Chapitre 30 : L'alerte
Albérac
Dépliant son mauvais genou avec une grimace, Albérac s’assit précautionneusement sur le bord du lit, puis se leva en s’étirant. Comme souvent, la douleur l’avait réveillé. Il traversa la pièce pour soulever le lourd rideau de brocard pourpre. La capitale était encore plongée dans le sommeil, pourtant la nuit se fatiguait, le noir devenait gris et les formes réapparaissaient. Une brume aurorale recouvrait Terce jusqu’au pied des Cimiantes. Çà et là, la pointe d’un toit émergeait, flottant dans les nuages. Un scintillement de l’air, un éclat délicat dans l’aube sans couleur annonçait l’or liquide des tout premiers rayons. L’aventurier aimait ces heures floues où le brouillard s’élève et s’évapore, révélant le jour neuf décoré de rosée. Il badigeonna son genou du baume donné par Ensgarde et s’habilla rapidement. Puis, il attrapa la besace contenant les carnets de croquis et de notes qu’il emportait partout, et emprunta l’escalier en colimaçon de la tour. La perspective de croiser des patrouilles de pélégris en sortant de la ville le contrariait, mais il refusait de se priver du bonheur de cette promenade. Il aurait rejoint la campagne avant que le premier rayon apparaisse.
Il descendit lentement, degré après degré, en laissant à sa jambe le temps de s’échauffer. Lorsqu’il atteignit l’étage inférieur, il remarqua que la porte palière était ouverte. Or, la tour de la lune — ainsi nommée, car sa girouette représentait les phases de l’astre — abritait les chambres de plusieurs ministres et celles de la famille royale, aussi les domestiques veillaient-ils à y préserver le calme. Albérac entendit des pas plus bas dans l’escalier. Quelqu’un quittait les lieux. Il voulut refermer le battant, mais il perçut des murmures et des déplacements feutrés dans le couloir, vers la chambre des princes. Oubliant son articulation douloureuse, il s’approcha silencieusement, sans se servir de sa canne. Le garde affecté à la porte de l’appartement des jumeaux depuis le début de la régence avait disparu.
En se faufilant dans l’antichambre entrouverte — ça non plus ce n’était pas habituel —, l’aventurier fronça le nez en humant une écœurante odeur de chair brûlée. De plus en plus inquiet, il jeta prudemment un œil dans la seconde pièce. Dans la pénombre, deux hommes s’affairaient autour du lit. Le premier passa les mains sous les épaules de Venzald qui ne réagit pas, et le second attrapa ses chevilles. L’instant d’après, ils soulevèrent le garçon et se dirigèrent vers la porte, sous les yeux effarés d’Albérac. Les jumeaux avaient été séparés ! Est-ce qu’ils étaient morts ? Sa stupeur était telle qu’il resta figé devant l’interstice jusqu’à ce que les porteurs n’en soient plus qu’à deux pas. Qui étaient ces hommes ? De toute évidence, ils ne voulaient aucun bien aux princes...
Il s’écarta derrière le battant, au moment où celui qui marchait à reculons franchissait l’ouverture. Il n’avait pas d’uniforme, mais à ses gestes et à sa stature, Albérac fut certain qu’il s’agissait d’un soldat. À sa ceinture brillait une dague ornée du blason de Cazalyne, comme celles des gardes royaux.
L’aventurier se décida en un éclair : il saisit le manche de l’arme et planta la courte lame dans le cou de son propriétaire qui s’écroula sans un cri en lâchant les jambes de Venzald. Ne laissant pas le temps à l’autre de réagir, il lui enfonça sa canne dans le ventre. Tandis que l’homme se pliait en expulsant le contenu de ses poumons, le maître d’étude le poignarda d’un mouvement ascendant dans le cœur. Il tendit la jambe pour intercaler son pied entre la tête du prince et le sol quand le soldat tomba.
