Partie V : Des femmes et des Dieux - Chapitre 26 : Le chapeau

Evangile d’Andr, Numéro 1, Verset 1

 

« Lù de ses affaires, à présent se mêlera, à moins de prendre le risque d’aller se faire cuire le cul. »

 

*

L’espace d’un instant, Balthazar eut l’impression que le sol tremblait. Instinctivement, il se tourna vers le cratère du volcan.

— S’il y a un volcan, pensa-t-il, c’est pour que ça pète à un moment.

Mais il n’y avait rien. C’était à l’intérieur de lui que tout tremblait. Ses doigts étaient crispés sur les boucles d’oreilles.

Lù, Honorine et même le chien le regardaient, l’air dégouté. Taïriss continuait à effeuiller le carnet d’un air songeur. Il leva les yeux et précisa :

— Avant que l’un d’entre vous n’envisage de s’en prendre à lui, rappelez-vous que sa mort aurait des conséquences plus que regrettable.

Honorine eut une grimace haineuse et le robot ajouta, aigre :

— A moins que tu ne rêves de retourner dans ton puits en appelant à nouveau ton Dieu, contrôle ta colère.

Finalement, Lù se releva, épousseta ses genoux et s’approcha de Balthazar. Elle tendit la main et demanda sèchement :

— Rends-moi les boucles d’oreilles. Tu me les as données, alors elles sont à moi.

Elle lui arracha des mains et il la laissa faire. Lù accrocha les topazes à ses lobes et le soleil fit briller les petites tiges qui cliquetaient.

— Je comprend pas, grogna Honorine. Dans le journal, il est mort une fois dans temple et la grande bouche n’est pas venue, pourquoi ça ne marche plus les autres fois ?

Taïriss croisa les bras :

— Un Pillier a besoin d’un corps pour se réincarner. Lors de sa mort, Balthazar a parasité le corps de son petit frère qui était dans un semi-coma et son pouvoir l’a soigné. Cependant, Aaron n’était pas un bébé et leurs corps se sont simplement mélangés. Le Balthazar actuel n’a jamais retrouvé l’usage de ses jambes et ses traits sont moins gracieux que ceux de son original. Et ses premières expériences sexuelles ayant été un sacré fiasco, il en a gardé un petit traumatisme. Bloqué dans des fantasmes fétichistes et évitant comme la peste la pénétration qui lui rappelait le viol dont il était l’auteur, aucune de ses relations n’a mené à la création d’une descendance.

Il se tourna vers Balthazar :

— J’ai raison ?

Le silence du jeune homme était une réponse en soi.

Raclure fronça le museau :

— C’est quand même incroyable qu’il soit arrivé jusqu’ici. Deux mille ans sans mourir…

Lù secoua la tête :

— A vrai dire, j’ai quelques doutes sur le sujet. Mais je dois d’abord vérifier mon hypothèse. Il est bien possible que la Grande Bouche ait son rôle à jouer.

La jeune fille posa son regard sur Balthazar avant de se tourna vers ses compagnons :

— Laissez-nous, s’il vous plait.

Les autres hésitèrent avant d’obtempérer. Le petit groupe rentra dans la grotte pour éviter la pluie tandis que Lù et Balthazar restaient à l’entrée. Balthazar se recroquevilla tandis que Lù posait sa main sur sa tête ; les doigts de la jeune fille s’enroulaient de façon passive-agressive dans ses épaisses boucles noires. Il la supplia soudain :

— Pardonne-moi ! Je ne voulais ce qui est arrivé ! Ni pour les sentinelles, ni pour toi, ni pour mon peuple ! Et j’avais tout oublié quand nous nous sommes rencontrés, je te le jure !

Les yeux gris s’abaissèrent sur lui, sans une once de pitié. Lù s’accroupit à nouveau et prit le visage de Balthazar entre ses doigts :

— Je ne peux pas faire ça. Tu ne mérites pas d’être pardonné. Tu vas devoir continuer ton chemin, tout en sachant cela.

Il sentit les larmes envahir sa gorge. Lù dit encore :

— Et toi, Balthazar, est-ce que tu me pardonnes ?

Ils se regardèrent et elle eut un sourire triste.

— Je suis venue dans ton monde pour y créer un empire. J’ai écrit un faux livre et j’ai créé des miracles avec la technologie d’autres mondes, que je n’ai même pas inventé moi-même. J’ai renversé le cours de choses, parce que je m’ennuyais. Jouer avec la vie des humains, puis tout lâcher parce que le jeu ne me plait plus, est-ce que c’est pardonnable ?

