Partie II - Chapitre 19

Des bruits insistants poussèrent Flora à ouvrir un oeil en grognant.

Les rayons d’un soleil chaleureux s’immisçaient dans la chambre. Les sons matinaux d’oiseaux perturbèrent la jeune femme, qui ne savait plus où elle se trouvait.

Les coups raisonnèrent à nouveau, et Flora finit par se redresser brusquement. Elle reconnu ses affaires au pied de l’immense lit, les restes du repas de la veille sur la table, puis secoua la tête en passant sa main dans sa tignasse emmêlée.

Elle avait presque oublié.

Son chat grimpa sur le lit, et miaula pour attirer son attention. Un énième coup retentit, et Flora réalisa qu’on frappait à la porte depuis plusieurs minutes. Elle jura en rejetant ses couvertures, et fila ouvrir en trébuchant. C’était Gabrielle.

— C’est pas trop tôt ! lança-t-elle mi-amusée, mi-agacée.

Flora dû s’effacer pour la laisser entrer, et referma très vite. Elle ne s’était pas préparée à recevoir de la visite aussi tôt. Bien qu’après réflexion, elle ne savait absolument pas l’heure qu’il pouvait être alors.

Gabrielle avait troqué sa tenue rouge contre une beaucoup plus discrète, grise et blanche qui lui allait fort bien. Ses cheveux rehaussés en une longue queue de cheval soulignaient les traits délicats de son visage, et Flora ne put s’empêcher de vouloir retourner se cacher sous les couvertures.

— Tu devrais te dépêcher, fit Gabrielle en souriant. Il parait que ça chauffe en bas.

— Qu’est-ce qui se passe ? demande Flora, inquiète.

— Je n’en sais rien justement. J’ai entendu un sacré remue ménage près de ma chambre, et j’ai juste croisé Hermès qui nous demande de ramener nos fesses le plus vite possible. Bien évidement - ajouta-t-elle en ayant un sourire malicieux - il l’aura dit plus poliment.

Flora soupira en passant à nouveau sa main dans ses cheveux, transformant l’amas de boucles et d’ondulations en un sac de noeud. Elle regarda autour d’elle-même, ne sachant par où commencer. Elle entendit soudain un sifflement admiratif et se retourna vers Gabrielle, qui s’était permise d’ouvrir une armoire.

— On n’est clairement pas traité de la même manière !

Flora s’approcha en fronçant les sourcils, et découvrit, stupéfaite, une quantité incroyable de vêtements soigneusement rangés. L’armoire, gigantesque, contenait son lot de robes soyeuses, de pantalons, de manteaux doublés de fourrure ou encore d’étoles et de bottes. Elle ne put s’empêcher de siffler son admiration.

— Je crois que je n’ai jamais vu autant de vêtements, fit-elle en voyant Gabrielle se servir d’une tenue complète, allant de la ceinture, au petit mouchoir glissé dans une poche.

— Tu en as clairement reçu plus que moi, dit Gabrielle qui touchait le tissu délicat. Il semblerait que Rhéa ne soit pas la bienvenue par ici. Je m’en étais déjà douté, mais là, c’est évident ! Je n’ai reçu que trois ensembles, et encore, l’un deux a été rajouté quand j’ai spécifié que je ne pouvais pas monter à cheval en robe.

Flora l’avait observé du coin de l’oeil pendant qu’elle reposait et prenait d’autres étoffes dans la penderie. Si Rhéa et Gaïa étaient acceptées parmi le peuple de Barren, il semblait en effet que certains liens aient été tissés plus sérieusement avec Gaïa.

Gabrielle se tourna finalement vers Flora et lui mit dans les mains une magnifique chemise en soie blanche et un pantalon tellement bleu qu’il virait au noir. La douceur du tissu lui coupa le souffle.

— Je pense que cela t’irait très bien. Va te changer. Je te ferai une natte après, ça ira avec l’ensemble.

Flora sourit, presque de mauvaise grâce en reconnaissant que la tenue lui irait certainement. Mais l’assurance dans la voix de Gabrielle, de celle qui ne se fait pas souvent refuser quoique ce soit, fit tiquer la jeune femme.

— Je vais me préparer, dit-elle simplement. Par contre, je n’aime pas les nattes.

Elle tourna les talons, laissant Gabrielle seule.

