Partie II

Elaran discutait poliment avec l’un des invités présents dans la salle de réception, lorsqu’une silhouette grise se faufila près de lui. Il fronça les sourcils et interrompit la conversation tandis que l’homme glissait quelques mots au creux de son oreille. Le pli sur son front se creusa davantage, et ses yeux survolèrent la salle. Il s’attarda sur un jeune homme aux cheveux sombres, mais si celui-ci sentit peser sur lui le poids de son regard, il ne réagit pas.

— Pardonnez-moi, dit-il à l’adresse de son interlocuteur. Je suis attendu.

L’invité acquiesça, et quelques instants plus tard, il entamait une discussion avec le premier passant.  Elaran se dirigea aussitôt vers la sortie de la pièce et rejoignit le calme du couloir en quelques enjambées. L’homme vêtu de gris le guida à travers plusieurs corridors sombres, puis ils empruntèrent un escalier froid et étroit. Des courants d’air émettaient des sifflements lugubres. Lorsqu’ils arrivèrent en haut des marches, l’homme poussa une lourde porte. Puis, il recula de quelques pas et fit signe à Elaran d’entrer. Celui-ci s’exécuta avec une pointe de curiosité, et haussa un sourcil intrigué en découvrant des appartements étonnamment sobres. Pouvaient-ils s’agir de ceux de la reine des Ospales ? Le garde le guida jusqu’à une seconde porte, dont l’ouverture révéla un jardin d’intérieur. Les plantes vertes rampaient le long des murs et encadraient une dernière porte.

Ils s’arrêtèrent devant, et celle-ci s’ouvrit avec un grincement, révélant une pièce obscure. Ce qui le frappa en premier fut l’homme immense qui se tenait en retrait. Une capuche marron recouvrait son visage et laissait peu de doutes sur son rôle. Au centre de la pièce, Elaran reconnut sans peine la reine des Ospales, dont les cheveux blonds paraissaient presque blancs. Enfin, son regard fut attiré vers le mur, où étaient enchaînés une femme à la peau sombre et un jeune homme aux yeux émeraude, qui blêmit en le découvrant sur le pas de la porte.

Lorsqu’Elaran comprit enfin pourquoi Diane l’avait ainsi convié, une lueur glaciale traversa son regard.

— Votre Majesté, vous m’avez fait quérir.

— Je n’ai pas pour habitude de partager mes trophées, dit-elle d’un ton égal. Mais cette fois-ci, j’ai estimé qu’il était peut-être temps de changer.

Diane désigna les deux prisonniers d’un geste gracieux de la main.

— J’ai fait une trouvaille qui devrait vous intéresser, je crois. Qu’en pensez-vous, Grand Conseiller ?

— Je ne peux que vous donner raison, Votre Majesté, répondit-il avec un rictus. Que puis-je faire pour vous ?

— Je crains que ce jeune homme soit peu enclin à se confier à moi et à mon ami, expliqua-t-elle en montrant son bourreau. Nous n’avons pas encore eu le temps de sympathiser. Mais j’ai cru comprendre que vous vous connaissiez.

Elaran esquissa une moue dédaigneuse, tandis que le jeune homme le foudroyait du regard.

— En effet, il s’agit du… Protecteur de mon neveu. Qu’a-t-il donc fait pour se retrouver ici ?

— Il me semble qu’il s’est découvert un grand intérêt pour les affaires des Ospales, si j’en crois sa présence dans mon bureau personnel. Un endroit bien étrange pour exercer sa fonction de protecteur.

— Je vois… Je ne voudrais pas que l’impétuosité de ce jeune homme ne mène à un incident diplomatique entre nos deux royaumes. Par conséquent, je vous propose mon aide afin de résoudre ce problème.

— Je n’en attendais pas moins de vous, glissa Diane dans un demi-sourire.

— Cependant, je m’interroge sur la présence de cette jeune femme, reprit Elaran en désignant l’intéressée. Qu’en est-il ?

