— Salut Victor ! s’écria Emile en arrivant en trottinant place de la Mairie, suivi de Peter et Clochette.
— Salut ! répondit son ami. J’ai peur qu’il pleuve aujourd’hui. J’ai croisé Madame Petitjean en arrivant, elle m’a dit que André lui avait dit que le vieux Henri lui avait dit qu’il était sûr et certain qu’il allait pleuvoir dans l’après-midi.
— Oui, c’est ce que m’ont dit mes parents aussi, ils ont dit qu’il y aurait même de l’orage. Ils ne se trompent jamais sur la météo. On n’aura qu’à rentrer chez moi ! Mais plus important : regarde ce que j’ai chipé !
Emile tendit fièrement la main : dans sa paume se trouvait un petit objet brillant, qui avait visiblement de la valeur.
— C’est le briquet de mon père ! s’exclama-t-il. Je n’ai pas le droit de jouer avec… Mais il est tombé de sa poche ce matin, il ne s’en est pas rendu compte. Je le glisserai dans son manteau ce soir, il ne se doutera de rien ! En attendant, on va pouvoir s’amuser !
— Trop bien ! Qu’est-ce qu’on peut faire brûler ? demanda Victor, ravi.
— Des feuilles d’arbres !
— Des branches !
— Des troncs d’arbres !
— Le bûcher de demain !
Ils éclatèrent de rire et partirent vers les bois.
— Si on perd le contrôle et qu’on déclare un incendie, on va se faire méchamment gronder… réfléchissait Emile à voix haute. Allons à la rivière.
Victor approuva et il finirent, un quart d’heure plus tard, pieds nus dans le cours d’eau avec une réserve de petit bois mort et de feuilles dans les bras.
— Alors ! Par quoi on commence ? demanda Emile.
— Je te propose de faire du plus petit au plus gros. Tiens, commence par cette feuille. Ou deux. Ou le bouquet.
Emile ôta délicatement le capuchon du briquet, le mis précautionneusement dans sa poche de short, et actionna le mécanisme pour faire apparaître une grande flamme jaune qui arracha aux garçons quelques gloussements. Il plaça ensuite une poignée de feuilles bien vertes au dessus, et ils attendirent. Elles brûlèrent timidement en se recroquevillant, mais sans plus. Légèrement déçu, Emile les jeta sans ménagement dans le courant et Victor lui tendit une petite brindille sèche, ramassée par terre quelques minutes plus tôt. Ils attendirent quelques instants, et eurent la satisfaction de voir la brindille s’embraser dans une grande flamme et quelques craquements. Emile la laissa tomber dans l’eau avant de se brûler les doigts, et ils répétèrent l’opération avec des bouts de bois de plus en plus gros.
Complètement concentrés sur leur activité, les garçons n’avaient pas vu venir les nuages. Un éclair fendit le ciel, et le grondement du tonnerre les fit sursauter. Ils n’eurent pas le temps de rejoindre la berge qu’une pluie torrentielle tombait déjà. Ils ramassèrent leurs chaussures, les enfilèrent sans même essayer de se sécher les pieds et commencèrent à courir vers le village, suivis par les chiens.
— On est trop loin du moulin ! cria Victor. Allons chez moi, il n’y a personne à la maison.
— D’accord !
Ils traversèrent le village et arrivèrent, trempés et essoufflés, dans la grande bâtisse des De Vermeil. Les chiens s’étaient ébroués arrivés à la porte d’entrée, et s’étaient allongés devant, sous l’auvent, afin d’attendre leur maître.
— Quel temps ! s’écria Victor. Suis-moi dans la salle de bain, qu’on se sèche un peu.
Ils montèrent en trombe au premier étage, s'engouffrèrent dans une des salles d’eau et sortirent deux serviettes de bain. Après s’être énergiquement séché, ils se rendirent dans la chambre de Victor au deuxième étage.
— Mais j’y pense, dit soudain Emile, votre domestique n’est pas tout le temps là ? Elle ne m’aime pas, elle va me mettre dehors !
— Ne t’inquiète pas, vu l’heure qu’il est elle dort tout là-haut, répondit Victor en pointant du doigt le plafond, et plus particulièrement les combles.
— Bon qu’est-ce qu’on fait ? Tu as de nouveaux jouets ?
