Une autre journée s’était paisiblement écoulée, avec un cours de français le matin et du jeu l’après-midi dans le jardin. A présent, Monsieur Leroy attendait Emile pour partir au cours de musique de seize heures.
Ils partirent à pied, main dans la main. Pendant les vingt-cinq minutes que constituaient le trajet, l’enfant papotait.
— Et cet oiseau, c’est quoi ? demandait-il.
— C’est un corbeau, répondait Monsieur Leroy d’un ton égal.
— Et celui-ci ?
— C’est une mésange bleue.
— Comment tu l’a reconnue ?
— Parce que c’est un petit oiseau rond bleu et jaune avec de toutes petites pattes.
— Et ce chant qu’on entend, c’est quoi ?
— C’est une grive musicienne.
— Tu es trop fort Papa !
— …
— Et ce gazouilli, c’est quoi ?
Ils arrivèrent à l’école de musique et Monsieur Leroy salua son enfant d’un signe de la main quand il entra en classe, puis il repartit en direction du moulin.
En classe, Emile s’installa comme à son habitude au piano à côté de celui de Victor parmi les six instruments qui constituaient la salle, et ils passèrent toute la séance à rire sous cape, rivaliser en solfège et faire des grimaces. Devant ces écarts, Marthe se montrait en apparence sévère mais elle souriait intérieurement de voir deux de ses meilleurs jeunes élèves s’amuser autant en musique.
— A vendredi les enfants, pour le violon ! lâcha Marthe en fin de cours, avant de laisser partir les élèves un à un, généralement accompagnés de leurs parents.
Monsieur Leroy était déjà devant l’école.
— Dis, on peut inviter Victor ? s’enquit Emile en penchant la tête.
— Il est tard, il faut aller manger, répondit Monsieur Leroy.
— Demain alors ?
— D’accord pour demain.
— On peut au moins le raccompagner jusqu'à chez lui ? Ses parents ne viennent pas le chercher…
— D’accord pour le raccompagner.
Ils marchèrent gaiement jusqu’à la résidence des De Vermeil, dans le quartier derrière l’église. C’était une maison de ville chic et massive.
— A demain Victor !
— A demain, répondit l’intéressé. Fait des papouilles à Clochette et Peter de ma part !
Une fois rentrés au moulin, ils furent accueillis par les chiens et Madame Leroy, qui avait préparé une purée de pommes de terre au jambon. Emile racontait son cours de musique à ses parents tout en mangeant, et il partit se préparer au coucher vers vingt heures. Madame Leroy l’accompagnait pour lui raconter une histoire.
— Quelle histoire veux-tu ce soir ? lui demanda-t-elle.
— Euh… Les pirates ou Peter Pan ? Non… Les animaux de la forêt.
— D’accord pour les animaux de la forêt.
Emile se pelotonna sous sa couverture, se tourna vers sa mère qui était assise sur le rebord du lit, et attendait.
— C’est l’histoire de Démo, le petit lutin des bois. Il faisait beau, les oiseaux chantaient, et il voulait aller rendre visite à ses amis les animaux de la forêt. Alors il mit ses chaussures, son chapeau, il prit son sac sur le dos et il partit de chez lui. Avant d’arriver en forêt, il fallait qu’il longe la rivière. Mais les poissons n’étaient pas ses amis. Quand il marchait trop près de l’eau, ils…
— Ils lui crachaient à la figure ! s’exclama Emile, hilare.
— Ils lui crachaient toute l’eau que pouvait contenir leur bouche à la figure. Ils faisaient des grimaces et agitaient leur branchie de dédain. Et pourquoi les poissons n’aimaient pas Démo ?
— Parce qu’il mange du poisson tous les vendredis !
— Parce qu’il mangeait du poisson tous les vendredis. Arrivé à l’embranchement en forme de patte d’oie, Démo pris la direction de la forêt et n’avait donc plus besoin de longer la rivière. Il fit un pied de nez aux poissons et continua sa route. Il devait maintenant traverser un champ, dans lequel il salua l’épouvantail, qui lui rendit son salut. Enfin il arriva à la forêt. Il vit son ami le cerf. “Bonjour le cerf”. “Bonjour Démo”. Le cerf lui souhaita bonne journée et lui dit de faire attention au sanglier géant. Ensuite, il vit son ami le pic vert, qui lui souhaita bonne journée et lui dit de faire attention au sanglier géant et aux loups. Ensuite, il vit le renard de la forêt, qui n’était pas vraiment son ami ni son ennemi. “As-tu quelque chose à me donner ?” lui demanda le renard. “Que veux-tu ?” lui répondit Démo. “De la chance” répondit le renard. Démo ouvrit son sac, fouilla un peu, et sortit une patte de lapin. “J’ai exactement ce qu’il te faut”. “C’est parfait ! Si tu restes dans les parages, prend garde au sanglier géant”. “Et les loups, je ne dois pas m’en inquiéter ?”. “Ils sont plus bêtes et moins cruels que le sanglier…”. Démo continua à se promener, et croisa des biches et leurs faons, des merles, des blaireaux. Enfin, il se retrouva face à face avec la meute de loups. “Démo, toi ici. As-tu quelque chose pour nous ? Si ce n’est pas le cas, on te croque !”
— Oh non ! s’écria Emile.
— “Que voulez-vous ?” demanda Démo. “De quoi nous faire les dents” répondirent les loups avec de la salive aux lèvres. Démo ouvrit son sac, fouilla un peu, et sortit un os long de vingt centimètres. “J’ai exactement ce qu’il vous faut”. Les loups se battirent pour attraper l’os et partirent le rogner un peu plus loin. Démo continua à se promener, et rencontra ses amis les chats sauvages, les grenouilles et les belettes. Jusqu’au moment, où, au détour d’une clairière, il se retrouva nez-à-nez avec le sanglier géant.
Emile s’enfonça dans ses couvertures, ne laissant que ses yeux dépasser.
— “Démo ! Tu n’aurais pas dû venir ici. A moins que tu n’ai quelque chose pour moi ?”. “Que veux-tu ?”. “Tout le monde me dit que je suis trop brut et trop rustre. Je veux du raffinement”. Démo ouvrit son sac et fouilla un long moment à l’intérieur. “J’ai exactement ce qu’il te faut”. Il sortit une main de femme, coupée nette, avec de longs doigts raffinés. Le sanglier l’avala d’un coup et laissa partir Démo.
— Il l’a échappé belle Démo !
— Bonne nuit mon enfant.
— Bonne nuit Maman ! Je t’aime.
Par contre, je ne vois pourquoi tu as mis l'histoire que raconte madame Leroy. Je l'ai passé. À moins qu'elle apporte quelque chose à l'intrigue.