Son genou craqua quand il s’accroupit pour examiner Venzald. Celui-ci respirait faiblement. Par les déchirures de la chemise apparaissaient les plaies du bras et de la hanche, à gauche. Les blessures ne saignaient pas. La chair à vif était couverte de cloques et de boursouflures brunes qui dégageaient une forte odeur de roussi. Le garçon paraissait étrangement tordu, dissymétrique, car l’épaule tranchée qu’il partageait jusqu’alors avec son frère était beaucoup moins large que l’autre. La douleur avait dû être épouvantable — pas étonnant qu’il ait perdu conscience, le corps avait fui la souffrance comme il pouvait —, mais celui qui avait commis cette boucherie avait probablement voulu éviter l’hémorragie. Il se précipita vers Themerid allongé sur le lit. Albérac plaqua son oreille sur le torse du prince. Le cœur battait très vite, s’arrêtait, repartait. Son corps protestait sous le choc des brûlures. Un petit filet de sang s’écoulait d’une des blessures noircies, formant une tache sombre qui s’élargissait sur le drap. Il saisit au hasard un vêtement qui traînait, et le noua autour des épaules du prince en guise de pansement.
Il fallait réfléchir vite, et bien. Son instinct lui enjoignit de ne pas donner l’alerte. Qui avait-il entendu quitter la tour, dans l’escalier ? Qui pouvait commander à ses soldats, qui avait écarté le garde de faction, sinon quelqu’un de l’intérieur ? Un ministre ? Bréol ? L’inquiétant Iselmar de Lans ? Ou le régent lui-même ? Albérac n’avait plus confiance en personne, depuis la mort du roi, et surtout pas en Abzal. Il savait que les desseins de l’Ordre allaient se préciser. Il avait gardé profil bas, tenant son rôle de maître d’étude désœuvré pour avoir une chance de rester près des princes et les conseiller au mieux. Après tout, leur père lui avait confié leur éducation. Malgré son esprit indépendant, il se sentait lié aux Kellwin. L’étrange revirement d’Abzal l’avait laissé déçu et interdit. Grandir dans l’ombre d’Einold, privé à jamais de la même destinée, avait creusé une faille chez le cadet, c’était perceptible. Mais de là à trahir le royaume entier, et ses neveux auxquels il semblait sincèrement attaché, c’était à n’y rien comprendre.
Quoi qu’il en soit, ils étaient en danger, il lui fallait les protéger, les éloigner d’ici sur-le-champ. Et il allait devoir agir seul. Il observa la cour par la fenêtre. Quelques silhouettes, valets ou garçons d’écurie, traversaient déjà la semi-obscurité. Quand le jour se lèverait, les lieux allaient grouiller de monde. Sans plus attendre, il chargea tant bien que mal Venzald sur son épaule, le recouvrit d’un manteau trouvé dans une malle puis descendit les escaliers le cœur battant, priant le ciel pour ne croiser personne. Protégé par la pénombre, il rasa le mur du château vers la cour arrière, jusqu’aux écuries. Dans leurs stalles, les chevaux mâchonnaient tranquillement leur ration du matin. Les palefreniers étaient donc déjà passés, ils ne devraient pas revenir avant un moment. Il continua vers la sellerie au fond du bâtiment, allongea Venzald dans un coin et disposa sur lui une couverture, en s’assurant qu’elle ne risquait pas de l’asphyxier.
– Pardon mon prince, pour ce traitement, murmura-t-il.
Il devait à présent repartir chercher Themerid. Cependant, il n’était pas sorti de la pièce qu’il entendit des pas sur les pavés de l’écurie.
Il s’immobilisa pour ne pas faire de bruit, espérant que le gêneur s’en irait vite, mais les légers claquements de semelles se rapprochaient de lui. Une petite silhouette à la chevelure flamboyante fit irruption dans la sellerie.
– Bonjour Maître Elric ! s’écria Alix avec un sourire surpris.
Que venait-elle faire là à une heure pareille ? Albérac aimait beaucoup son élève, mais sa présence ici était la dernière chose dont il avait besoin. Il s’efforça de rester calme, mais le temps pressait.
– Bonjour Demoiselle Alix, lâcha-t-il en espérant qu’elle n’allait pas remarquer l’essoufflement dans sa voix.
– Vous partez à cheval ? demanda la jeune fille en attrapant une poignée d’avoine dans un sac. Moi je suis passée voir ma jument avant de rendre visite aux jumeaux.
Il chercha une réponse qui l’encouragerait à quitter les écuries lorsque Venzald poussa un gémissement à fendre l’âme. Alix sursauta et se tourna vers le coin où Albérac l’avait allongé. Elle avisa la couverture qui remuait et, l’écartant sans hésitation, elle découvrit le prince horriblement blessé, agité de spasmes dans sa demi-conscience. Même de dos, Albérac devina qu’elle allait hurler. Il la ceintura en plaquant une main sur sa bouche.