Il sentit son coeur se remplir de colère.

— Non. Toi non plus, tu ne mérite pas notre pardon.

— Bien. Nous allons donc devoir continuer à vivre avec ça. Avec ce pardon qu’on ne peut pas obtenir.

— Et c’est tout ? On n’est pas pardonné, mais tout continu ?

— Non, ce n’est pas tout, je ne suis pas aussi insouciante. Toi et moi, nous sommes dangereux et ensemble, nous pourrions faire plus de dégâts qu’il n’est raisonnable. Je voulais partir de ce monde immédiatement, mais maintenant que je me souviens de tout, je ne peux plus. Je crois que j’ai encore une responsabilité concernant ce qui se passe ici et il est temps que j’y mette fin. Quand à toi, tu dois mettre fin au cycle de désordre temporel dans ce monde et régler ton petit problème. Tu dois faire des enfants, Balthazar, sinon tu provoqueras des catastrophes partout où tu iras.

— Je ne comprends rien à cette histoire temporelle.

Lù secoua la tête :

— Tu n’as pas besoin de tout comprendre. Ce qu’il faut que tu saches : les Piliers n’ont pas le droit de disparaitre, tu comprends ? Tu dois vivre, te réincarner ou passer le pouvoir à quelqu’un d’autre de ta lignée. Tant que tu es le dernier de ton sang, mourir perturbe le cours des choses. Combien de fois est-ce arrivé ici ? Combien de Piliers comme Honorine ont dû gérer ça ?

— Le pouvoir de Honorine ?

— Ne te regarde pas. Elle ne sera pas là pour t’aider là où tu iras.

Les épaules de Balathazar tressaillirent :

— Là où je vais ? Où est-ce que je vais ?

Lù le contempla en silence avant de murmurer :

— A un endroit où nous ne nous recroiserons plus jamais.

Comme il restait silencieux, elle se releva et ajouta :

— Je vais te montrer…

Elle tendit les mains devant elle et ses doigts s’enfoncèrent dans la trame du monde. On aurait dit du verre en fusion qui se déchirait et ouvrait une bouche difforme sur un ailleurs.

Le trou devint bientôt suffisamment grand pour qu’un homme puisse y passer. De l’autre côté, il faisait noir ; on entendait un bruit d’eau qui coule et un chant qui rappelait celui des baleines.

Balthazar était blafard :

— Qu’est ce que c’est que cette chose !

— C’est une porte, vers un autre monde.

— Un monde comme le notre ?

Elle haussa les épaules :

— Je ne sais pas. C’est un monde où je ne suis jamais allée et une fois la porte refermée, il me sera impossible de rouvrir ce monde-ci sans l’aide d’un autre Pilier.

— Je n’ai même pas mon fauteuil.

— Ce n’est pas mon problème, fais preuve d’inventivité.

— Tu me fais du mal et tu n’as pas le droit.

Elle secoua la tête :

— Non, il n’y a plus de place ici pour toi. Entre les brunes qui te pensent sorcier et ceux qui ici savent la vérité, tu n’as plus vraiment d’amis.

— Il reste Gaspard.

— S’il veut parvenir à ses fins, il devra se séparer de toi.

Les épaules du garçon s’affaissèrent. Son regard se perdit dans le trou qui séparait les deux univers. Il dit :

— Je t’aimais, tu sais. Malgré ce que j’ai fait.

— Tu aimais et haïssais une fille que tu ne connaissais pas.

Il resta silencieux, méditant cette réponse. Lù se leva.

— Enfin, je ne suis pas un monstre. Attends-moi ici, s’il te plait.

Il attendit et Lù revint quelques minutes plus tard, après être retournée dans la grotte. Elle tenait une paire de béquille étranges, qui n’étaient pas faites de bois, mais d’un étrange métal.

Balthazar la dévisagea :

— Où as-tu trouvé ça ?

Elle sourit :

— Pas dans ce monde, en tout cas.

Il tendit la main et elle éloigna les béquilles pour qu’il ne puisse pas les attraper. Perplexe, il la dévisagea et elle s’expliqua :

— Je vais te les donner, Balthazar. Mais avant, par simple curiosité, raconte-moi comment est morte Lulla.

Balthazar soutint son regard pour la première fois depuis le début de la conversation.

— Tu connais déjà la réponse, n’est ce pas ?

