Hermès regardait les deux silhouettes endormies sur des lits de plumes. Le jour ne s’était pas encore levé, et elles étaient à présent loin, très loin du monde auquel elles avaient confié leurs vies.
Il passa sa main sur son visage las, fatigué. Se doutant que ni Gabrielle ni Flora ne se lèverait avant un long moment, il chargea d’un regard les deux gardes de se tenir devant la porte des deux attendues, et s’éloigna. Il s’avança péniblement vers le fond du couloir, là où Eric était assis sur un banc. Il contemplait la forme ronde d’une lune briller dans le ciel. La forme d’une seconde semblait vouloir disparaitre derrière des arbres immenses, discrète. Entendant des pas, il se renfrogna, et détourna le regard.
Laissant son compagnon à ses pensées, Hermès s’approcha de la baie vitrée et contempla sans les voir les maisonnettes qui s’étendaient aux pieds des arbres. Un silence pesant s’installa, qu’Eric finit par rompre, les yeux rivés sur ses chaussures, les bras posés sur ses genoux.
— Je ne pensais pas qu’ils auraient envoyé quelqu’un si vite pour la récupérer.
Hermès ne répondit pas tout de suite. Est-ce que les évènements qui avaient touchés Flora étaient liés à une mauvaise préparation d’Eric ? Est-ce qu’ils avaient failli en la pensant hors de danger, comme l’était Gabrielle dans l’autre monde ? Il n’en savait rien, et se tût.
— Pourquoi Cronos et Ouranos s’intéressent-ils autant aux incarnations de Gaïa et de Rhéa ? reprit-il sans plus attendre de réponse. Il pressa ses paumes contre ses yeux cernés.- Je ne comprends pas, je ne comprends pas…
Il marmonnait pour lui-même, les doigts s’emmêlant à ses mèches châtains. Hermès détourna le regard de la torpeur réconfortante qui transparaissait du village endormi, et déglutit en voyant le jeune homme mal en point. Il lui était impossible d’apporter des réponses claires au jeune homme. Son expérience, sa propre vie passée à surveiller les mondes l’empêchait de pousser Eric dans des mystères malsains. Pourtant, il allait avoir besoin de lui. Avisant une place libre, Hermès s’y installa, cherchant ses mots.
— En acceptant ce que l’on t’a confié, Eric, tu es entré dans un jeu qui te dépasse. Je pensais que tu le savais.
Le jeune homme releva vivement la tête. Il cherchait à atteindre le regard distant d’Hermès, qui s’obstinait à observer les deux lunes se lever paresseusement.
— On m’a demandé d’aider les deux seuls espoirs pour un conflit qui s’éternise. J’étais forcé de dire oui ! Flora est une gamine encore, elle se fera bouffer si on la laisse parmi ces rapaces, tu le sais bien !
Bien sûr qu’il le savait. La naïveté d’Eric lui crevait le coeur. Mais pas assez pour le faire douter de son ambition. Il finit par se relever, ajusta sa veste, et baissa les yeux vers Eric.
— La question n’est pas de savoir si tu avais le choix ou non. Demande toi plutôt pourquoi d’autres avant toi ont refusé de prendre ce rôle.
Sur ces paroles, il s’éloigna sans un mot de plus.
Il fallu plusieurs heures encore avant que Flora n’ouvre les yeux. Quand elle le fit, ses paupières semblèrent trop lourdes pour ne pas être lestés de poids morts. Elle jeta néanmoins un regard circulaire à l’endroit où elle se trouvait, sans bouger. Des rideaux blancs à sa gauche, tirés. Une table et des chaises. Des tableaux aux murs qu’elle discernait à peine. Et un discret ronflement à sa droite.
Flora pris conscience de la l’impuissance de son corps quand elle essaya de se redresser. Epuisée, elle se contenta de tourner la tête vers le second lit de la chambre. Un corps y était étendu, endormi. Une femme, des longs cheveux clairs et bouclés. Un sommeil profond, comme celui duquel elle venait probablement de se tirer.