— Oh, celle-ci ? s’enquit-elle, d’un ton faussement nonchalant.

Elle regarda la jeune femme comme si elle la voyait pour la première fois.

— Ne vous en faites pas pour elle, j’en fais mon affaire.

L’intéressée lui adressa un regard électrique. Elaran haussa un sourcil.

— Je ne vois pas quel a été votre intérêt de les faire enfermer ensemble. Ils n’ont, me semble-t-il, rien en commun.

— Voyez-vous, c’est là que vous faites erreur.

La reine des Ospales s’écarta légèrement de son bourreau pour se planter devant la jeune femme enchaînée.

— Cette jeune femme a été trouvée en compagnie du protecteur de votre neveu. Tout me porte à penser qu’ils ont trouvé un intérêt commun, et qu’ils comptent bien l’exploiter. Et ce d’autant plus que ceux qu’ils s’évertuent à protéger – sans grand succès – ont fait de même.

— Je vois… Voilà qui est fâcheux, en effet…

Son regard s’attarda un long moment sur le visage bâillonné d’Alexander, qui le fixait avec une haine sans pareil.

— Peut-être faudrait-il leur retirer leurs baillons, si nous voulons des… explications.

— Encore une fois, nos pensées se rencontrent.

Diane leva une main en direction des prisonniers, et le garde s’empressa de leur retirer le bout de tissu qui leur couvrait la bouche.

— Dites-moi, que souhaiteriez-vous savoir, Grand Conseiller ?

Elaran se tourna vers Alexander, le visage dur.

— Que t’a envoyé faire Altaïs ?

— Ordure ! cracha Alexander.

Elaran esquissa un rictus contrarié.

— Je préfère te prévenir. Tu as frôlé l’incident diplomatique. Ma patience est donc très limitée.

— Je me dois de vous rappeler que vous êtes dans mon palais, jeune homme, intervint Diane, posant son regard vide sur Alexander. Dans mon donjon, plus précisément. Par conséquent, ma patience est encore plus limitée. Que manigancez-vous avec la sous-fifre de la reine d’Indeya ?

— Nous nous sommes rencontrés par hasard et nous nous sommes tout de suite bien entendus, répliqua Alexander.

Elaran émit un claquement de langue dédaigneux.

— Évidemment, commenta-t-il. Comme tu t’es bien entendu avec Altaïs ?

Alexander le foudroya du regard. Diane pivota gracieusement vers lui.

— Et bien entendu, renchérit-elle, votre nouvelle complicité n’a rien à voir avec l’entente récemment formée par vos protégés ?

— Pas le moins du monde, répondit Alexander. Lorsque j’ai quitté la salle de réception, Altaïs n’avait entamé de discussion avec aucun invité.

Il fut soulagé de constater que sa voix ne tremblait pas. Mais la reine des Ospales ne semblait pas impressionnée par son assurance. Son regard clair se détourna d’Alexander pour se plonger dans les yeux gris de la prisonnière.

— Et bien sûr, vous corroborez le discours de votre… ami ?

— Oui, rétorqua-t-elle sans hésiter.

— Gina, c’est bien cela ?

— Mademoiselle Gina, corrigea-t-elle sèchement.

— Bien sûr, veuillez m’excuser, siffla Diane. Alors, Mademoiselle Gina, n’auriez-vous pas une petite idée de ce que prévoit la reine Jade, notamment en enrôlant le prince Altaïs ?

— Pour une fois, votre fille n’a rien prévu du tout.

Diane eut un mouvement de recul à la mention de son lien avec Jade, avant de secouer la tête légèrement, faisant virevolter quelques mèches blanches. Un fin sourire, invisible, tordit le coin de ses lèvres.

— C’est impossible. Vous savez aussi bien que moi que Jade a toujours quelque chose de prévu.

Gina eut un petit ricanement mais demeura silencieuse.

— À défaut de connaître la reine d’Indeya, je peux affirmer sans peine qu’il est impossible de faire confiance au prince Altaïs, intervint Elaran, alors qu’il esquissait un rictus méprisant.