— C’est lié à ton pouvoir. Dis-le.

— Lulla s’est tuée, car elle nous a fait une promesse qu’elle n’était pas en mesure de tenir.

— Alors j’avais raison. Elle avait promis de faire changer la loi, concernant les hommes. J’ai raison ?

— Elle avait promis de faire changer Dédale d’avis. J’ai utilisé mon pouvoir pour la forcer à obéir, c’est vrai. On ne pensait pas que la situation en arriverai là. On ne souhait pas sa mort, mais elle n’a eu que ce qu’elle méritait.

— Pourquoi ? Elle aimait Gaspard, non ? Ce n’est pas un crime de vouloir obtenir les faveurs de quelqu’un.

Balthazar secoua la tête :

— Ce sont les faveurs de Dédale qu’elle recherchait. Déjà avant d’être petite mère, elle s’était proposée pour la cérémonie de Gaspard. Elle aurait donné n’importe quoi pour donner une petite fille à Dédale, qui pourrait à son tour devenir grande Mère. Dédale la haïssait, mais en lui donnant ce qu’elle désirait le plus au monde, elle cherchait simplement le pouvoir.

— Et ça justifie de l’avoir tué ?

— Nous ne l’avons pas tué. Elle s’est tuée seule… parce que les mots tuent, eux aussi.

Lù resta songeuse, avant d’ajouter :

— Et la carte ? Pourquoi cherchait-elle la carte ?

Balthazar sourit :

— L’histoire dit qu’en arrivant ici, la première Dédale a déterré le coffre. Elle a donc lu le Livre original, mais a décidé de le laisser enfoui. Comment Lulla en a t-elle eu vent ? L’histoire a dû se transmettre dans le temple de la vie à travers les siècles… L’histoire d’un livre original où les femmes et les hommes seraient égaux.

— Mais alors, pourquoi a-t-elle abandonné ? Pourquoi s’est-elle tuée alors qu’elle n’avait pas trouvé le livre ?

Balthazar haussa les épaules :

— Je ne peux faire que des suppositions. Je pense qu’elle a compris que c’était vain. Elle s’était vantée pour obtenir les faveurs de Gaspard, mais en vérité, elle ne pouvait pas faire changer Dédale d’avis. Ça n’aurait pas marché, même si elle avait trouvé le Livre. Et je crois maintenant que Dédale refusait d’accorder des faveurs à Gaspard pour le protéger, nous ne le comprenions juste pas. Et même si nous avions compris, nous nous serions battus quand même pour ce qui paraissait juste.

— Tu pense que le vrai Livre des Vérités ne suffirait pas à changer ce monde ?

— J’en suis certain. Crois-moi, je connais les mots, je sais qu’ils sont très forts pour conforter et faible pour détruire. Mais si tu requiers mon aide…

Lù rit :

— Tu voudrais que j’utilise à mon avantage tes talents de persuasion pour finir ce que j’ai commencé ?

— Ça semble ridicule ?

— Oui. Tu n’as pas besoin de le comprendre, mais j’aurais bientôt fini de jouer aux Dieux ici, j’ai un projet plus grand.

Un projet qui germait en elle depuis sa rencontre avec Honorine.

Elle  lui tendis les béquilles et ajouta, sans l’ombre d’un sourire :

— Nous ne sommes pas les seuls Pilliers dans cet univers, Balthazar, et quand nous nous affrontons, ce sont des batailles plus grandes que celle qui se joue ici. Dans le conflit qui vient, je ne te désire pas comme allié, et je ne te conseille pas d’être mon ennemi.

 

Quand Taïriss, Honorine et Raclure sortirent de la grotte, Lù était seule sur le rocher et la pluie avait cessé de tomber. La pâle demanda :

— Où est Balthazar ?

Lù haussa les épaules.

— ‘Iibiliss ne devrait pas revenir dans cette dimension de sitôt.

Elle était étrangement sereine et Taïriss commenta :

— Tu l’as exilé.

— C’était ce qu’il y avait de mieux à faire.

— Je suis d’accord.

Honorine croisa les bras devant sa poitrine :

— Qu’est c’qu’on fait maintenant ?

Lù soupira :

— Et si nous allions pour la dernière fois nous mêler de ce qui ne nous regarde pas ?

*

Quelques années plus tôt …

 

Gaspard leva les yeux. Il avait les pieds bien campés dans le sable des fonds marins ; au dessus de lui le tanafas était turquoise et le soleil venait le saupoudrer d’or et de lumière. C’était une belle journée.