Une porte s’ouvrit contre le mur à sa droite, près du lit de sa voisine. Une silhouette longiligne tenant un plateau se glissa dans la chambre et s’approcha de l’espace entre les deux lits. Posa un verre sur ce qui devait être une table de chevet, près de la tête de Flora. Fit tomber son plateau en remarquant que la jeune femme la regardait.
L’inconnue couvrit rapidement sa bouche de ses mains pales, étouffant une exclamation, et sortie en catastrophe de la chambre. Le bruit qu’avait fait le plateau en s’écrasant paraissait avoir été absorbé par le silence moribond de la chambre.
Flora n’avait pas réagit. Elle commençait à se rappeler ce qu’elle faisait là, et les événements de la veille lui revenaient en tête. Depuis quand était-elle dans ce lit, à dormir ? Et d’ailleurs, où était-elle ?
La porte s’ouvrit à nouveau, laissant la place à deux hommes. L’un deux s’approcha vivement de son lit, le regard fatigué et la mine anxieuse. Lui, elle le reconnaissait. Le second, resté légèrement en retrait, l’observait de loin avec ce qu’il espérait sûrement être un sourire au coin des lèvres. La main froide d’Eric se posa sur la sienne, rappelant à Flora que son corps existait toujours malgré sa lourdeur.
— Tu es réveillée ! fit-il soulagé. Comment te sens-tu ?
Elle prit conscience de sa respiration, de ses souvenirs qui réinvestissaient sa mémoire peu à peu. Elle ouvrit la bouche une première fois, séparant ses lèvres craquelées. Eric avisa l’eau sur la table de chevet, et lui servit un verre. Il redressa péniblement Flora, installa des coussins derrière elle pour la redresser et la faire boire. Hermès, spectateur, restait en retrait.
L’eau fraiche désaltéra la jeune femme, qui s’exprima pour la première fois dans un murmure cassé.
— Où je suis ?
— Dans une salle protégée. Nous sommes arrivés il y a plusieurs heures. Puis Hermès et Gabrielle nous ont rejoint. Comme tu peux le voir, ta compagne dort encore.
Sa compagne ? Elle put se tourner cette fois vers le visage cristallin et doux. Il lui semblait en effet qu’on lui avait parlé d’une deuxième femme. Comment pouvait-elle être liée à une personne qu’elle ne connaissait même pas ? Hermès s’approcha de Flora.
— Bonjour Flora. Tu te souviens de moi ? Nous nous sommes vus dans ton rêve, lorsque tu as rencontré Gaïa.
C’était une expérience étrange de rencontrer un personnage rêvé quelque temps auparavant. Flora se souvint soudainement de la soirée, de l’agression, de son rêve. Une douleur vive lui tira un cri, et elle serra le poing. Son bras gauche s’était remis à saigner. Eric, voyant la tâche vermeille qui grossissait à vue d’oeil, se redressa et chercha des yeux Hermès, qui souriait d’un air confiant.
— Ne t’en fait pas Flora. On va te soigner.
Il se pencha vers la jeune femme, qui ne parvenait plus à maintenir ses yeux ouverts. Elle sombra de nouveau.
Un nouveau jour se levait sur les deux lits. Gabrielle grogna en sentant ses membres endoloris se réveiller peu à peu. Combien de temps avait-elle dormi ? Elle se redressa et aperçu Flora, assoupie, le bras gauche enroulé dans une bande claire. Il s’agissait certainement de la seconde réincarnation, sa jumelle. Elle semblait bien jeune, trop jeune pour une mission pareille. Etouffant un bâillement, elle se leva sans peine en s’étira et passa devant le second lit sans prêter plus attention à celle qui y dormait. Elle s’approcha de la fenêtre, et ouvrit en grand les rideaux. Le son d’oiseaux piaillant dans les branches l’envahit.
