9. Emmitoufler
— Quel est le protocole contre les zombies de bureau ?
— Un coup dans la tête, on brûle le corps, et on oublie pas l’ordinateur !
— Bien! Et maintenant, qui me donne celui contre les encombreurs ?
— Euh. Une… euh… un coup d’épée, catégorie 2 minimum ?
— Pas du tout. Les encombreurs d’esprits, voyons, c’est facile !
— Ah oui, pardon! On a besoin d’une couette de même niveau que l’encombreur, d’une tasse de boisson chaude. On s’emmitoufle dans la couette, et on boit la boisson. Comme les encombreurs d’esprit sont persistants, on reste jusqu’à son départ.
— Bien! Et quelle est la subtilité?
— La musique. Il faut prendre la bonne, parce que si on prend une musique mal choisie, l’encombreur devient plus fort !
— Bien, bien. Dernière question, le protocole pour les Pénibles? Un indice, vous avez parlé d’un élément essentiel il y a quelques instants.
10. Les empreintes
J’enlève ma main de la paroi de la grotte, et regarde le résultat. Je vois chacune de mes phalanges, chacun de mes doigts, ma paume et ses longues lignes avec une netteté surprenante. Je ne sais pas pourquoi, mais cette image fait battre mon cœur, comme si cet acte impulsif me reliait aux artistes ancestraux, comme si ce geste s’ancrait dans une réalité intemporelle. Un frisson parcourt mon corps. Ici, sur cette planète perdue aux confins du cosmos, je viens de poser mon empreinte par dessus des dizaines d’autres aux formes énigmatiques. Alors, comme je l’espérais, la porte de pierre s’ouvre ; une lumière céruléenne s’en échappe. Sans prendre le temps d’essuyer le liquide brun qui me colle à la main, j’en franchis le seuil.
11. Obsidienne
Elle s’assit devant les cubes d’obsidienne, ces gigantesques structures lisses aux bords plus noirs que l’espace, et médita un instant. Les civilisations disparues laissent toujours tant de mystères. Pourquoi cette religion, pourquoi cet objet, pourquoi cette coutume. Mais surtout, pourquoi des cubes ? C’est joli, mais des pyramides, c’est mieux quand même. C’est objectivement, mathématiquement mieux. Heureusement pour ces cubes, elle n’avait pas d’avis esthétique à donner. Après un soupir de frustration, elle ratifia le classement du site en lieu protégé.
12. Dragon de compagnie
Le mage ajusta sa toge, alors que la reine entrait avec fracas.
— Majestée.
— Alors ?
— J’ai terminé le sortilège, et voilà le résultat.
À ses côtés, une femme aux yeux écarlates et à la robe orangée se tenait là, l’air humble et douce.
— C’était assez difficile de faire tout rentrer dans un corps aussi petit, mais j’ai réussi.
La reine le fusilla du regard, le mage déglutit. Elle n’aimait pas la vantardise.
— Elle sait faire tout ce qui était sur votre liste. Jouer de la harpe, avoir de l’humour, entretenir une conversation, danser et faire des gâteaux au citron. Et bien sûr, reprendre sa forme initiale si besoin. Il n’y a qu’un petit détail…
Le mage rétrécit sous le regard de la reine.
— La robe. Je n’ai pas trouvé comment faire pour qu’elle n’explose pas quand elle redevient dragon.
13. Près du feu
TW: violence "graphique"
Depuis sa fenêtre, il pouvait voir les soldats jeter les livres dans le brasier intense. Leurs gestes méthodiques n'avaient aucune haine, aucune émotion. L’officière qui supervisait l’opération se contentait d’observer la scène, comme si ce feu n’était qu’un feu. Comment pouvait-elle rester si indifférente ? Ce fut cette impression de mépris silencieux qui le décida. Il descendit les escaliers, franchit la porte de chez lui, et arriva jusqu’à elle. Il n’avait jamais été impressionnant, l’officière ne pensa même pas à lever son arme. Il était si près du feu, il sentait sa chaleur insupportable, sa puissance destructrice du fond des âges. D’une simple poussée, il se réappropria cette force. Le cri, l’odeur de viande grillée et le corps qui se tordait dans les flammes lui glacèrent le sang. Il réalisa alors, qu’ils avaient gagné.
14. Habit blanc
J’attache ma combinaison, vérifie les sécurités. Le dirigeable ouvre sa porte, je me lance tout de blanc vêtu, dans la mer de nuages. Du givre se forme sur les côtés de mes lunettes mais l’équipement tient bon. Le froid me grignote les joues, mais mon esprit, grisé par le vertige et la beauté du ciel nage en plein bonheur. Le système de stabilisation s’enclenche, je sors ma caméra, elle aussi peinte pour l’occasion. Ça y est. J’y suis, je les vois. Un troupeau d’éoléduses, leurs corolles immenses et leurs voiles éthérées se balancent doucement, dans un ballet de couleurs irisées.
15. Trahisons & complots
— J’ai fini mon projet de complot 101, toi aussi ?
— J’ai convaincu le prof de changer la date.
— Tu mens.
— Ah, et qu’est-ce qui te fait dire ça ?
— Car le prof, c’est moi !
— Impossible ! Je l’ai assassiné et remplacé par un sosie…
— Mais quel prof de complot n’aurait pas lui-même un sosie ? J’ai tué ton sosie de mon sosie !
— Mais alors si vous êtes le prof, et que le sosie de votre sosie est mort, qui nous fait cours ?
— Moi ? Mais je suis le traître, bien sûr. Prenez ça !
— Aaaaah !
— Vous racontez tous n’importe quoi ! Le cours de complot 101 n’existe pas ! C’est un faux cours, un faux professeur, et même une fausse école ! D’ailleurs, vous… Vous êtes de faux élèves !
— Misère ! Il a tout compris ! Tuez-le vite !
16. Givre
Elle posa sa main contre la vitre glacée. Le givre y dessinait ses motifs circulaires aux rayons allongés. Dehors, la neige couvrait la ville d’une ouate profonde, qui étouffait son habituel tumulte. Le froid ralentissait la vie, mais elle appréciait ce moment, protégée qu’elle était de sa morsure délicate. Elle ferma les yeux, et continua d’imaginer ce givre s’étendre, s’étendre, de la fenêtre au bout de la cité, de la cité aux confins du monde. Alors, elle sentit une main contre sa main, une chaleur douce, une présence réconfortante.
— Contemple ce froid tant que tu veux, mais ne le laisse pas prendre ton cœur.