 

En descendant les escaliers, elles croisèrent une multitude de servants visiblement agités, qui courraient de salle en salle. Elles arrivèrent au pied de l’escalier de la veille, près de l’anti-chambre de la bibliothèque et elles perçurent des éclats de voix en provenance de la salle du trône. Eric arriva à ce moment-là, et vint directement à leur rencontre comme s’il les attendait.

— J’espérais bien que vous arriveriez rapidement, lança-t-il l’air soucieux.

— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Flora.

Eric ouvrit la bouche, puis la referma en voyant deux femmes passer près d’eux. Il prit Flora par le bras et l’entraina dans la salle qu’ils avaient utilisé la veille pour patienter, Gabrielle à leur suite. Il ferma la porte, puis se tourna vers elles.

— Je suis désolé Flora, mais tu vas devoir partir aujourd’hui.

Cette dernière fronça brusquement les sourcils, ne saisissant pas pleinement les enjeux de l’annonce.

— Mais pourquoi ça ? Tu viens avec moi, n’est-ce pas ?

La question prit Eric au dépourvu, et il offrit un sourire malheureux en guise de réponse. Gabrielle les regardait l’un après l’autre, discrète.

— Je ne peux pas venir avec toi, Flora, je suis désolé. Tu sais que je ne te laisserais pas aller n’importe où… Il a été décidé que tu irais dans le sanctuaire d’Ambre dès aujourd’hui.

Flora le regarda sans comprendre.

— Je ne sais pas ce que ça représente, tu le sais bien ! C’est une bonne ou une mauvaise nouvelle ?

— Et bien, tu seras sous la protection d’Hadès.

Un froid s’abattit sur la salle. Gabrielle ouvrit la bouche, tandis que Flora cligna des yeux.

— Pardon ? fit-elle d’un air incongru.

Eric soupira et se passa la main sur la nuque, comme il avait l’habitude de le faire lorsqu’il perdait ses moyens.

— Je sais Flora, je sais… Ça pourrait être une mauvaise nouvelle, mais Hadès n’est pas mauvais. Il est spécial, et franchement pas agréable, je le conçois parfaitement. Mais c’est lui qui possède le Sanctuaire d’Ambre, et Orion estime que c’est là que se trouve ta place.

Gabrielle s’éclaircit la gorge et prit la parole.

— Tu as conscience quand même que ce type donnerait sa main gauche pour pouvoir étriper Flora, n’est-ce pas ?

Eric se tourna vers elle, presque surprit de se rappeler qu’elle était là également.

— C’est ce que l’on pourrait croire, mais quand bien même il aboie beaucoup, il ne mordra jamais. Il vous doit le respect et la sécurité, il le sait mieux que quiconque.

Un silence pesant s’installa, et Flora se mordit la lèvre. Elle n’avait pas eu le temps d’imaginer ce qui se passerait après la cérémonie, mais elle n’aurait jamais envisagé qu’elle serait confiée au type qui rêverait de la voir morte.

— De toute façon, je n’ai pas mon mot à dire, reprit-il d’un ton sans appel. Et je crains que vous non plus. Les évènements de la veille ne nous laissent pas une grande marge de manoeuvre.

La trahison de la reine leur revint alors en tête, et Flora croisa le regard de Gabrielle brièvement. Elle se rappela de la détermination glaciale, sans égal de cette femme qu’elle avait à peine croisé, qui était prête à détruire pour obtenir ce qu’elle ne pouvait recevoir légitimement.

Elle secoua la tête, refusant de revoir encore les images sanglantes de l’attaque, et suivit du regard Eric qui allait rouvrir la porte.

— Allons-y. Ils ont du servir de quoi vous restaurer.

En silence, elles quittèrent l’anti-chambre, ressassant intérieurement la nouvelle. Ils traversèrent le hall et entrèrent dans la salle du trône qui avait été rangée et nettoyée avec efficacité. La grande table était revenue, et quatre servants s’activaient autour pour y servir boissons et plats. Hadès, Orion, Apollon et Hermès y étaient installés. Le roi Elendil, exténué, présidait cette tablée peu commune, la tête dans les mains.