— Bien sûr, ironisa Alexander. Il est si facile de s’en prendre à lui !

Elaran posa sur lui un regard glacial. Sa magie ondulait autour de lui, empreinte d’une aura écrasante. Alexander pâlit imperceptiblement, incapable de faire appel à ses boucliers.

— Et je peux affirmer que la reine d’Indeya n’est pas ce qu’elle semble être, renchérit Diane d’une voix sombre.

La reine des Ospales ignora les yeux orageux de Gina, avant de poursuivre.

— Tout me porte à croire qu’elle est impliquée dans la résistance contre le gouvernement des Ospales.

Elaran acquiesça.

— Quant à Altaïs, ses nombreuses frasques ne cessent de se mettre en travers de la royauté.

Il jeta un bref coup d’œil à Diane. Un éclair terrifiant traversa les prunelles pâles de cette dernière, et elle fit face au Grand Conseiller, une main tendue vers les prisonniers.

— Et le hasard a voulu que nous détenions les personnes les plus chères au prince Altaïs et à la reine Jade, dans le même cachot. Voilà qui est fort opportun. N’est-ce pas ?

— Je suis pas la personne la plus chère à la reine Jade, trancha Gina, son ton venimeux. Et le sentiment est réciproque.

La reine des Ospales se contenta de pencher la tête dans sa direction sans un mot, mais son haussement de sourcils était aussi éloquent que son silence.

— Au moins, il n’y a aucun doute à avoir en ce qui te concerne, commenta Elaran en fixant Alexander, toujours ce même rictus méprisant aux lèvres.

— Allez-vous faire voir ! cracha celui-ci avec toute la hargne qui l’animait à cet instant.

Elaran l’ignora froidement et se tourna vers Diane.

— Que suggérez-vous ?

— Eh bien, je m’interrogeais, répondit la reine des Ospales, glissant une main sous son menton d’un air pensif. Si nos deux rebelles apprenaient que leur protégé est entre nos mains, peut-être seraient-ils plus prompts à entamer une discussion avec nous. Surtout s’ils savent qu’ils risquent de les retrouver… en mauvais état.

Elaran esquissa un sourire dénué de joie.

— Voilà qui me semble être une excellente idée.

— Ça ne fonctionnera pas, répliqua Alexander avec fougue. Altaïs est loin d’être stupide, il comprendra tout de suite que quelque chose cloche !

Il ne semblait pourtant pas y croire, parce qu’il connaissait suffisamment bien Altaïs pour savoir que celui-ci serait prêt à foncer tête baissée dans ce piège, même en parfaite connaissance de cause. Le haussement de sourcil d’Elaran laissait d’ailleurs entendre qu’il partageait le même raisonnement. Gina, quant à elle, ne démontra aucun signe d’inquiétude. Excepté le pli qui déforma un instant son front mat, tout semblait indiquer qu’elle ne se sentait absolument pas concernée par la situation.

— La reine d’Indeya et le prince Altaïs vont se rendre compte de notre absence, marmonna-t-elle. S’ils apprennent que c’est vous qui nous retenez dans votre donjon, c’est vous qui créerez un incident diplomatique, Votre Majesté.

Diane décrivit un pas en direction de la jeune femme enchaînée, puis elle s’accroupit dans un bruit de froissement élégant.

— Ne vous en faites pas pour cela. Vous n’êtes que les accompagnateurs de la royauté, personne ne fera cas de votre absence. Qui plus est, je compte sur mon efficacité, et celle du Grand Conseiller pour ne pas avoir à vous retenir trop longtemps.

Elle glissa un regard complice à Elaran par-dessus son épaule.

— Bien entendu, répondit-il froidement. Il ne tient qu’à vous d’abréger ce moment afin de retourner au plus vite auprès de vos protégés.