– Alix ! Ne criez pas ! chuchota-t-il à son oreille.
Il l’obligea à se tourner vers lui. Dans ses yeux, il lut l’hésitation : devait-elle se réjouir d’être tombée sur lui, ou venait-elle de se jeter dans les griffes d’un fou furieux ?
– Ce n’est pas moi qui lui ai fait ça, je vous le jure.
Il ôta prudemment sa main. La fillette ne cria pas.
– Les garçons... ? articula-t-elle à mi-voix, incapable de formuler sa question.
– Ils sont en danger, termina l’aventurier. J’ai pu mettre Venzald à l’abri aux écuries, mais il faut retourner chercher Themerid.
– Mais qui les a... ?
– Je ne sais pas, justement, mais je crains que ce soit quelqu’un du château. C’est pourquoi il ne faut pas donner l’alerte.
Toujours sous le choc, Alix acquiesça.
– Vous devriez partir, conseilla Albérac. Rentrez chez vous, vite !
– Non ! Je veux vous aider !
L’aventurier pesta. Il n’avait pas le temps de la raisonner. Il ne pouvait tout de même pas l’assommer ! Il remit la couverture sur le prince et se dirigea vers la porte des écuries, suivi par Alix. Dans la cour illuminée par les premiers rayons du jour, gardes, domestiques, garçons de cuisines parcouraient les pavés à grands pas chargés de différentes missions. L’activité matinale battait son plein.
– Trop tard... souffla Albérac.
– Trop tard pour quoi ? interrogea fébrilement Alix.
– Pour aller chercher Themerid. Impossible de retourner jusqu’à la tour de la lune sans se faire repérer et encore moins d’en repartir avec le prince inconscient.
– Mais... Qu’est-ce que nous allons faire, alors ?
– Essayer de sauver celui qui peut l’être...
Albérac ne disposait probablement plus que de brefs instants. Il choisit le puissant palefroi des jumeaux, qui pourrait soutenir le galop malgré le poids de deux hommes, et le sella rapidement. En retournant chercher Venzald, il constata qu’Alix avait harnaché sa petite jument.
– Hors de question que vous partiez avec nous ! dit-il sans s’arrêter.
– Bien sûr que si, répliqua Alix en tapant du pied. De toute façon, vous n’avez pas le temps de m’en empêcher.
Elle avait raison. Avec un soupir d’impuissance, le maître d’étude souleva encore une fois Venzald qui avait cessé de s’agiter, le porta jusqu’à sa monture avec des murmures rassurants et se mit en devoir de le hisser sur le garrot. Cependant, le bai était trop haut pour qu’il y parvienne seul et l’aide d’Alix s’avéra bien utile. Albérac disposa à nouveau la couverture sur le garçon, en pensant que s’il survivait à ce traitement, il aurait prouvé sa résistance.
Il restait à sortir de l’enceinte du château. Par la cour principale et la grande porte, c’était de la folie. Si l’alerte était lancée alors qu’ils s’y trouvaient, ils seraient arrêtés en un instant et quelqu’un risquait de remarquer le curieux ballot transporté par le palefroi. Le seul autre passage était celui de la falaise, une petite porte cochère qui servait en principe au personnel et qui s’ouvrait sur une ruelle escarpée juste à l’endroit où les remparts rejoignaient la face abrupte de la montagne. Elle présentait le double avantage de se situer hors de vue derrière les écuries et gardée par un seul homme. Alix et Albérac — qui avait cessé de lutter contre la présence de la jeune fille — s’y dirigèrent en tenant leurs chevaux en longe. Ils arrivèrent en vue de la sentinelle qui somnolait debout, accrochée à sa lance.
– Laissez-moi faire, déclara Alix en lui signifiant d’attendre.
Elle s’empara d’un caillou plat qu’elle coinça autant qu’elle le put sous le sabot de sa jument, puis elle s’avança vers la porte en encourageant la bête qui boitait bas.
– Garde, héla-t-elle. Pouvez-vous m’aider ?
L’homme sursauta, tenta en vain de se donner une contenance et offrit un sourire bancal à la demoiselle.