Ils levèrent les yeux à l’approche des nouvelles arrivées. Hermès se leva pour tirer une chaise près de lui, et Eric fit de même à l’opposé pour Flora. Elles s’installèrent dans un silence gênant, tout de suite assaillies par une tasse d’un liquide fumant et d’une assiette pleine de victuailles.

— Merci de vous joindre à nous, mes Dames, commença le roi. Les… événements de la veille auront eu raison d’un conseil exceptionnel, et certaines décisions ont dû être prises pour votre sécurité.

La voix, posée malgré la fatigue qui luisait dans le regard soudainement vieilli, annonçait de sombres augures. Bien que Flora eut déjà été mise au courant, elle ne put s’empêcher de frissonner.

— Nous allons vous séparer, fit une voix dans un râle maladif.

Flora sursauta, et se pencha pour voir à sa droite, derrière Eric et Hadès, Orion qui mangeait avec appétit le contenu de son assiette. Ils attendirent qu’il ait fini de mâcher pour espérer un développement.

— Vous ne pouvez pas rester toutes les deux, reprit-il après s’être essuyé la bouche. Vous ne savez pas encore quoi faire de vos deux mains, mais cela va venir et vos auras seront on ne peut plus reconnaissable avant que vous n’ayez appris à les cacher.

Flora baissa les yeux vers son assiette, cherchant un moyen d’éviter une confrontation avec Hadès qu’elle sentait fulminer à un mètre d’elle.

— Leur sécurité est primordiale je le conçois, fit une voix qui la surpris. Mais peut-on être certain que cela est pour leur bien ?

Apollon avait pris la parole, d’un ton calme et distant à la fois. Il semblait éviter consciencieusement de regarder Flora, et celle-ci se sentit mal en se rappelant qu’elle ne l’avait même pas remercié de l’avoir sauvé la veille. Du coin de l’oeil, elle vit Hadès se pencher vers l’homme au cheveux roux, les mains croisées au-dessus de son assiette.

— Si tu penses que je vais me risquer à tuer une âme que je retrouverai de toute manière aux Enfers, tu te trompes.

Sa voix glaciale fit couler une goutte de sueur dans le dos de Flora, qui serrait les poings.

— Je pense surtout que tu lui pourriras la vie, et que ça ne l’aidera pas à évoluer.

Le ton ferme fit tiquer Hadès, qui étira ses lèvres en un rictus sardonique.

— Je ferai ce que l’on me demande, rien de plus. Si le sanctuaire d’Ambre doit accueillir Gaïa, ce sera sous mes conditions. Azelan s’occupera d’elle, je n’ai rien d’autre à faire dans sa quête.

Le silence se fit, et on entendit seulement les raclements de fourchettes d’Orion, qui dégustait le contenu de son assiette allègrement. Hermès s’éclaircit la voix pour parler.

— Si la situation de dame Flora est statuée, il faut convenir d’un départ rapide. Le mouvement repéré hier près du Gouffre a été contenu, mais il ne faut pas risquer de voir de nouvelles incursions dans les jours à venir.

— Oui, c’est pour ça qu’elle doit partir aujourd’hui, conclut Orion. Et dame Gabrielle sera sous votre responsabilité, comme c’est le cas depuis très longtemps après tout.

Le soupir que poussa Gabrielle ne passa pas inaperçu, et Flora sentit Eric se raidir.

— Pourquoi ne puis-je pas me joindre à Flora pour sa formation ? risqua-t-il. Après tout, c’est moi qui l’aie fait passer d’un monde à l’autre.

— Doit-on te rappeler que Granyel est à vos trousses ? Ton petit tour ne lui a pas spécialement plu.

La voix d’Apollon avait fusée, sèche et désagréable. Flora sursauta et se tourna vers Eric, qui serrait les dents. Il hocha la tête, et se tut. Elle ne put garder le silence.

— Ce n’est pas la faute d’Eric !

Certains sursautèrent, et se tournèrent vers elle à l’unisson. Elle se sentit rougir sous leurs regards.

— C’était de ma faute. C’est moi qui suis partie de chez moi. Je… Je ne pensais pas que tout cela arriverait. Il n’a fait que me défendre. S’il n’avait pas été là, je… Et bien, je serais morte.

Malgré ses hésitations, Flora s’était appliquée à garder la tête haute et à croiser le regard de tous, ou presque. Hadès observait le mur droit devant lui, tandis que Orion semblait piquer du nez. Eric lui sourit faiblement, mais dans ses yeux, elle lisait l’acceptation d’une décision supérieure à la sienne.