— Je vois mal ce que vous attendez de nous, répliqua Alexander en grinçant des dents. Puisqu’il est évident que nous ne sommes au courant de rien. J’ajouterai même qu’il ne se passe absolument rien de suspect entre la reine d’Indeya et le prince Altaïs.

— C’est amusant, rétorqua Diane en posant son regard pâle sur Alexander. Vous tenez exactement le même discours que ceux qui savent. Vous n’avez peut-être pas assisté au rapprochement entre le prince Altaïs et la reine d’Indeya, mais votre rapprochement avec Mademoiselle Gina me laisse penser que tout cela n’a rien d’un hasard.

— Et pourtant, il se pourrait que vous vous trompiez. J’ai peut-être le même discours que ceux qui savent, mais il se trouve être également celui de ceux qui ne savent pas. Je ne vois pas ce que nous pourrions vous dire.

Alexander était bien moins assuré qu’il ne le montrait, et il songea brièvement que la répartie d’Altaïs finissait par déteindre sur lui, en dépit de sa peur.

— Oh, mais tellement de choses. Tenez, commencez par répondre à cette question. À votre avis, combien de temps sera nécessaire à vos protégés pour remarquer votre absence ?

— Assez peu, je suppose, répondit Alexander, la mâchoire crispée. Tout comme ils ne tarderont pas à découvrir à quel point leur hôte est… charmante.

Il ignora le regard noir de Gina, se contentant d’observer Diane avec l’air le plus glacial de son répertoire.

Lentement, cette dernière se redressa et se tourna franchement vers le jeune homme. Et pour la première fois de la soirée, les lèvres de Diane s’étirèrent dans un sourire étincelant. Un sourire qui n’atteignit jamais ses yeux couleur diamant.

— Ils ont tout intérêt à me trouver charmante. Et je suis sûre que vous-même, vous finirez par changer d’avis à mon sujet, lorsque je serai parvenue à attirer votre protégé jusqu’ici. Au pied de votre corps meurtri.

Gina émit un petit ricanement dédaigneux qui fit tinter ses lourdes chaînes.

La reine des Ospales claqua des doigts, et le colosse encapuchonné s’avança à ses côtés, fouet à la main. Puis, elle jeta un œil à son complice.

— Je suppose que vous disposez de vos propre outils, Grand Conseiller ?

— En effet. Ce jeune homme le sait bien.

La haine d’Alexander débordait autour de lui, mais malgré cela, sa magie demeurait toujours inaccessible, entravée par les chaînes autour de ses poignets. Son regard émeraude s’était assombri pour adopter une inhabituelle teinte vert sapin. Mais lorsqu’il fit un mouvement trop brusque, ignorant la morsure du fer sur sa chair, une profonde entaille apparut sur sa joue et il hoqueta de surprise.

— Que cherche Altaïs ?

Alexander resta silencieux, tandis qu’un filet écarlate roulait sur sa peau. La magie d’Elaran le frappa à nouveau, et une nouvelle entaille apparut sur son visage à quelques centimètres de la première. Cette fois, il dut serrer les dents pour réprimer une plainte.

Pendant ce temps, le regard imperturbable de Diane était figé sur Gina, qui demeurait parfaitement immobile.

— Une dernière fois, Mademoiselle Gina. Que manigance la reine Jade avec le prince Altaïs ?

— Pas grand chose d’intéressant, à mon avis, riposta Gina d’une voix rocailleuse.

Diane hocha la tête, comme si elle attendait exactement cette réponse, puis elle leva une main en direction de son bourreau.

— Lambert. Deux coups.

L’interpellé fit quelques pas hésitants vers la prisonnière. Il détourna légèrement la tête, comme pour ne pas voir les conséquences de ses propres actes, et abaissa le fouet d’un coup sec. Un grondement sourd et bestial s’échappa de la gorge de Gina.

— Arrêtez ! s’exclama Alexander.

Il foudroya successivement Diane puis son bourreau du regard, en dépit de son visage ensanglanté. La reine des Ospales répondit par un regard las. Alors que le bourreau levait à nouveau le bras, la voix éraillée de Gina retentit.