— Non. Mais on peut dessiner.
— Bof…
— On peut se raconter des blagues.
— Oh non, les tiennes sont trop nulles ! rigola Emile.
Il avait ressorti le briquet de sa poche, et le faisait négligemment tourner entre ses doigts. Ils restèrent quelques instants à fixer cet objet brillant.
— J’ai une idée ! Ma famille ne doit pas rentrer avant ce soir. Je n’ai jamais le droit de fouiller dans le bureau de mes parents. Mais ce n’est pas fermé à clefs. Tu vois ce que je veux dire ?
— Oh carrément ! On y va !
Ils s’élancèrent au premier étage, et entrèrent en gloussant dans une grande pièces remplie d’étagères de livres et de commodes, avec des cartes du monde et des crânes cornus accrochés au mur, et avec un grand bureau en bois sombre qui trônait en son centre.
Les deux enfants surexcités se tenaient debout au milieu du bureau avec des étoiles plein les yeux et sans savoir par où commencer leur méfait.
— Je ne suis jamais entré aussi loin ! chuchotta Victor avec un sourire jusqu’au oreilles. Je commence par ce buffet affirma-t-il en pointant un imposant meuble avec un globe posé dessus.
Emile alla en sautillant jusqu’à un autre meuble un peu plus loin, l’ouvrit, hésita un instant et commença fébrilement à fouiller. Il en sortit un livre relié de cuir, puis deux, puis toute une pile. Vint ensuite une boite remplie de lettres, et un objet plat, rond, plus grand que sa tête et enroulé dans un linge blanc. Il découvrit un disque de métal doré représentant un oiseau de face, avec la tête tournée sur le côté. La matière était délicatement travaillée de manière à présenter une texture striée spécifique pour les ailes de l’oiseau.
— Regarde ce que j’ai trouvé ! Tu crois que c’est de l’or ? s’écria-t-il.
— On dirait vraiment de l’or ! C’est lourd ? demanda Victor.
— Pas mal oui ! fit-il en tendant l’objet à deux mains à son ami.
Victor inspecta le disque sous toutes les coutures puis le posa de côté avant de reprendre ses investigations. Quelques minutes plus tard, il poussa une exclamation en tenant à bout de bras une large bouteille avec un étrange contenu.
— Regarde ! Il y a un SERPENT ENTIER à l’intérieur de cette bouteille ! C’est dingue !
— T’imagine si ton père la boit ? rigola Emile.
— Non il faut le faire boire à la sorcière !
— C’est peut-être à elle tellement c’est bizarre.
Victor mis la bouteille de côté et passa à une autre commode. Avec de nombreuses exclamations et éclats de rire, il trouvèrent ensuite un chapeau rond, une patte de poule avec des plumes et des rubans accrochés, des étoffes colorées qui sentaient la naphtaline, de petites poupées en corde.
Soudain, Emile entendit ses chiens aboyer et une porte claquer au rez-de-chaussée.
— Victor ! hurla une voix en bas. Il y a de l’eau partout c’est forcément toi !
— Oh non, ma soeur ! murmurra Victor, blanc comme un linge.
Ils entendirent quelqu’un se ruer dans les escaliers à grand bruit, et virent ladite soeur apparaître dans l’embrasure de la porte. Une expression de surprise se dessina sur son visage à la vue du joyeux bazar dans lequel se trouvait les enfants, le sol étant recouvert de leurs trouvailles.
— Olala Victor, murmura-t-elle presque dans un sourire cruel. Tu va avoir de gros ennui quand père et mère seront rentrés…
— Non ne leur dit pas ! On va tout ranger ! supplia Victor.
— Pas question, asséna-t-elle, son expression s’étant refermée. Suis-moi dans la salle à manger. Et toi DEHORS ! hurla-t-elle à l’adresse d’Emile.
Les deux enfants, blêmes, échangèrent un regard paniqué. Emile ne voulait pas laisser son ami seul, mais celui-ci s’était déjà résigné et se levait pour suivre sa soeur. Emile le suivit tout penaud et lui lança un dernier regard compatissant avant de sortir de la maison.
Il rentra chez lui de bien triste humeur, sans courir, ses chiens marchant à ses côtés sous la pluie battante.