Son rêve devenait enfin réalité.
Le morceau de peau qui avait auparavant constitué le semblant de visage de Monsieur Leroy n’avait pas encore touché sol qu’un sourire à la fois enfantin et dément éclairait le visage de François.
Enfin !
Après des années à guetter la moindre rumeur qui sortait de l’ordinaire, à se casser les dents sur de fausses pistes ou des vérités décevantes, à scribouiller des articles insipides et sans aucun intérêt ou faire des portraits de riches parfaitement inintéressants et imbus de leurs personnes, enfin, il avait quelque chose !
Un scoop, qu’il était le seul dans cette pièce à pouvoir exploiter !
Il allait enfin être reconnu !
Ce frisson qu’il avait tant attendu le traversait délicieusement de part en part tandis que sa main cherchait son appareil photo dans son sac en bandoulière sans même en avoir conscience.
Son moment de grâce fut soudain interrompu par un bruit assourdissant. Totalement hypnotisé par la face indescriptible de leur hôte, il n’avait pas vu Robert sortir son revolver et tirer à bout portant dans le coeur de Monsieur Leroy. Celui-ci vacilla légèrement sur le coup, et François entendu clairement la balle s’enfoncer dans le mur derrière lui, en faisant voler des éclats de bois.
Un peu hébété, il regarda autour de lui et vit Marthe les larmes aux yeux, l’air affolée, et André complètement terrifié qui essayait de se faire le plus petit possible derrière une table. Il ne pouvait pas voir le visage de Robert, qui lui tournait le dos, mais il entendait sa respiration paniquée et voyait ses épaules trembler. Il se demanda confusément ce qui les mettait dans cet état. Ils avaient enfin trouvé ! Ils devraient danser de joie ! Pourquoi Robert avait-il tiré d’ailleurs ?
— Vous n’avez rien à faire ici, résonna une voix monstrueuse au bout de plusieurs secondes de silence.
André fit un drôle de bruit, comme un chat dont on aurait malencontreusement écrasé la queue.
Marthe se plaqua contre le mur derrière elle en hoquetant de surprise et d’horreur.
François laissa échapper un petit rire d’étonnement en dépliant mécaniquement son appareil photo.
Robert, quant à lui, vida son chargeur sur le monstre en face d’eux. Dans la panique, une balle siffla au-dessus de son épaule, mais les trois suivantes traversèrent son buste en laissant de petits trous noirs dans son manteau. La dernière balle l’atteint en plein visage. Un petit tourbillon s’y forma, faisant miroiter une substance noire brillante pendant quelques instants avant de reprendre sa forme initiale.
Toute pensée avait quitté l’esprit de Robert. Ce qu’il voyait était tout simplement inconcevable. Tout au fond, loin de sa conscience, une petite voix lui criait de partir aussi vite qu’il le pouvait. Tout ce qui comptait était de rester en vie. C’est ce qu’il avait apprit à l’armée. Mais cette voix, il ne l’entendait plus. Les yeux écarquillés, la bouche légèrement ouverte, il était incapable de faire le moindre geste.
L’impact des balles avait malgré tout fait reculer Monsieur Leroy de quelques pas dans le couloir, suffisamment tout du moins pour passer devant lui et atteindre la porte d’entrée.
Il se demandera ensuite toute sa vie comment il avait réussi cet exploit, mais ce fut André qui reprit ses esprits et qui prit la situation en main.
Sortant de sa torpeur, il pris la main de Marthe et la tira sans ménagement. Il poussa violemment François en criant :
— C’est pas le moment, imbécile ! Tu ne vois pas qu’on va tous y passer, comme les De Vermeil ?
Des éclairs de souvenirs de traces de sang et de main coupée traversèrent sa vision, et brisa son excitement. Soudain, il eut peur, une peur envahissante qui l’enveloppa entièrement. Fébrilement, il fit quelques pas.
André avait continué à avancer, agrippa fermement l’épaule de Robert et couru comme il pouvait vers la sortie avec ses deux fardeaux.
— Allez, magne-toi ! hurla-t-il tandis que Monsieur Leroy se redressait.
Ils finirent tant bien que mal dans le jardin, courant de plus en plus vite, chacun retrouvant l’usage de ses jambes.
Ils passèrent devant Madame Leroy, toujours à l’entrée du jardin, qui faisait barrière de son corps devant son fils et qui leur jeta un regard terrifiant lorsqu’ils passèrent.
Ils échappèrent de peu aux chiens, qui les suivirent jusqu’au bout du chemin de terre avant de retourner à leur poste, près de leurs maîtres.
Ils étaient arrivés à l’entrée de la ville lorsqu’ils ralentirent, et André se tourna vers ses compères, les larmes aux yeux.
— Oh mon dieu, on est vivants ! Mais qu’est-ce que c’était ? Qu’est-ce qu’on fait ?
Il semblait incapable de prendre la moindre décision à présent. Il avait épuisé son stock.
