Pourquoi ta maison ? Pourquoi cette chambre ?
Parce qu'elle te correspond. Elle est si lumineuse, et quand je viens, je suis amoureuse de ses couleurs, de son bois, de sa lueur. Quand je viens, c'est pour ce que représente cette chambre. Rien ne me fait plus plaisir que d'écrire ici, entre le soir et le matin, à une heure où la peur de la mort prend tout son sens. Car c'est en cela que cette chambre te ressemble : elle prend tout, ne rejette rien, partage ses clartés, jamais ne semble touchée. Je l'aime.
Mais elle me fait peur aussi. Parce qu'elle recèle des choses impensables : des mots que l'on ne pensait pas réels. J'ai pu les lire il y a quelques mois et ils ont changé tout ce en quoi je croyais, tout ce que maman pouvait dire... je suis désolé, grand-frère. Montre-les à Nini, elle comprendra. Moi, j'ai compris pourquoi j'étais tout aussi coupable que toi.
Tout me semble si cruel. Je me sens si cruelle, grand frère. Je suis venue dans l'optique de te faire souffrir et de ternir la luminescence qui naît dans cette chambre comme dans ton esprit. Voilà mon but, la raison de ma présence. J'aimerais mieux t'avouer que je t'envie et que je veux ton bonheur, mais je n'y arrive pas. Quand je veux te pardonner, il ne me reste que l'image de ton rejet.
Car vois-tu, j'ai eu ma réponse. Je sais que tu m'aimes. Il y a quelques mois, Mélanie est venue et m'a dit que tu lui avais tout avoué. Tu ne te supportes plus parce que tu m'aimes mais que c'est une erreur. Mélanie m'a dit qu'elle ne se sentait plus être ta femme et que les moments où vous vous engueuliez était de plus en plus fréquents. Elle m'a dit que c'était cet amour qui te rendait ainsi. Un sentiment que tu juges si inacceptable que tu as préféré te taire. Pourquoi ne me l'as-tu jamais avoué ? Pourquoi te caches-tu derrière ce bonheur illusoire ?
Néanmoins, même si je t'en veux pour ce sentiment que tu ne m'as jamais avoué, sache que Mélanie ne te mérite pas. Elle n'aurait jamais dû te trahir et me dire ce que tu lui as révélé. Elle ne te mérite pas ; elle te critique pour tout et ne voit pas ce qu'il y a de plus beau en toi. Je crois qu'elle te détruira, bien plus que cet amour que tu me portes et que tu as voulu cacher, bien plus que moi et cette lettre. Et tu ne le verras même pas. Toi, tu t'effaceras définitivement, je le sais, et peut-être finiras-tu par pleurer.
Ma mort n'est qu'égoïsme pur. Je ne pars que pour échapper à votre déchéance et à ma chute. Je veux mourir encore saine et sans trop de terreur, je veux mourir et me taire enfin, sur les derniers termes d'une vie lâche. Calmée, enfin, face à cet acte que vous ne comprendrez pas. Et ces vingts ans jamais atteints, cette décennie que je n'aurais pas pu supporter, cette explosion du monde que je sens arriver, je n'aurais pas à la vivre. Les années couleront sur mon corps inerte et cet amour que je vous porte – même s'il est détruit par ma désespérance vaine – restera pour toujours intact. Mam, ma petite Nini, Coco, j'espère qu'il n'y a rien après la mort, je ne veux rien de plus. Il faut que ce soit le dernier des repos, qu'un soupir ponctue cette existence que je ne comprends pas. Je ne veux pas de cette chance ou de cette horreur, vivre encore m'est insupportable. Ma dernière pensée, je la veux pour vous tous. Mam, je la veux même pour notre tout jeune frère. Pour vous qui m'avez aimé.
Je ne veux plus de ce monde. Tout est trop inexorable pour moi, tout est trop lent et triste. Être humaine et être consciente de ma fin est pour moi une torture.
Et s'il n'y a plus rien après, alors j'aurais brisé cette chance que paps et toi m'avez offerte en me donnant la vie. Seulement, je ne le saurai pas.
Grand frère, j'ai peur qu'il y ait quelque chose.
J'ai peur de devoir encore affronter mes cauchemars.
J'ai peur de vivre une nouvelle fois.
J'ai peur de ce monde, de ses faux idéaux.
J'ai peur de devoir quand même vous voir vieillir et dépérir.
Je veux le néant. Le vide.
Grand frère, j'ai peur plus encore que tu continues à ne pas m'aimer, que tout ceci n'ait servi à rien. Et que tout cela me sépare d'une nouvelle vision : celle de l'après.
Je ne sais pas comment faire. Et cette chambre est magnifique. Tu es magnifique. Je me hais.
Et vous me manquez tous. Nos jeux d'enfants me manquent. Être adulte me pèse, être lâche me pèse. Devenir cadavre me pèse. Tout me pèse.
Toi, tu es au loin.
Je ne sais plus. J'ai peur.