— Ça va, promit-elle en offrant un coup d’œil à Alexander, avant de se concentrer sur Diane. Vous ferez attention à votre robe, Votre Majesté. Le rouge se marie très mal avec le bleu ciel.

Diane secoua la tête et décrivit un geste prompt de sa main blanche. Le cuir trancha l’air à nouveau, et Gina ne put retenir un grognement guttural.

— Vous n’êtes qu’un monstre, ragea Alexander. Je comprends mieux votre association désormais !

— Tout juste, mon cher, acquiesça Diane. Il est très probable que nous nous associons avec ceux qui partagent nos idéaux. C’est pourquoi votre association avec Mademoiselle Gina, et celle entre la reine Jade et le prince Altaïs ne nous réjouissent pas. Vous devez aisément le comprendre.

— Cela me donne étonnamment envie de faire quelque chose de ces rencontres, rétorqua Alexander avec colère.

— Vous reconnaissez donc que ces rencontres ne sont pas dues au hasard. Le reine Jade et le prince Altaïs ont bien un plan en tête, et vous, sous-fifres, êtes chargés de l’exécuter.

Alexander fronça le nez avec mépris.

— Ce n’est absolument pas ce que j’ai dit. Ces rencontres sont un hasard, mais au vu de votre comportement à notre égard, il se pourrait qu’elles deviennent plus que cela.

— Bien. Cela ne fait que confirmer mon intuition, avança la reine des Ospales d’un ton indifférent. Nous ne faisons qu’accélérer l’inévitable. De cette manière, nous aurons tout le loisir de tuer votre rébellion dans l’œuf.

— Il y a pas grand chose à tuer, répliqua Gina d’une voix sourde.

— Sauf votre respect, vous devez souffrir d’une légère forme de paranoïa, ajouta Alexander, conscient que son insolence lui coûterait cher.

Tandis que Gina lui jetait un regard désespéré, le visage de marbre de Diane devint livide. Lorsqu’elle prit la parole, sa voix était dénuée de vie.

— Lambert. Trois coups.

— Qu… Quoi ? Mais… Votre Majesté, vous… Il n’est pas…

— Lambert, je ne vais pas discuter avec vous de mes victimes. Trois coups.

À contre-cœur, le bourreau éleva la main, et le fouet fit hurler l’air avant de s’abattre sur Alexander. Ses chaînes cliquetèrent lorsque son corps tout entier se crispa sous l’effet de la douleur. Sa mâchoire était si contractée qu’elle lui faisait mal, mais il n’émit qu’un grondement rauque. Il eut à peine le temps de reprendre son souffle, que le cuir déchirait sa peau une seconde fois, lui arrachant cette fois un gémissement plus marqué.

— Je comprends pas, intervint Gina, tandis que ses lèvres sombres se tordaient en un rictus sournois. Vous nous menacez du fouet pour qu’on soit franc. Et quand on vous dit la vérité, vous frappez.

— Parce que ce n’est pas cette vérité que je veux entendre.

Le fouet s’abattit à nouveau sur Alexander, dont le corps se cambra violemment entre ses chaînes. Sa tunique en lambeaux se teintait d’un rouge écarlate et poisseux, et une fine pellicule de sueur recouvrait son front. Sa respiration désordonnée se calquait sur les battements erratiques de son cœur.

— Mais n’ayez crainte, Mademoiselle Gina, ajouta Diane d’une voix blanche. Je suis là pour vous aider à trouver cette vérité.

Elle se tourna vers son bourreau pour lui adresser un hochement de tête autoritaire.

— Cinq coups pour la demoiselle.

Elaran s’avança d’un pas, interrompant le mouvement de l’homme encapuchonné.

— Je doute que cela soit réellement utile pour lui arracher des informations. Permettez que je m’y essaie ?

— Non, s’indigna Alexander, la voix pourtant plus faible.

Elaran l’ignora. Le regard de diamant de la reine fit un aller-retour entre le Grand Conseiller et la prisonnière.

