Un autre jour, sur une table de la terrasse, trois grand-mères discutaient. Madame Blanche, fine et grande, portait ses cheveux blancs en chignon avec un port altier. Sa voisine et amie de toujours Madame Dubois portait son habituel chapeau à fleurs et était enroulée dans son châle. La dernière, Madame Petitjean, portait également le chignon avec deux longues mèches blanches de part et d’autre de son visage bougon. Toutes trois se retrouvaient tous les matins au café et y passaient une partie de la journée, et toutes trois avaient perdu au moins un fils dans la Grande Guerre.
— Je n’ai pas revu Ponpon depuis deux jours, disait Madame Blanche. Il ne part jamais loin d’habitude. J’ai bien peur qu’il ne lui soit arrivé malheur.
— Comme mon Bouboule, ajouta Madame Dubois, je ne l’ai jamais revu. Ca fait un mois maintenant.
— Il ne faut pas oublier Pupuce et Pelote qui ont disparu cet hiver, renchérit Madame Petitjean. Ca fait trop de disparitions à la fois. Et dire que l’agent de police ne veut plus enregistrer nos plaintes !
— Vous pensez qu’il a le droit de faire ça ? se plaignait Madame Dubois. C’est un monde ça. Je n’aime pas dire que la jeunesse ce n’est plus ce que c’était, mais là tout de même, quelle impertinence…
— Et personne n’a retrouvé de chat mort dans les parages… C’est vraiment étrange, remarqua Madame Blanche.
— Vous prendrez un autre café Mesdames ? demanda André.
— Avec plaisir mon petit, affirma Madame Blanche au nom du groupe de mamies.
— J’ai bien vu Hector, le deuxième fils de De Vermeil, rôder autour de ton jardin, une fois que tu n’étais pas là, dit Madame Petitjean en désignant Madame Dubois. Il avait une drôle d’allure et un drôle de regard cet après-midi là. Je ne m’étais pas posée trop de questions sur le moment, mais après coup cela me semble étrange. Tu n’as rien remarqué de plus ?
— Absolument pas, répondit l’intéressée. Mais ce que tu me dis ne m’étonne qu’à moitié. Depuis qu’ils sont revenus de leur séjour au Pérou, ce ne sont plus les mêmes. Ils n’ont jamais été très intégrés, mais là ils ne viennent plus aux fêtes du comité ni à la messe. Et puis ils ont tous l’air hagard et un peu menaçants. Vous ne trouvez pas ?
— Si, continua Madame Blanche. Et encore, pour ce qu’on les voit ; ils ne sortent plus beaucoup. A part le dernier, le petit Victor. Lui bat la campagne comme jamais avec le petit des Leroy ! Mais de la fratrie, c’est bien le seul que je trouve encore normal.