Partie une : Lettres - Réflexions (1)

Notes de l’auteur : Dernier chapitre de la partie une !
Bonne lecture !

Si je pouvais oublier la lettre de mon père, je le ferais. Mais il me semble que je suis noyé sous quelques mots qui agissent comme des ancres. La fierté et la jalousie de mon père, sa peur – plus puissante que celle d'Emily – et sa foi, son intelligence et son insouciance.

Ainsi, je relisais parfois cette lettre quand des souvenirs refaisaient surface. Et à chaque lecture, ces dernières années, je me rendais compte que ma famille avait raison : j'étais le principal responsable de la mort de mon père.

Parce qu'il me jalousait.

Parce qu'il n'avait plus rien à m'apprendre.

 

Ma mère se révéla totalement libre soudain, comme si mon père l'avait toujours condamnée à vivre recluse. Était-ce vrai, ne l'était-ce pas ? Je ne pouvais savoir ce qui composât l'amour de mes parents, et je ne pouvais démêler le vrai du faux. J'en ai peur, le temps avait fait son œuvre et malgré la possibilité de la culpabilité de mon père, je ne pardonnai pas à ma mère sa soudaine manie d'amener des hommes à la maison.

Puis, elle fut enceinte pratiquement au même moment que Mélanie. Mon petit frère naquit le douze mars 1997, soit cinq mois après Loïc. Dès lors, pendant quelques temps, je fus le « père » de Fanny, de Loïc et de ce nouveau petit frère. À partir de cet instant, tous espérèrent que je puisse m'occuper d'eux, que je puisse les écouter et être là. Seulement, je n'étais pas préparé à cela et j'espérais encore réussir mes années de doctorat. Ainsi, en 1996, j'eus la chance, à force de transpiration et en m'obligeant à apprendre, d'obtenir mon agrégation. Durant les années qui séparèrent mon mariage et mon divorce, je parvins à obtenir mon doctorat. C'était l'évolution, à tous les points de vue. Dans ma vie familiale et dans ma vie sociale.

C'est en 1998 que ma mère nous abandonna, Mélanie, Loïc et moi. C'est également à ce moment-là qu'elle m'avouât que je n'étais qu'un tueur à ses yeux, ayant provoqué la mort de mon père, celle d'Emily et le départ de Fanny. Elle me dit qu'elle ne voulait pas mourir par ma faute.

Puis elle s'en alla. Abdiqua.

En 1999, je me retrouvais seul.

En 2000, le divorce fut prononcé.

En 2002, je cessais d'appeler ma mère et Mélanie.

 

Il est des moments dans l'existence où être seul paraît être la seule solution, des moments pendant lesquels elle nous libère. Les carcans de la société se brisent et alors consciemment, je peux affirmer qu'il m'arrive de faire des erreurs quand je pense bien agir. Il est des instants où la solitude et le silence semblent être les seuls espaces possibles pour respirer.

 

Seulement, ahanant, expirant, la haine appela l'angoisse, l'angoisse la culpabilité et soudainement, les sanglots. Enveloppé dans tous ces sentiments négatifs, je me noie. Incapable de survivre à toutes ces réflexions, à tous ces mots, à ces regards et ces accusations, je me laisse aller aux larmes.

Aujourd'hui, devant cette quatrième lettre qui avait rappelé à ma mémoire le contenu des trois autres, je pleurais.

Elle puait le drame et moi je chialais en songeant aux choix possibles. En 2002, j'avais fait celui de ne plus les contacter, ayant ainsi la certitude qu'ils vivraient enfin, qu'ils s'épanouiraient et que – peut-être – la respiration me reviendrait.

Fanny avait coupé mon souffle.

Son innocence, sa pureté, sa naïveté.

Tout puait en cette lettre et je ne savais pas quoi faire. Devais-je répondre à son invitation, aller une nouvelle fois vers eux ? Me dévoiler avec tout mon désespoir, les condamnant une fois de plus à l'instantanéité ?

 

Je pose les quelques feuilles sur la table.

Il est midi passé.

Là-bas, dans sa maison, Fanny devait attendre. En s'occupant de ses enfants, elle devait essayer de me métamorphoser, de me vieillir, comme j'essayais de le faire. Ou alors rien n'a changé... à ses yeux je suis le frère qui décapite la vie, le bourreau qui fraternise avec la mort. Peut-être que, tandis qu'elle donne la becquée à ses deux enfants, elle tremble de peur et se maudit d'avoir pris un tel risque.

J'aimerais rire mais je pleure.

Tout ceci m'angoisse.

Me terrifie.

Il me semble qu'elle se ment à elle-même et que demain, peut-être, je recevrais une lettre m'intimant de ne pas venir.

 

La lettre de mon père me renseignait sur sa fierté, ses peurs, son outrecuidance et je crois que cela mit en lumière mes propres faiblesses, ou alors elles naquirent lors de la lecture de la lettre. Devais-je accepter de me considérer comme la copie de mon père ? Sans même réfléchir, je devrais me cataloguer ?

Cela m'inquiétait que ce que pouvait être mon père soit né une nouvelle fois en moi : avais-je seulement le choix ? Avoir trois enfants, regretter d'en avoir fait deux ; rester silencieux, cadavre vivant au centre d'un univers macabre ; se troubler des bontés et des horreurs créées par la nature et par l'homme ; devenir le prototype du désespoir ; s'arracher de terre et décoller enfin, grâce à l'art, peut-être ?

Pendant longtemps, en bon littéraire, j'ai cru au pouvoir de l'art, au pouvoir de l'écriture et à ses mots qui élèvent les esprits. Le temps passe vite, et après la mort de mon père, après avoir lu sa lettre, j'ai perdu toutes les fabuleuses splendeurs nées des lectures précédentes, ne me restent de celles-ci qu'une vague sensation de fraîcheur et la certitude qu'une vie peut se révéler joyeuse. Il y a quelques temps encore, j'avais confiance en l'art et je ne voyais en lui qu'une manière et une raison d'exprimer ses douleurs. Aujourd'hui, je balance entre les deux : je me demande encore si l'art penche plus vers la guérison ou vers la destruction de l'être.

Advienne que pourra, comme disent certains.

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