— Ma foi, je vous ai convié pour cette raison, accepta Diane, magnanime. Je vous en prie.

Elle l’invita à procéder d’un geste élégant de la main, et il s’approcha de Gina. Cette dernière leva ses yeux de la couleur de l’orage sur lui, mais ne trembla pas. Elle se contenta d’attendre, dans un silence tendu.

— Non, protesta à nouveau Alexander. Elle fait partie de la délégation d’Indeya, vous ne…

— Tais-toi, le coupa Elaran d’une voix glaciale. Ou Altaïs ne ressortira pas de ce palais indemne. Ce serait très simple de faire passer sa mort pour un accident…

Alexander blêmit, et sa réponse se coinça dans sa gorge. Il jeta un regard empli de détresse à Gina, maudissant sa faiblesse de ne pas être capable de faire davantage. Mais les yeux de l’Ange des Sourires restèrent ancrés sur Elaran. Celui-ci l’observait sans que la moindre émotion ne vienne troubler son visage. Sa magie se déploya lentement autour de lui avant de s’insinuer dans l’esprit de Gina, à la recherche de réponses.

La prisonnière serra les poings sur ses menottes de fer et émit un grognement qui ressemblait à s’y méprendre à un feulement de fauve. Elle ferma les yeux et se débattit contre ses chaînes, pour tenter de repousser cette présence sombre qui déchirait son esprit, mais en vain. La magie d’Elaran suivait son cours et ne rencontrait aucune barrière. Essoufflée, elle se laissa pendre mollement contre le mur de pierre noire. Seules ses chevilles tressautaient encore sous le coup de l’assaut invisible. Au bout de ce qui parut être une éternité, la magie reflua, et un pli agacé orna le front d’Elaran.

— Il n’y a rien à en tirer, constata-t-il. Leur rencontre n’était pas préméditée.

— Hm. C’est probablement ce qu’elle croit, ou ce que l’on a essayé de lui faire croire, commenta Diane, peu convaincue en observant la silhouette recroquevillée de Gina. Peu importe. Si l’on ne peut pas obtenir les informations de ces bons à rien, nous les récolterons directement à la source.

— J’imagine que vous avez une idée derrière la tête, supposa-t-il sans avoir de réel doute sur la réponse qu’elle lui apporterait.

— Je vois que vous commencez à vous familiariser avec ma façon de penser.

À ces mots, Diane ordonna à son bourreau de ranger son fouet, et elle contourna Elaran pour s’accroupir devant Gina, qui se tenait toujours tête baissée.

— Puisque nos prisonniers ne veulent pas nous informer sur leur protégé, nous allons les faire venir à nous.

D’un mouvement brusque, elle tendit une main vers Gina et arracha un large pan de sa blouse de lin. Cette dernière lâcha un grondement étouffé lorsque le tissu imprégné de sang se décolla violemment de sa peau. Diane ignora l’état pitoyable de sa prisonnière et se releva, brandissant le morceau de tissu ensanglanté devant les yeux d’Elaran.

— Je suis persuadée que ma… fille se trouvera fort encouragée de venir me rendre visite, si je lui montre ceci.

Puis elle pivota sur ses talons pour adresser un regard dédaigneux à Alexander.

— Je pense que vous trouverez aisément un moyen de pression similaire pour attirer le prince Altaïs.

— En effet. Une simple image mentale devrait suffire.

Alexander se raidit.

— Non, souffla-t-il. Ne l’approchez pas…

Mais Elaran se contenta de faire volte-face et de se diriger vers la porte du donjon.

La reine des Ospales adressa un dernier coup d’œil aux prisonniers avant de se tourner vers son bourreau, qui fixait son œuvre d’un air abattu. Son regard semblait ancré sur l’épaule dénudée et striée de rouge de Gina.

— Lambert, détournez le regard, je vous prie, lança Diane. Nous ne sommes pas des bêtes.

Elle referma la porte de bois derrière elle.