– Mon cheval boite. Pourriez-vous regarder ?
Il s’empressa vers elle, rebroussa chemin pour poser sa lance contre le mur, revint, hésita, puis se décida à lever au hasard un pied de la jument. Son heaume glissa de sa tête tandis qu’il se baissait et tomba sur les pavés avec un son creux. Albérac, profitant du manège, passa derrière eux en implorant le sort que le prince ne gémisse pas à ce moment.
– Ne vous dérangez pas, soldat, je vais ouvrir moi-même, annonça-t-il aux fesses du garde plié en deux qui s’acharnait maintenant à extraire la pierre.
– Oui, euh, d’accord, marmonna-t-il. Bonne journée, seigneur !
L’aventurier et son paquetage franchirent la porte. Une fois dans la venelle, il monta en selle, puis s’efforça de positionner Venzald à califourchon devant lui, avec mille précautions. Le garçon était agité de spasmes et de frissons, il entrouvrait les paupières par moment et émettait des plaintes sourdes mais déchirantes. Allait-il supporter le trajet ? Alix les rejoignit pendant qu’Albérac nouait la couverture autour d’eux pour empêcher le prince de tomber quand il galoperait. À peine avait-elle enfourché sa jument que la cloche d’alarme de la grande cour retentit, aussitôt relayée par des appels à la garde. Ils prirent le trot pour dévaler la ruelle.
***
Abzal
Incapable de rester assis à sa table de travail, Abzal laissait son regard errer par la fenêtre, pianotant nerveusement sur le vitrail. Il sursauta violemment au son du carillon d’alerte. Plongeant les yeux sur la cour, il observa l’agitation des soldats qui couraient en tous sens, désorganisés par la rareté de l’évènement. L’armée royale ne possédait pas la rigueur des pélégris de l’Ordre.
Il n’eut pas le temps de s’interroger sur l’origine de cette agitation, car le chef de la garde demanda à être reçu.
– Seigneur Abzal, salua-t-il, essoufflé. Le prince Venzald a disparu. Les deux garçons ont été séparés, et il n’y a plus que le prince Themerid dans leur chambre. Deux de nos hommes ont été retrouvés morts. Je ne comprends pas ce qu’ils faisaient là, ils... ils ne portaient pas leurs uniformes.
Sous le choc, le régent ne répondit pas, mais la contrariété devait se lire clairement sur ses traits, car son interlocuteur se décomposa. Que s’était-il passé ? Qui avait fait ça ?
– J’ai envoyé quelqu’un interroger les sentinelles, pour savoir si elles ont vu quelque chose d’inhabituel, ou quelqu’un. Je devrais avoir le rapport bientôt, ajouta le garde en se retournant comme s’il espérait ardemment du soutien.
Son vœu fut exaucé, puisqu’un de ses subordonnés fut introduit dans la pièce.
– Personne n’a rien remarqué, excepté la sentinelle du passage de la falaise qui dit avoir laissé sortir... un seigneur, dit le soldat, embarrassé.
– Un seigneur ? s’exclama le chef de la garde. Lequel ?
– Justement, il n’en est pas sûr parce qu’il aidait l’une des filles du gouverneur Godmert de Hénan, la rouquine. Sa jument boitait et elle ne savait que faire. Il lui semble qu’il s’agissait du maître d’étude, celui qui marche avec une canne.
– La piste paraît peu probante... Nous allons continuer à chercher, seigneur Abzal.
Enfin, les pensées du régent se remirent en fonction en s’accrochant à ses informations. Albérac... Les soldats, comme la plupart des habitants du château, ignoraient son passé d’aventurier, mais lui l’imaginait sans peine tuer deux hommes discrètement. Et la petite Alix, qui ne savait que faire pour sa jument ? Les demoiselles de Hénan connaissaient trop bien les chevaux pour demander de l’aide au premier venu.
– Au contraire, asséna-t-il, la piste est prometteuse. Faites surveiller les deux autres sœurs. Peut-être savent-elles où se cache la petite. Et tâchez de trouver par où ils sont partis.