Il s’étira et se remit au travail. Ses cheveux dansaient au grès des vagues, tout comme les algues rouges qu’il coupait adroitement avec sa serpette avant de les entasser dans des nasses.

Soudain, la lumière fut avalée par une immense ombre. Gaspard leva les yeux pour la seconde fois. Mumit glissait au dessus de lui. Il distinguait tout les détails du bois de la coque et il n’y avait que le navire de la Grande Mère des morts pour être aussi ventru.

Il se souvient des conseils qu’on lui avait donné à propos de la prêtresse qui y séjournait.

Méfie-toi de cette femme, elle voudra te voir mort, un jour ou l’autre…

Il n’avait pas vraiment eut l’occasion de confronter Spirale. Il l’apercevait parfois, fugacement et de loin. Elle ne l’avait jamais regardé.

Mais ce jour-là, quand il remonta le long de la plage en portant sa caisse d’algues, Mumit était à présent amarré le long du port et on le réapprovisionnait. Il regarda avec envie les caisses de harengs, d’ail, d’oignons, les fruits du démon et les oranges énormes que l’on vendait à prix d’or. Il n’en avait jamais mangé.

Spirale était accoudée au bastingage, près de la passerelle et riait avec la petite mère des morts, Larifari, tout en surveillant l’arrivage.

Gaspard alla déposer sa caisse dans l’entrepôt et revint tranquillement en les surveillant du coin des yeux, piqué de curiosité.

Il arriva au bord de la plage ; ses mollets commençaient à s’enfoncer dans les vagues, quand le vent se leva. Spirale leva le bras, mais trop tard ! La bise avait arraché le chapeau qui s’envola comme une mouette au dessus de la mer.

Gaspard bondit, sa main attrapa le tricorne avant qu’il n’atterrisse dans le tanafas jusqu’à la taille.

Les plumes du couvre-chef battaient sous le vent marin, mouillée d’écume, mais pas davantage.

Mal à l’aise, l’impuissant leva le menton et ses yeux rencontrèrent les prunelles sombres de Spirale, qui le fixait avec intensité. Toujours immergé jusqu’au nombril, il se rapprocha lentement de la passerelle, méfiant, avant de tendre le chapeau à Larifari, qui s’était rapprochée.

— Sacré bond ! commenta-t-elle simplement, sans esquisser un geste pour accepter l’objet.

Spirale la rejoignit lentement ; Gaspard avait le visage au niveau de ses orteils. La grande mère s’accroupit, récupéra le tricorne et l’enfonça soigneusement sur son crâne.

— Merci beaucoup, je tiens beaucoup à ce chapeau.

Elle se redressa, et après l’avoir dévisagé, un air mélancolique se peignit sur  ses traits :

— C’est fou ce que tu ressembles à ton père, Gaspard.

C’était faux et ils le savaient tout les deux. Instinctivement, il sentait également que ce n’était pas une moquerie.

Elle lui sourit et il se sentit idiot. Comme une marine passait en portant une caisse d’oranges, la grande mère en piocha une et lui lança. Il la rattrapa au vol.

— Passe une bonne journée.

Les deux femmes retournèrent sur le pont. Il resta immobile un instant, se demanda si l’orange pouvait être empoisonnée avant de chasser cette idée.

Il la mangea sur les Dock, assis sur une bitte d’amarrage.

Elle avait un goût acide et sucré.

*

Installée sur un banc misérable, derrière des grilles aux barreaux épais comme des fémurs, Spirale faisait tourner son chapeau entre ses doigts.

Elle souriait vaguement.

Aurait-elle pu imaginer pareille conclusion ? Elle était finalement enfermée au fond du temple de la Vie, mais pas par Dédale. A vrai dire, elle n’avait vraiment été mise en prison par personne, sauf par elle-même et par un livre.

Les geôlières avaient l’air penaudes, les bouteilles de rhum était entassées par dizaines devant sa prison pour la réconforter — bien que personne ne se dise à aucun moment qu’elle aurait peut-être voulu éponger tout cet alcool avec un quignon de pain — et les visites tournaient. Son ventre gargouilla.

La gardienne vint lui apporter une énieme bouteille avant de lui faire signe :

— Il y a deux personnes qui veulent vous voir. Je les fais entrer ?

— Je suis un peu fatiguée des visites.

