l’essentiel est d’avoir obtenu son aide. Nous ne voulions pas l’accuser.

     Il lança un coup d’œil en direction de son Maître d’Armes qui affichait clairement une expression contraire. Le Chef de Clan soupira, puis afficha un sourire contrit :

     — Veuillez pardonner Hei TaiYang, il se méfie de tout le monde.

     L’intéressé roula des yeux et s’inclina avec mauvaise grâce devant le Capitaine dont le visage restait néanmoins fermé.

     Chan YinMai décida d’intervenir à cet instant, espérant achever de calmer l’ambiance tendue qui venait de s’installer. D’une voix très calme, il reprit la parole :

     — Seigneur Jian, tantôt vous nous avez effectivement beaucoup parlé de cet homme. En ce qui me concerne, je lui fais confiance et je n’ai pas oublié qu’il m’a également sauvé la vie. Déjà, à Jinhar, il possédait un remède qui a retiré la paralysie dont j’étais victime. J’ignore où il se procure ces antidotes, toutefois je ne peux m’empêcher de trouver que là aussi nous faisons face à une curieuse coïncidence. Cela commence à faire beaucoup de poisons étranges et de remèdes miracles, alors je me demande si tout n’est pas encore plus simple que nous le pensons.

     Bien que toujours contrarié, Jian Lin observa le Médium et lui fit signe de continuer sur sa lancée. Ce dernier pencha légèrement la tête sur le côté en le dévisageant en retour :

     — Je vous crois lorsque vous dites qu’il n’est pas celui qui a volé le remède de l’apothicaire. Toutefois, j’aimerais savoir s’il est possible que ce Lan ShenMei soit actuellement en train de travailler sur la même affaire que nous, sans que vous ayez été mis au courant au préalable ?

     — Oui, admit aussitôt le Capitaine. Je sais que l’Empereur est parti avec vous pour enquêter sur les disparitions dont il avait entendu parler. Il m’avait brièvement informé, tout en me disant de ne pas m’en soucier de mon côté. Il n’est pas impossible que Lan ShenMei l’ait rejoint en cours de route, surtout si vous l’avez brièvement croisé à Jinhar. Il habite dans le secteur et s’il a su que l’Empereur passait dans le coin, il est fort possible qu’il lui ait proposé son aide.

     Après un instant de silence, il ajouta :

     — Dans la mesure où peu de choses lui échappent, il est même probable qu’il ait commencé à comprendre ce qu’il se passait un peu avant nous et ait suivi un chemin parallèle.

     Pensif, Chan YinMai acquiesça :

     — Auquel cas, il a pu réussir à avoir des informations de son côté, je suppose… Peut-être même davantage.

     — À quoi tu penses ? demanda Zhen YuJin.

     Les bras croisés, il observait son meilleur ami dont le cerveau semblait tourner à plein régime, dans un mélange de logique et d’intuition.

     Le Médium esquissa un sourire en lui jetant un coup d’œil, avant de regarder les autres personnes dans la pièce :

     — En fait, je me demande si le poison de Jinhar ne serait pas le même que celui qui a blessé l’Empereur. Et s’il ne s’agirait pas de la même toxine qui a failli tuer les Gardes Impériaux à ShanJing, lorsqu’ils ont respiré la poussière des charbons présents sous le cimetière. J’ignore si les trois sont réellement liés, mais ça fait toujours deux poisons où personne ne possédait de remède officiel. Et deux antidotes étranges en possession de Lan ShenMei. Ne serait-ce pas logique si tout ceci était finalement lié ?

     Il se désigna :

     — Dans mon cas, le produit a été dilué dans l’eau. Hier, quand vous nous avez parlé de vos hommes, vous avez dit qu’après avoir respiré ces poussières, ils avaient été paralysés, exactement comme moi. Vous avez eu besoin de plusieurs Guérisseurs pour les aider à se rétablir. La différence réside dans le fait qu’eux ont failli mourir de cette inhalation, tandis que dans mon cas, je devais juste être incapable de bouger.

— C’est vrai, approuva Jian Lin. Mais pour Sa Majesté ? Il s’agissait d’une blessure à l’arme blanche. Et il n’a pas été paralysé… Enfin, pas à notre connaissance…

     — Exact, intervint HengXing ShanYao en réfléchissant. La lame a été empoisonnée et il est difficile de savoir quels ont été ses symptômes. Toutefois, en suivant la logique de Maître Chan, si l’antidote reçu à Jinhar est identique à celui fourni à l’Empereur, on peut supposer que la toxine est la même à l’origine. Mais on peut également la lier aux mines, puisque comme l’a fait remarquer Hei TaiYang, dans les deux cas nous étions face à un poison auquel il n’y avait pas d’antidotes.

     Jian Lin claqua soudain dans ses doigts, comme s’il venait d’associer plusieurs éléments ensemble dans son esprit. Il quitta soudain la cuisine en annonçant qu’il revenait aussitôt et disparu dans une autre pièce de la maison.

     L’Intendant quitta sa place et s’étira :

     — Je ne sais pas pour vous, jeunes gens, mais je vais profiter de cette pause pour aller nous chercher à boire. Je ne serai pas contre une tasse de thé. Ou quelque chose d’un peu plus fort. Venez, Zhen YuJin, accompagnez-moi.

     Sentant les regards se braquer sur lui à nouveau, le Musivateur se leva de son bord de fenêtre en acquiesçant et suivit YiShi Shen à l’extérieur de la demeure.

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Illustration par Druide Lunaire : https://www.instagram.com/p/C969um5NjHl/

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