***
Alix
Alix avait beau être une excellente cavalière, la traversée de la ville derrière le palefroi mené par Albérac lui causa des frayeurs à plusieurs reprises. Gêné par les cheveux de Venzald qui voletaient devant ses yeux, Maître Elric avait pris le parti de laisser le cheval choisir la direction, se contentant de l’encourager des talons. Heureusement, les rues très inclinées qui longeaient la falaise étaient boudées des habitants de Terce qui leur préféraient les allées plus larges et lumineuses orientées vers le soleil. Les rares passants s’écartaient vivement devant le poitrail de la bête. Puis ils se campaient sur la chaussée pour cracher leur mécontentement au cavalier, sans voir qu’un second équipage risquait de les percuter. La petite jument avait ainsi heurté un marchand de légumes à l’épaule, projetant panier, choux et courges dans toutes les directions. L’homme l’avait abreuvée d’injures qu’Alix n’avait jamais entendues malgré le langage fleuri de son père. Depuis, elle hurlait « Faites place ! » à intervalles réguliers en veillant à ne pas perdre Albérac des yeux. La pente s’adoucit, les pavés disparurent et ils franchirent en trombe la porte de Bartillane, plein est, puis les faubourgs en obliquant vers le nord. Les dernières masures dépassées, les chevaux accélérèrent encore dans la plaine déserte.
Le maître d’étude, qui retenait d’une main la tête du garçon pour l’empêcher de ballotter sur sa poitrine, se retournait très souvent pour vérifier qu’ils n’étaient pas suivis. Son visage fermé rappelait à Alix la gravité de leur situation. Ils venaient de quitter le château comme des voleurs, en enlevant Venzald ! Le brave soldat dont elle s’était jouée ne lui avait pas paru très vif d’esprit, mais il finirait bien par établir la relation entre eux et la disparition du prince, quand on lui demanderait qui était sorti ce matin-là.
Cependant, Alix ne ressentait aucune angoisse. Elvire aurait sûrement objecté qu’elle n’était qu’une enfant et qu’elle ne mesurait pas l’embarras dans lequel elle s’était mise. C’était faux. Elle savait parfaitement que tout ça n’était pas un jeu. Depuis le choc éprouvé devant les blessures de Venzald séparé de son frère, elle s’était sentie portée par l’urgence. Une exaltation contenue avait aiguisé ses idées et ses gestes. Elle avait aidé Maître Elric avec le plus grand sérieux. Pourtant, elle avait beau procéder à l’inventaire de ses émotions, la peur n’y figurait pas.
– Où allons-nous ? demanda-t-elle en criant pour se faire entendre.
– Vers le Marais-aux-Saules, répondit-il en ralentissant enfin l’allure après avoir vérifié encore une fois qu’ils n’étaient pas suivis.
– Pourquoi ?
– Pour soigner Venzald. Et pour le cacher. J’espère qu’Ensgarde ne m’en voudra pas trop de l’impliquer dans cette affaire, ajouta-t-il pour lui-même.
– Ensgarde ? La rebouteuse de la naissance des jumeaux ?
– Exactement. Vous avez de la mémoire.
– Aviez-vous oublié mes nombreuses qualités ?
Albérac ne put s’empêcher de sourire.
– Pourquoi rendiez-vous visite aux princes, de si bon matin ?
Alix fouilla dans la poche intérieure de sa veste de cuir. Elle en sortit une petite flûte.
– Je venais offrir mon cadeau à Venzald. Je voulais arriver la première.
Le maître d’étude ne comprit pas tout de suite, puis il se souvint.
– Oh, c’est aujourd’hui...
– Oui, les jumeaux ont seize ans.
Albérac resserra son étreinte autour du jeune homme dont les gémissements augmentaient en intensité.
***
Flore
Sur le point de sortir, Flore se ravisa. Elvire paraissait préoccupée ces derniers temps, la laisser seule lui donnait mauvaise conscience. Elle se rendit dans sa chambre.
– Je vais au château, lui dit-elle. Veux-tu m’accompagner ?
– Tu vas rendre visite aux jumeaux ?
– Oui. C’est leur anniversaire aujourd’hui.
– Je sais. Je viens.
La cadette termina de s’habiller, le visage toujours aussi fermé.
– C’est très dur de voir Themerid comme ça, commença Flore d’une voix compréhensive. D’autant plus... pour toi.
– Pourquoi plus pour moi ? demanda sa sœur.
– Tu l’aimes, non ?
