Partie II - Chapitre 10

Par Vylma

Le lendemain matin, Emile était inquiet. Quand il était rentré trempé, la veille, il n’avait rien dit de la raison pourquoi il avait été chassé de chez Victor et était resté silencieux et docile tout le temps où son père lui fit couler un bain brûlant, et quand il lui sécha ensuite les cheveux.

Bien que ce fut un jour de fête, il devait suivre l’école. Il eu cours de français aujourd’hui, mais n’était pas concentré. Dès que le cours fut terminé et le déjeuner picoré, il obtint la permission de partir en ville retrouver Victor.

Il ne perdit pas de temps en chemin, traçant sa route droit devant, Peter et Clochette à ses côtés.

Il vit beaucoup de monde sur la terrasse du café en passant devant, et il continua son chemin vers l’église. Entrant dans le quartier chic du village, il regardait autour de lui. Les maisons rivalisaient de grandeur, les fenêtres étaient toutes plus brillantes les unes que les autres, les toitures étaient impeccables. D’habitude, il aimait bien admirer les villas et les quelques automobiles particulières qu’il pouvait y avoir. Mais ce jour-là, il les trouvait intimidantes, oppressantes.

Il arriva sans grande conviction devant la bâtisse de son ami. La boule au ventre, il tira la cloche à l’entrée. Il entendit quelques éclats de voix à l’intérieur et la porte s’ouvrit brutalement sur le visage émacié et peu avenant de Marcel, le plus jeune frère, qui venait d’entrer en apprentissage chez le boucher.

— Qu’est-ce que tu fais là ? lui asséna-t-il avec un regard mauvais.

— Je voudrais voir Victor…

— Tu ne peux pas le voir, l’interrompit Marcel. Pas avant un moment. Tire-toi maintenant.

Il claqua la porte, et Emile fit demi-tour avec regret. De l’autre côté de la rue, il essaya de distinguer une ombre à la fenêtre de la chambre de Victor, mais les rideaux étaient tirés. A regret, il fit demi-tour pour rentrer chez lui. Ils s’étaient promis d’aller à la fête de la Saint-Jean, qui devait avoir lieu le soir-même, ensemble ; mais ce plan semblait compromis.

Il était perdu dans ses sombres pensées, quand il fut hélé, en repassant devant le café :

— Emile, mon petit ! l’appela Madame Blanche. Tu sais peut-être ce qu’il s’est passé toi.

— Ce qu’il s’est passé ? demanda l’enfant sans comprendre.

—Tôt ce matin, une ambulance s’est arrêtée devant chez ton ami, les De Vermeil, et est repartie en trombe vers la grand ville. Nous sommes sûres que c’était pour Victor, parce que Madame Rambaud a aperçue le couple ainsi que les trois autres enfants plus tard dans la matinée. Ils ne semblaient pas inquiets et n’ont pas voulu répondre aux questions… Sais-tu ce qui a pu se passer ?

— Victor est à l’hôpital ? 

Devant le visage blême d’Emile, Madame Blanche et ses deux amies s’adoucirent.

— Il a peut-être une petite appendicite, c’est courant. Tu peux demander à tes parents de t’amener le voir, cela lui ferait plaisir, dit-elle en souriant gentiment.

Une fois rentré chez lui, il convainquit sans peine Monsieur et Madame Leroy d’aller à l’hôpital de la grand ville. Ils allèrent devant la mairie prendre un taxi, qui fila entre les champs pendant un moment avant d’arriver devant l’hôpital Saint-Corentin, une bâtisse imposante et très ancienne.

— Nous venons voir Victor De Vermeil, annonça Emile à l’accueil.

Une jeune femme blonde avec les yeux très clairs et un visage allongé lui sourit et leur indiqua de patienter un instant. Peu de temps après, ils suivaient une infirmière d’une cinquantaine d’années, l’air avenant, dans les longs couloirs de l’hôpital. Elle s’arrêta devant la chambre 216 et s’adressa à eux.

— Vous pouvez le voir, mais il ne pourra pas vous répondre. Mais le médecin dit que c’est quand même peut-être utile de lui parler, donc n’hésite pas mon petit, ajouta-t-elle à l’adresse d’Emile.

— Qu’est-ce qu’il lui est arrivé ? C’est l’appendicite ?