Du haut de sa chambre, Gabrielle apercevait la pointe d’un lac à l’eau pure et bleutée, ainsi que de nombreux toits éparpillés aux pieds d’arbres imposants. Elle voyait difficilement les silhouettes s’agiter en contrebas, sortant des maisons et circulant entres elles, cachés par moment par les épais feuillages des arbres centenaires. Une certaine quiétude la saisit.
La lumière subite tira Flora de son sommeil. Elle tenta de se cacher sous ses draps mais s'aperçut ensuite que sa compagne de chambre était debout, devant la fenêtre. Avec soulagement, elle réalisa que la douleur de ses membres s'était atténuée durant la nuit. Elle put ainsi se redresser non sans mal, en bougeant légèrement son bras à présent bandé.
Ce geste rompit la rêverie de Gabrielle, qui se tourna pour faire face à Flora. Un grand silence s’abattit dans la salle blanche, et même les oiseaux dehors semblèrent se taire. Le ciel para le soleil d’une couverture de nuages, et le vent souffla des secrets aux branches.
C’était la première fois depuis des millénaires que Gaïa et Rhéa ne s'étaient pas regardées dans les yeux. Et au fond d’elle-même, Gabrielle sentit ce lien, cette puissance qui leur était propre à toutes les deux, et qui pourtant les rendait si différentes l'une de l'autre. C'est dans cette pièce inconnue, après une nuit bien trop longue et dans un monde ancestral que Flora comprit ce qui lui avait échappé lorsqu'elle avait aperçu pour la première fois la jeune femme.
Elles deux étaient similaires, complémentaires. L'une ne pouvait être sans la présence de l'autre. Au fond de son être, derrière une porte entrouverte, elle la sentit enfin. Cette flamme dévorante, ce sentiment de puissance et de grandeur.
Cette envie d'agir, de protéger et de guérir.
Sa magie.
Je ne vois pas pourquoi tu trouvais ce chapitre "facile", moi je l'aime bien ! En revanche, s'il te dérange pour une raison comme pour une autre, je te conseille de "complexifier" un peu le vocabulaire. :)
... quelques mots plus laborieux peuvent changer beaucoup ! ;)
Que tes rêves sautent sur les rêves !
Plume.
Merci ! Entre rêveuses, on arrive à se comprendre :)
Lucchiola
Très intéressant tous ces petits mystères que tu nous glisses !
Je me demande bien pourquoi deux personnes aux statuts aussi différents ont été mandatés pour veiller sur les réincarnations : un dieu et.. Eric. Bon ok il a sûrement des talents mais clairement ce n'est pas un dieu, et vraiment je ne peux m'empêcher d etrouver ça étrange depuis le début.
Sachant que Rhéa est la fille de Gaïa, cette affaire de "je ne peux vivre sans l'autre" ça fait très lien mère-fille fusionnel et vraiment, c'est pas très sain. (oui je sais le panthéon grec/romain repose sur une famille pas saine du tout mais quand même). Du coup ça veut aussi dire qu'Hermès est le fils et le petit fils des personnes qu'il garde, c'est marrant.
j'ai relevé deux choses:
"Posa un verre sur ce qui devait être une table de chevet, près de la tête de Flora. Fit tomber son plateau en remarquant que la jeune femme la regardait." : je n'ai pas trouvé élégant ce procédé de squeezer le sujet au début de ces phrases
"silence moribond" : ça veut dire que le silence est en train de disparaitre, donc logiquement il y a du bruit.. Je ne comprends pas trop ton choix d'adjectif/ce que tu veux dire
Plein de bisous !
Eric est bien un dieu, rassure toi ;) un qui, dans la mythologie, est très proche de Gaïa par sa nature.
Je ne sais pas si ce que je vais te dire va t'aider, mais il n'y a absolument rien de sain dans ce que j'écris, justement XD
Merci pour tes remarques, et j'ai changé le mot, tu avais raison ;)
Bisous !
Je me demande bien ce qui fait qu'elles soient complémentaires alors qu'en terme de parentalité mythologique l'une est la fille de l'autre.