Elvire haussa les sourcils, surprise.
– Oui, je les aime tous les deux comme des frères. Comme toi, non ?
Flore rougit mais esquiva la dernière question.
– Pourtant, lors de nos visites, poursuivit-elle, je t’ai trouvée bien mélancolique en regardant Themerid inconscient. J’ai cru... que tu éprouvais plus qu’un attachement fraternel.
Elvire se laissa tomber sur le lit.
– Quand je le vois comme ça, j’ai l’impression d’avoir échoué.
Devant la question muette de sa sœur, elle souffla, les mâchoires serrées par une colère contenue :
– Ils ont déjà beaucoup trop souffert. Je voudrais leur épargner d’autres malheurs.
Flore ne répondit pas, mais déposa un baiser dans la main de sa cadette.
Quelques minutes plus tard, elles entraient dans l’enceinte du château, où le nombre inhabituel de soldats les interpella. Elles empruntèrent les escaliers de la tour pour monter jusqu’à l’étage des princes. Le garde de faction ne se trouvait pas à son poste et dans l’antichambre, des traces de sang avaient été épongées grossièrement. Malgré le brouhaha inquiétant qu’elles entendaient, personne ne répondit quand elles frappèrent à la porte de la chambre, où elles décidèrent d’entrer. D’un geste identique, elles se couvrirent la bouche pour ne pas hurler en apercevant le seul corps de Themerid mutilé, la chemise déchirée au côté et le drap rouge de sang. Autour de lui s’agitaient deux servantes, blanches comme des linges, qui tentaient d’arrêter l’hémorragie, et Renaude pestant contre le seigneur Iselmar qui n’arrivait pas.
Déjà la P4 ? la P3 était juste incroyable, félicitations.
C'est la deuxième séparation pour les jumeaux, géographique cette fois-ci. Je trouve ça ultra-intéressant de voir comment ils vont s'en sortir ou pas chacun de leur côté. Comme je l'avais deviné, ça sent pas bon pour Themerid, mais en même temps j'ai dû mal à croire qu'il puisse mourir, comme ça, si facilement.
Je suis complètement perplexe devant la séparation des princes, j'en suis venu à me demander : l'ordre serait-il finalement une menace mineure qui en cacherait une plus grande ? J'en suis au stade où ABSOLUMENT tout est possible.
"Au contraire, asséna-t-il, la piste est prometteuse." aïe, Abzal aurait mieux fait de se montrer moins futé sur ce coup.
J'ai jamais enchaîné autant de chapitres en une seule fois depuis que je suis sur PA, cette histoire est incroyable !
Je m'arrête là à contrecœur sinon je vais rien écrire auourd'hui^^
A très très bientôt !
"J'en suis au stade où ABSOLUMENT tout est possible." : c'est parfait ! En même temps, j'ai presque l'impression que je mets à mal ta santé mentale... Je m'en voudrais quand même XD
Ah ben oui, Abzal a plein de défauts, mais il n'est pas idiot...
Un immense merci pour tes commentaires si enthousiastes ! Tu ne peux pas savoir comme ça me redonne foi en ce tome. En plus, Rachael (qui est ma "binôme" de BL puisqu'on se relit mutuellement depuis deux ou trois ans maintenant) vient de finir le tome 2 et m'a laissé des commentaires très encourageants aussi. A vous deux, vous me faites un super début d'année ! J'espère que la suite te plaira toujours !
Pauvres princes ! Se découvrir séparés corporellement (surtout aussi sauvagement) en se réveillant le matin aurait déjà été un choc considérable pour eux, alors être tenus à distance l’un de l’autre va être une terrible épreuve.
La discrétion d’Albéric lui a permis de passer inaperçu, de faire partie du décor, en quelque sorte. Maintenant, c’est bel et bien fini : il s’est mis à dos l’Ordre et Abzal. Pourvu qu’il arrive à destination sans encombre et qu’on n’ait pas l’idée d’aller le chercher là-bas avant qu’il ait trouvé où emmener Venzald. Oui, je lui fais confiance. J’espère ne pas avoir tort.
Quant au sort de Themerid, j’ai la même funeste impression que les autres commentatrices. Maintenant l’Ordre ne se cache plus pour mettre en œuvre son coup d’État en espérant se servir d’un prince comme marionnette. Mais je ne sais pas encore qui je dois détester ; Abzal n’est pas le pire.