Elle sourit faiblement avec un air désolé et ouvrit délicatement la porte. Passant devant elle, Emile entra lentement dans la chambre, intrigué par les paroles de l’infirmière. La pièce était petite, blanche, une faible lumière passait à travers la haute fenêtre en face de lui. Le grand lit trônait au milieu, un pot de chambre au-dessous, et au dessus, Victor, qui paraissait tout petit. Un plâtre entourait son bras droit, et un bandage entourait sa tête. Abasourdi, Emile s’arrêta juste au bord du lit, qui lui arrivait à la taille, et contemplait son ami sans comprendre. Victor était inexpressif, les yeux fermés, et sa respiration faisait bouger sa poitrine de manière à peine perceptible. Ca ne ressemblait pas à l’appendicite, que ses parents lui avait décrit dans le taxi. Madame Blanche s’était trompé.

Ses parents et l’infirmière étaient restés à la porte ; il entendait la soignante parler tout doucement, et il put saisir quelques phrases en tendant l’oreille.

— … trois côtes brisées, l’avant-bras aussi … un mauvais coup à la tête … il ne se réveille pas … 

Emile avait bien compris que l’infirmière ne voulait pas lui parler directement. Aussi il ne posa pas de questions et se concentra d’autant plus sur son ouïe, toujours en tournant le dos à la porte.

— … vous vous rendez compte ? Le médecin pense qu’il est comme ça depuis hier soir … vraiment des parents indignes ! … les parents, mais aussi les frères et soeurs … déjà contacté l’Assistance publique mais ils ne pourront sans doute rien, c’est une famille influente …

Emile n’en croyait pas ses oreilles. La famille de Victor était des plus antipathique mais pouvaient-ils vraiment battre son ami à lui casser les os ? Puis, il se remémora les nombreux pansements. Puis les bleus. Et Victor qui boite. Il se remémora les regards mauvais de ses frères. Et le sourire cruel de sa soeur, la veille. Il resta longtemps immobile devant son ami, les yeux grand ouvert. Le silence avait gagné la pièce ; seuls de lointains bruits de pas se faisaient entendre. Au bout d’un long moment, il sentit la main de sa mère sur son épaule.

— Nous partons, mon fils, dit-elle doucement.

Le chemin du retour se fit dans le brouillard, tout comme le reste de l’après-midi, passé assis dans l’herbe du jardin, à caresser les chiens d’un air distrait. Vint enfin l’heure de la fête, la tant attendue Saint-Jean. Emile n’avait vraiment pas le coeur à cela. Il suivit néanmoins ses parents jusqu’au champ des Maillard, où se trouvait déjà presque tout le village. André le tenancier du café et une jeune fille tenaient le stand de boissons. Les couleurs rouge et jaune étaient partout ; des drapeaux, des fanions, même le maire portait les couleurs. Enfin, les trois feux furent allumés. Il fallut un peu de temps, mais les bûchers s’élevaient bientôt à plusieurs mètres. La nuit était en train de tomber.

Monsieur Leroy était parti chercher des boissons. Madame Leroy parlait avec Marthe à propos des progrès au violon d’Emile. Lui, était à l’écart. Il était face au plus grand bûcher, qui formait une pyramide incandescente d’une quinzaine de mètres. Les flammes étaient vigoureuses et conquérantes, elles léchaient les bûches noircies avec force. 

Emile avait le regard dans le vide, encore. Soudain, une étincelle s’alluma dans ses yeux. Il était en colère. Ses mâchoires se contractèrent, son visage se durcit, ses poings se fermèrent. C’était la première fois de sa vie qu’il était véritablement, indubitablement, dans une colère noire.

Au loin, dans le village presque désert, des cris inhumains déchirèrent la nuit.

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Aliv
Posté le 23/01/2020
Coucou, j'ai lu l'ensemble de la deuxième partie. Elle est bien écrire. J'ai été un peu déçu de ne pas avoir de petites scènes, comme dans la première partie ça m'avait beaucoup plu.

Dans cette partie tu nous fais rencontrer un famille bien étrange et surtout très intéressante.

J'ai trouvé certains chapitres un peu long comme par exemple celui où ils sont à la messe. Étant une non croyante, c'était un peu long. Bon après c'est un question de goût.
Vylma
Posté le 23/01/2020
Merci beaucoup pour ta lecture et ton commentaire !
Sur cette histoire, j'ai fait plusieurs tests de style et sur une durée assez longue, donc j'ai conscience que ce n'est pas spécialement homogène d'une partie à l'autre
Keina
Posté le 12/01/2020
Là, c'est le moment où les horreurs de la vie rejoignent l'horreur fantastique... Chapitre très triste, après l'insouciance enfantine des précédents. J'espère que le petit Victor va sans sortir, et je regrette bien l'arrivée de la soeur dans le chapitre précédent !
Vylma
Posté le 13/01/2020
Oui, c'est un classique dans le fantastique ^^'
Merci beaucoup pour ta lecture !! Je vais commencer à mettre la suite en ligne :)
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