Partie une : Lettres - Déchéance (4)

Notes de l’auteur : Ouf ! Ce chapitre arrive enfin à son terme, désolé pour la longueur !
Bonne lecture !

Pourquoi sommes-nous ainsi ? Pourquoi devons-nous continuer sur ce chemin ? Qu'est-ce qui nous efface par la suite ? Et seul le temps me paraissait être une réponse valable. Il ne subsistait que le temps, qui avale tout et ne recrache rien. Mon père disparaissait et je comprenais que cette force toujours en mouvement, ce temps bien plus puissant que nous, ne laissait rien. Qu'est-ce qu'une photo... Un souvenir ? Un lien ? Les portraits de mon père n'étaient qu'illusions, que mensonges. Une manière de ne pas oublier son visage ; il m'arrive encore aujourd'hui de regarder d'anciennes photographies et d'être surpris : les regards, les formes, les sourires. Étrangement, Lily et papa n'avaient rien à voir avec ces personnes figées. Ils étaient une somme d'idées et de réflexions à mes yeux et pour moi, seules leurs pensées leur avaient survécu.

Mais le temps, encore, avalait ces dernières.

Mélanie se mit en colère.

Pourquoi prendre la vie comme ça ? Pour quelle raison je vivais ainsi ? Ne lui suffisais-je pas ? Où sont nos sourires ? Le suicide, c'est qu'une connerie, alors pourquoi le prendre tant à cœur ? Arrête, disait-elle, arrête ! Tu me fatigues, tu n'es qu'un triste, voilà ce que tu es, un triste ! Moi aussi je suis pas bien, moi aussi j'ai envie de pleurer ! Mais je le fais pas, moi ! Ce que je fais, c'est que je ravale tout ! Elle était ainsi, les poings serrés, le ventre rond, la haine dans les yeux.

Poignardant ma déchéance avec hargne.

Tais-toi ! Tais-toi ! Tais-toi !

Je l'entends encore hurler et me détruire alors que j'avais besoin de réconfort et d'amour.

 

Alors que notre union paraissait déjà être vouée à l'échec, alors que Mélanie, lassée une unique fois de mes craintes, préférait garder le silence, j'espérais encore. Durant bien des semaines, parfois, aucun mot n'était prononcé. Seulement, cela ne me dérangeait pas : j'aime rester seul, tandis que je réfléchis sur mes travaux. Effectivement, en 1997, j'avais commencé à faire mes recherches pour ma thèse : interrogations et angoisses dans les œuvres de Jacques Verrier. J'avais décidé d'observer les écrits d'un auteur résolument contemporain et mon insistance et ma ténacité eurent raison des jurés – je pense que mon parcours en tant qu'étudiant joua en ma faveur.

Nonobstant, les silences furent nombreux en 1997, même s'ils se transformaient en paroles passionnées dès que nous nous retrouvions en famille : il fallait que son histoire d'amour soit parfaite, que je l'aimasse et qu'elle m'aimât. Que tous deux nous soyons la moitié indispensable à l'autre. Et cela, en société.

Pourtant, le 17 janvier, tout cela fut réduit à néant.

La veille, Emily avait mis fin à ses jours.

Nous retrouvions une lettre.

Mélanie put la lire.

 

Alors que Fanny disparaissait sans laisser de traces dix jours plus tard, alors que ma mère claquait la porte de chez nous, avec son deuxième fils, dix mois plus tard, Mélanie resta un an.

Ce n'était pas par amour.

C'était par désir de conserver son statut social.

J'étais si lâche. Je voyais qu'elle ne m'aimait plus du tout, que j'étais devenu une erreur à ses yeux. Je voyais tout cela mais j'étais incapable de mettre fin à cette relation basée sur le mensonge. Je ne voulais pas parce qu'elle demeurait la seule personne à mes côtés, et parce que Loïc était avec elle, à chaque instant, et l'aimait comme un fils aime sa mère : sans concession.

Fin 1998, nous eûmes une dispute qui allait tout sceller. Ma déchéance finale et sa libération. Elle m'insulta abondamment, m'assurant que je n'étais qu'un destructeur, affirmant que j'avais provoqué la mort de mon père – ce que je savais –, que j'avais fermé les yeux devant les menaces d'Emily – ce qui était vrai –, que je n'avais pas essayé de retrouver Fanny, alors mineure – ce que je ne pouvais nier –, et que j'avais été heureux que ma mère parte, ce qu'elle trouvait odieux – et pourtant, il n'y avait rien de plus vrai. Ma mère nous avait abandonnés bien avant, préférant les hommes à ses propres enfants.

Elle me détruisit comme si j'étais un être sans cœur qui avait essayé de l'abîmer également. Loïc pleurait et dans ses yeux je voyais une ombre atroce que j'avais déjà entraperçu chez mon père ; il était de la même veine, il serait bientôt hanté par des cauchemars affreux – ceux qui naissent chez les hommes de notre famille – et il ne saurait pas, lui non plus, comment s'en sortir.

Mélanie était une mère poule et elle ne me laissait jamais l'approcher.

Puis, le dix-neuf février, elle s'en alla.

Je n'eus plus de nouvelles.

Mes appels – mis à part un – furent tous sans réponse.

 

Alors que je tiens toujours la lettre de Fanny, je repense à toutes ces choses. Je repense à celle de mon père, la première de toutes, et je pleure. Tous ont en tête ces quelques mots griffonnés juste avant sa mort :

« Je ne m'accepte plus. J'ai échoué durant toute ma vie. Je ne veux plus me sentir comme ça. Désolé. Adieu. »

Mais à moi, il avait laissé une lettre que j'avais gardé secrète. Une lettre d'aveu. Une lettre de crainte. Les quelques mots que tous purent lire étaient déjà forts en signification et avaient troublé Emily au point de l'amener au suicide. Dans la lettre qu'il m'envoyât, ils perdaient de cette force divinatoire et gagnaient en désespoir.

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