D'ailleurs, qu'en sera-t-il de la légitimité du pouvoir maintenant qu'ils sont séparés, s'ils restent vivants tous les deux ?
Ben alors, Iselmar, tu raboules ou quoi ? (Oui, malgré tout, je pense qu’il respecte quand même le serment d’Hippocrate…)
Ah oui ! Il y a une très belle description des instants qui précèdent le lever du soleil au début du chapitre, mais les événements qui suivent la font presque oublier.
Coquilles et remarques :
— le lourd rideau de brocard pourpre [brocart]
— Puis, il attrapa la besace [La virgule n’a pas de raison d’être.]
— ainsi nommée, car sa girouette représentait les phases de l’astre [Je ne mettrais pas la virgule.]
— Il saisit au hasard un vêtement qui traînait, et le noua [En général, quand deux verbes ont le même sujet et expriment des actions consécutives (ou simultanées), on ne met pas de virgule.]
— puis s’efforça de positionner Venzald à califourchon devant lui [de placer ; voir ici : http://www.academie-francaise.fr/positionner-pour-placer]
— il entrouvrait les paupières par moment [par moments]
— À peine avait-elle enfourché sa jument [Je mettrais « eut-elle enfourché ».]
— interroger les sentinelles, pour savoir si elles ont vu [Je ne mettrais pas la virgule.]
— Pourquoi rendiez-vous visite aux princes, de si bon matin ? [Je ne mettrais pas la virgule.]
En fait, il y a surtout des virgules. :-)
En effet, les jumeaux vont avoir un très très gros choc en se réveillant (s'ils se réveillent...). J'espère l'avoir bien montré, d'ailleurs, parce que toute l'idée de l'histoire repose là-dessus, à l'origine.
Tu as raison : Abzal n'est sans doute pas le pire, mais il est quand même bien gratiné, quelles que soient ses motivations.
La légitimité des princes maintenant qu'ils sont séparés, c'est un des thèmes du tome 2 (il va donc te falloir patienter un peu !). Idem pour la loyauté d'Iselmar à son éthique de médecin.
Merci pour le compliment sur la description. Je note que tu es sensible à celles que je préfère, d'ailleurs, et surtout que tu n'oublies jamais de me le dire et ça me touche beaucoup. Si elles agacent certains lecteurs impatients, les descriptions de ce tome ont été un vrai plaisir à écrire et j'avoue que je suis assez fière de certaines d'entre elles. Alors bien sûr, quand quelqu'un les remarque, ça me va droit au cœur !
Je vais répondre à tes commentaires suivants (tu m'as encore gâtée ;) )
Il cache bien son jeu, et Albaz a raison, il n'est pas un simple voyageur, mais, pour le moment, il est sympa.
La double double séparation ! Physique, mais l'éloignement ! Ouch le réveil va être difficile !
Themerid dans l'incertitude :(
Et malgré les talents d'Alix, Albaz se doute déjà de quelque chose. Ça sent l'exil, tiens...
J'ai comme l'impression que l'un des jumeaux va y passer. Le plus probable serait logiquement Themerid, surtout si Iselmar s'en mêle....
En effet : la séparation va être rude, on va vite le voir.
Bon, je ne peux rien dire sur le fait qu'un des jumeaux va y passer, puisque tu as lu la fin ;)
A partir de là, le rythme devrait plus te convenir parce que ça accélère carrément (et ça reste bien soutenu pendant le tome 2).
A bientôt, merci pour ta lecture et tes commentaires !
Qui qui et pourquoiiiiii
Les princes déliés alors !
J'espère que la poison va pouvoir faire quelque chose
Mais je repense à la phrase de ma bouchereuse qui disait n'oubliez pas que vous êtes 1 dans 2 corps....
Ah ben, qui ? Alors ça, c'est encore un mystère (tu dois commencer à voir que mes intrigues sont bien complexes, bien tordues et tout).
Oui ! Bien que tu te rappelles de la prédiction de la bouchevreuse ! Tu es vraiment une lectrice qui remarque tous les détails ! Je crois que personne n'avait vraiment noté, ça ;)
Merci pour ta lecture et tes commentaires ! Ça fait vraiment plaisir que tu dévores comme ça !