— On ne peut pas rester ici, affirma Marthe le plus fermement possible au vu de son état mental. Allons chez moi, on avisera ensuite.
Ils la suivirent d’un pas rapide en silence, chacun dans ses pensées. Vu de l’extérieur par quelqu’un qui profitait simplement de ce bel après-midi d’été, ils devaient constituer une bien étrange procession.
Une fois montés dans le petit salon cosy au-dessus de l’école de musique, ils s’installèrent autour de la table basse pendant que Marthe allait chercher des verres et un remontant. Bien qu’elle n’y touche quasiment jamais, elle avait gardé de son père l’habitude d’avoir toujours une bouteille de whisky en réserve en cas de coup dur. Elle servit généreusement chacun de ses compagnons d’infortune ainsi qu’elle-même, et ils buvèrent fébrilement sans se regarder.
— Il faut appeler la police, finit par affirmer Marthe.
— Ils ne vont jamais nous croire ! geignit André.
— Si seulement j’avais eu le temps de prendre une photo… regretta François, qui avait encore son appareil à moitié déplié dans les mains.
— Il y a un cadavre dans leur jardin ! cria Marthe. Il faut que la police le voit avant qu’ils ne le cache ! Et pour ce qui est de… de ce qu’est Monsieur Leroy… il faut que des personnes compétentes s’en occupent, le mettent hors d’état de nuire… Et Emile alors ? On ne peut pas le laisser avec un, voire deux monstres !
— Peut-être qu’il est pareil… objecta François.
— Non…
Tous sursautèrent à un bruit de verre brisé suivi du son d’un fruit trop mûr que l’on écrase. Robert avait été le premier à finir son whisky, avait fixé le fond de son verre et l’avait brisé sur le rebord de la table avant de s’enfoncer le tesson dans son oeil droit. Il était maintenant en train de tenter de retirer son arme improvisée pour se crever le gauche quand tous les autres se jetèrent sur lui pour l’immobiliser.
— Tenez-le bien, je vais appeler les secours ! cria Marthe avant de se ruer dehors chercher la cabine téléphonique la plus proche.
Deux heure plus tard, tous trois patientaient dans une salle d’attente vétuste. André allait régulièrement demander à l’hôtesse d’accueil s’il y avait des nouvelles de leur ami, mais elle faisait toujours non de la tête avec un sourire contrit. Une infirmière finit par venir les chercher et les mener jusque devant une chambre individuelle où un médecin patientait avec un dossier dans les mains.
— Bonjour. Je suis le docteur Lemann. Je dois vous prévenir que vous ne pourrez pas parler avec Monsieur Maillet, nous avons dû l’endormir. Il était encore très agité. Dès ce soir, nous le transférons à l’asile Sainte-Marie de l’autre côté de la ville jusqu’à ce qu’il ait… repris ses esprits.
— Pouvons-nous le voir tout de même ? demanda Marthe d’une petite voix.
— Oui, mais pas plus de dix minutes. Et avant cela, je dois vous poser une question. Quand il est arrivé ici, il continuait à essayer de se mutiler en répétant “je ne veux plus jamais voir ça”. Savez-vous de quoi il voulait parler ?
Après un échange de regards qui n’échappa sans doute pas au médecin, ils répondirent tous trois par la négative et entrèrent dans la chambre où reposait Robert.
Il dormait, une expression sereine sur le visage. Un énorme pansement recouvrait son oeil droit, et ils remarquèrent rapidement que leur ami était sanglé au lit.
Ils allèrent le voir le lendemain après-midi à l’asile, où il était gardé dans une chambre presque vide que tout sentiment positif semblait avoir quitté. Il ne sembla pas les voir et ne répondait pas à leurs questions, restant prostré sur son lit et fixant un point devant lui. Malgré tout, André tint à le tenir au courant de ce qu’il s’était passé. Il lui raconta comment ils étaient allés au commissariat à la première heure le matin même, qu’ils ne leurs avaient parlé que du facteur disparu, qu’une fouille avait été organisée dans le jardin du moulin. Rien n’a été trouvé, mais les chiens de police semblaient sur une piste et étaient très agités. La police leur a ensuite dit qu’ils surveilleraient la famille Leroy, mais qu’ils ne pouvaient rien faire de plus.
Quelques minutes plus tard, ils traversaient le jardin de l’asile pour rentrer chez eux, en silence, tandis qu’un désoeuvrement profond les écrasait.
Cool que ce ne soit pas trop prévisible ! J'aime bien le gore, mais j'ai essayé de ne pas trop en faire ^^'
Pour l'écriture, il y a quelques fautes. Comme par exemple chuchoter. Tu as mis deux t au lieu d'un seul. Après ce n'est pas bien grave. Les plus grands auteurs en font.
J'attends la suite avec grande impatience.
À bientôt.
Alisèe
La suite va arriver prochainement, j'espère qu'elle te plaira !
A bientôt