— C’est très noble de ta part Flora, fit Hermès l’air aimable, mais en effet, il n’aurait pas du se passer ce qui est arrivé. Eric n’est pas le seul fautif, nous manquions de préparation certes. Mais c’est arrivé, et il faudra un peu plus de temps pour que ta protection soit remise entre ses mains seules.

Elle sentait près d’elle la colère sourde qui transparaissait des bras de celui qui l’avait guidé jusqu’ici. Flora réfléchissait, mais ne savait pas comment inverser la tendance.

Un raclement de gorge les tira de leurs réflexions, et le roi Elendil s’adossa à sa chaise, lâchant la lettre qu’il tenait à la main depuis le début.

— La précipitation ne doit pas empêcher la réflexion, fit-il d’une voix dure. Hermès pourra entamer le périple à la recherche des Reliques de dame Gabrielle, avec celle-ci pour l’accompagner. Vous ne serez évidemment pas seuls, le peuple de Barren se porte garant de votre sécurité. Quant à dame Flora, si le plus sûr selon vous est de l’emmener sous la protection du sanctuaire, vous aurez également le droit d’utiliser nos forces.

— Ce ne sera pas nécessaire.

La voix tranchante d’Hadès avait jailli, et il fit glisser sa chaise pour se lever. Il posa sa main sur la garde de la dague qu’il portait à sa ceinture, et se tourna vers le roi.

— Sauf votre respect, Azelan est parfaitement à même de guider Gaïa par le bois. Tant qu’il reste sous la protection du domaine de Barren, rien n’arrivera.

Sans un mot de plus, il inclina discrètement la tête vers le roi et tourna les talons. En partant, son regard croisa celui de Flora, qui avait levé la tête pour le voir partir. Elle crut qu’il allait dire quelque chose, mais il s’en fut.

— Et bien… Il y a des bagages à faire on dirait.

Orion souriait et semblait le seul à se satisfaire d’une tournure qui inquiétait le reste du groupe. Apollon l’observait, la mine songeuse, tandis que le roi relisait une énième fois le contenu de la lettre qu’il avait lâché quelques minutes plus tôt.

Eric se tourna vers Flora avec un pauvre sourire.

— Tout ira bien, murmura-t-il. Tu verras.

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ludivinecrtx
Posté le 24/08/2020
Coucou (oui ça fait longtemps mais avec un nouveau travail ce n’est pas facile).

«Flora dû s’effacer pour la laisser entrer, et referma **très vite. « j’aurais préciser la porte.

Oh mais pourquoi la mettre chez un type qui la déteste pour la protéger ?

Je trouve que tu traite peu les émotions du Roi. Après tout c’est sa femme la traitre, il ne devait même plus être dans les parages ou alors si abattu non ?

Hadès se veut désagréable, je pense que c’est le genre de perso avec une grosse carapace. Il va se dévoiler au fur et à mesure.

On voit que le peuple à l’air d’env ouloir encore à Gabrielle. Hâte d’en apprendre plus sur tous ça
Xendor
Posté le 30/05/2020
Bigre, il est vraiment bourru Hadès. On a l'impression qu'il fait exprès d'être le méchant de l'histoire, mais je reste convaincu que c'est un gros malentendu du futur. Courage pour Flora, elle est déjà obligée de partir, une fois de plus, avec un individu qu'elle n'apprécie guère. Franchement, niveau stabilité émotionnelle, elle va prendre cher.

Sinon le reste est très clair. Est-ce que la raison pour laquelle Gabrielle et Flora ne sont pas traitées de la même manière est plus profonde que ce que tu en as raconté ? Je sens un truc, mais je n'en suis pas sûr ^^
Lucchiola
Posté le 31/05/2020
Qu'il fait exprès, je ne pense pas. Il en a gros sur la patate, ça c'est certain !

Flora, c'est un peu comme si elle avait embarqué pour Space Mountain et que le type qui gère l'attraction lui offrait des tours gratuits en permanence ! Elle va finir par vomir au bout d'un moment, c'est sur XD

Gabrielle et Flora ne sont en effet pas traitées de la même manière, et il y a bien une raison à cela !
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