C'est d'ailleurs curieux (je l'avais remarqué avant mais je ne le formalise que maintenant) qu'il y ait cette opposition entre hommes et femmes en terme de "champion" du bien/mal. On va voir ce qui se cache derrière.
Je suis toujours sur mon avis que c'est court, mais après niveau hype ça aide à monter à fond l'engouement. Donc ... je dirai que c'est payant.
Avec cela, je sers un discours féministe.
Oui, c'est un sacré bordel.
Petite remarque de forme : "Flora pris conscience de la l’impuissance" ce "la" me semble superflue ;-)
Merci.
La fin me semblait trop simple, trop offerte. J'aime conclure de manière brute, mais j'ai trouvé qu'ici, c'était trop "facile".
Bon, après, j'ai un esprit assez tortueux !
Je suis contente de savoir que l'histoire motive un peu, ça fait toujours plaisir :')
A très vite !
J’ai eu un peu de mal avec cette phrase « La forme d’une seconde semblait vouloir disparaitre derrière des arbres immenses, discrète » .
Je sais pas, j’ai du la lire plusieurs fois. Il y a quelque chose qui me dérange.
« tu es entré dans un jeu qui te dépasse. » oh oui Eric un grand jeu, une grande partie d’échec ou de Monopoly ^^
« — La question n’est pas de savoir si tu avais le choix ou non. Demande toi plutôt pourquoi d’autres avant toi ont refusé de prendre ce rôle. »
Parce que cela va avec un destin tragique voilà pourquoi ils ont refusé non mais Hermes !
Oh Eric, tu as l’air tellement gentil… Trop touchant .
j’ai doré ce passage « Ce geste rompit la rêverie de Gabrielle, qui se tourna pour faire face à Flora. Un grand silence s’abattit dans la salle blanche, et même les oiseaux dehors semblèrent se taire. Le ciel para le soleil d’une couverture de nuages, et le vent souffla des secrets aux branches. »
Très jolie !
j’ai adoré également ce paragraphe : C’était la première fois depuis des millénaires que Gaïa et Rhéa ne s'étaient pas regardées dans les yeux. Et au fond d’elle-même, Gabrielle sentit ce lien, cette puissance qui leur était propre à toutes les deux, et qui pourtant les rendait si différentes l'une de l'autre. C'est dans cette pièce inconnue, après une nuit bien trop longue et dans un monde ancestral que Flora comprit ce qui lui avait échappé lorsqu'elle avait aperçu pour la première fois la jeune femme.
On entrevoit toute la puissance de ton hisser, les enjeux. Les ressemblances des deux femmes pour leur destin tout tracé et aussi tout ce qui les opposent.
Perso j’aime bien la fin mais je dirais pas SA magie mais la magie…
Ce n’a change pas grand chose tu me diras mais je trouve qu’elle ne sent pas que la magie qui l’anime ou celle de Gabrielle mais LA magie de ce monde en général tu vois ?
Tu pourrais rajouter une ou deux phrases du style
Le regard planté dans celui de l’autre, elles se promirent de s’accommoder de ce destin qui était le leur ou je sais pas.. c’est une suggestion mais ça ne me choque pas que tu finisses sur le mot magie en tout cas.
Merci pour ton commentaire <3
Ouais, il est touchant Eric hein ? *rire de sadique* Faut que j'aille prendre mon Xanax moi, ca va plus XD
Merci beaucoup pour ton dernier conseil ! Je ne pense pas le placer dans ce chapitre, mais je garde ta phrase pour une partie qui arrivera bientôt, où les deux se "reconnaitront" en tant qu'incarnations de titanides. Ca passe niquel !
Pour "la" magie, j'hésite un peu car au final, ce que ressens Flora, c'est quelque chose d'intime... Utiliser un possessif est peut être plus judicieux qu'un démonstratif, je ne sais pas trop :/
Merci d'être toujours là !!