Partie II - Chapitre 1

Par Vylma

Le soleil se levait sur le massif moulin à eau des Leroy. La large maison en bois à un étage se tenait avec assurance au milieu d’un jardin mal entretenu, le long de la rivière. Des rayons de lumière filtraient péniblement à travers les épais rideaux de la chambre d’Emile, d’où on entendait le grincement de la roue hydraulique. Debout devant la porte de la chambre, Monsieur et Madame Leroy, déjà habillés, attendaient.

A 6h30 précise, ils entrèrent doucement dans la pièce ; elle allant directement ouvrir les rideaux et la fenêtre, lui allant se pencher sur le lit d’Emile pour le réveiller. Il mit sa main droite sur le front de l’enfant, attendit qu’il ouvre les yeux, et lui sourit.

— Bonjour Papa, bonjour Maman ! s’exclama Emile en s’étirant joyeusement.

Madame Leroy contempla la scène quelques instants sans cligner des yeux, puis partit en direction de la cuisine préparer le petit-déjeuner de l’enfant.

— Tu as bien dormi ? demanda Monsieur Leroy en penchant la tête sur le côté.

— Oui ! J’ai rêvé que je jouais avec Victor, on était des chevaliers pirates, et on chevauchait Peter et Clochette qui étaient énooooooormes, et on s’est battu contre d’autres pirates avec des cornes, et on a gagné, et… Je ne sais plus la fin. On fait quoi aujourd’hui ?

— On va commencer par s’habiller, répondit laconiquement Monsieur Leroy.

— Je veux manger d’abord…

— On va commencer par s’habiller.

— On mange quoi ?

— On va commencer par s’habiller.

— Je peux jouer avec Peter et Clochette ?

— On va commencer par s’habiller.

— D’accord, je vais m’habiller…

Emile retira sa chemise de nuit et enfila ses sous-vêtements et son short gris qui étaient soigneusement pliés sur la commode. Il commença à mettre sa chemise à manche courtes blanche, que Monsieur Leroy aida péniblement à boutonner avec ses longs doigts malhabiles.

— Mais non ! pouffa Emile. Tu t’es trompé ! Les boutons et les trous sont encore décalés !

Monsieur Leroy observa un instant son enfant rire de bon coeur en tirant sur sa chemise, et s’attela à la tâche de tout déboutonner et recommencer. Une fois cela fait, il saisit le petit noeud papillon posé sur la commode et fit de son mieux pour le nouer autour du fin cou de son fils. Emile finit par enfiler ses chaussettes longues et ses chaussures, et ils furent prêts à descendre au rez-de-chaussée.

Pendant l’habillage, Madame Leroy avait eu le temps de préparer du pain grillé, qui était sensiblement brûlé, et faire chauffer du lait pour un chocolat chaud. De la confiture et du jus d’orange étaient également disposés sur la table de la salle à manger. Emile s’installa à sa place, en bout de table, et ses parents l’entouraient et le regardaient manger. Il dévora son pain, but goulûment son chocolat chaud et siffla deux verres de jus d’orange.

— Je peux aller jouer ? s’enquit Emile en s’adressant à sa mère.

— D’abord l’école.

— Allez juste une petite heure et je reviens !

— D’abord l’école.

— Bon… C’est quoi ce matin ?

— De l’algèbre.

Monsieur Leroy débarrassa la table pendant que Madame Leroy et Emile se retiraient dans le bureau, juste au dessus de la roue du moulin, là où les grincements étaient les plus forts. Un tableau noir trônait contre le mur du fond de la pièce, à côté de la fenêtre, et deux bureaux, un petit et un grand, se faisaient face. Chacun s’installa à sa place et la leçon commença. Madame Leroy dictait des calculs simples d’addition ou de soustraction, et Emile écrivait la réponse sur sa petite ardoise. Deux heures plus tard, la leçon prit fin sur quelques multiplications, et Emile pu enfin aller se dégourdir les jambes avec les chiens.

Peter et Clochette étaient les deux chiens de garde du domaine, de grandes bêtes au pelage sombre et à l’oeil féroce. Néanmoins, ils étaient adorables avec Emile, et ce depuis sa naissance. Ils s’étaient toujours laissé tirer les oreilles et bousculer par l’enfant.

Emile sortit en courant en appelant les chiens, qui vinrent immédiatement à sa rencontre. Ils coururent un moment autour du moulin, dans le jardin qui l’entourait. Le jardin ressemblait plus à un terrain vague qu’autre chose, et était doté d’un petit pont et d’une balançoire, à laquelle Emile vint jouer quand il en eut assez de courir. Il alterna ces deux activités jusqu’au déjeuner, qu’il avala rapidement sous le regard attentif de ses parents, avant de retourner dehors.

En milieu d’après-midi, Monsieur Leroy appela son fils pour se préparer à faire un tour à la boulangerie. Il arrangea un peu la coiffure d’Emile, tira sur son noeud papillon qui avait été mis à rude épreuve depuis le matin, et lui proposa sa main. Emile s’empressa de la saisir et ils partirent en direction du centre ville. Madame Leroy et les chiens les regardaient partir sans bouger.

— Comme d’habitude Monsieur Leroy ? demanda gaiement le boulanger.

— Oui, comme d’habitude répondit lentement l’intéressé.

— Dis Papa, je peux avoir un croissant ?

Monsieur Leroy regarda longuement son fils.

— Avec un croissant s’il-vous-plait, finit-il par lâcher au boulanger.

Ils repartirent chez eux avec deux baguettes et un croissant, grâce auquel Emile était l’enfant le plus heureux du monde.

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