La soldate avait l’air dans ses petits souliers :

— C’est à dire que… il s’agit du jeune Gaspard et de la petite grande Mère des morts.

Spirale se redressa :

— Je ferai une exceptions pour eux. Fais-les entrer, s’il te plait. Mais pas ensemble.

La gardienne obtempéra et fit d’abord entrer Larifari, qu’elle accompagna en la tenant par le coude avant que celle-ci ne se dégage d’un mouvement agacé. Pendant que la porte des geôles se refermait, Spirale eut le temps d’apercevoir la silhouette de Lactae qui surveillait de loin, appuyée contre le mur du couloir, mais avant qu’elle ait eu le temps de dire quelque chose à ce sujet, son attention se reporta sur le visage de sa petite mère et elle frissonna :

— Oh Lari… Qu’est ce qu’elles t’ont fait…

Larifari s’assit sur un tabouret et appuya son épaule et son profil contre les barreaux :

— Je fais si peur à voir ? Ne t’inquiète pas, j’y vois encore.

Spirale fit une moue septique en s’asseyant à son tour. La cicatrice qui balayait les deux yeux de sa petite mère n’était pas très engageante. Son interlocutrice interpréta son silence comme une invitation à se justifier.

— Je vois des tâches, un peu… Je peux suivre la lueur d’une torche. Je devine le soleil qui se lève sur la mer. Ici, il fait très sombre, mais je pense que tu es là parce que ce morceau rouge, là, ce doit être ton manteau ou tes cheveux.

— Les deux.

— Pour moi, ce n’est plus qu’une seule tâche un peu rouge dans les ténèbres.

— Murène n’était pas une adversaire pour toi…

— Je sais !

Son ton était si chargé de ressentiment que Spirale sursauta. Sa petite mère ne lui avait jamais parlé comme ça. Larifari se radoucit :

— Je sais. C’était stupide. Elle m’a eue par ruse et j’aurais pu tout faire rater si Lactae n’avait pas autant de sang froid.

— Vite dit… C’est commun de surestimer ceux qu’on adore.

— Hein ?

— La garde m’a dit qu’elle s’était faite lacérer le visage. D’après elle, Lactae a baissé sa garde quand elles ont commencé à te couper les doigts.

Larifari hésita :

— C’est juste un hasard…

— Vous vous êtes disputées ?

Le silence qui suivi était assez parlant et Spirale posa sa main sur celle de Larifari.

— Réconcilie-toi vite avec elle. Je crois qu’elle en a envie.

— Je pense qu’elle s’en fiche.

— Si c’était le cas, elle ne serait pas en train d’espionner depuis le couloir pour savoir si tu vas bien.

La petite Mère des morts eut l’air ébranlée et son interlocutrice pressa ses doigts sur les siens.

— Lari, ne répétez pas les erreurs que Dédale et moi avons faites. Lactae et toi, soutenez-vous, quoi qu’il en coûte. Tu auras besoin d’elle bientôt, quand je serai pendue, vous serez toutes les deux Grandes Mères et …

Larifari se leva brusquement et son tabouret se renversa sur le sol. Les articulations de sa main étaient toutes blanches.

— Je ne te laisserai pas mourir ! Dédale a tout fait pour déclarer cette guerre ! Tu n’es pas responsable ! Je changerai la loi ! En tant que grande Mère, je te gracierai, je…

Spirale eut un sourire sans joie et tapota gentiment le bras de son héritière :

— Ce n’est malheureusement pas aussi simple que tu l’imagines. J’ai déjà fait une promesse à Gaspard, que tu connais. Je tiens à ce qu’elle soit respectée et il faudra déjà toute ton énergie pour la faire exécuter. Tu ne peux pas te permettre de davantage modifier le Livre, car sinon, il n’y aura plus de cadre et plus de règles à suivre.

— Tenir cette promesse est contraire aux enseignements d’Iilahaa.

La Grande Mère était penchée en avant et jouait avec ses cheveux :

— Je sais que je t’en demande beaucoup. Fais ce que tu peux, s’il te plait. C’est justement à cause de cette contradiction que je dois mourir, tu comprends ?

— Non, je ne comprends pas !

— Lari’… Peut-être que tu es encore trop jeune... Tu es très importante pour moi, j’espère que tu le sais. Mais si tu es la joie de mes vieux jours, tu ne me définies pas. Ce qui me définissais, c’était mon statut de grande Mère, ma haine de Terfez et mon amour pour Melchior. A ce jour, plus aucun de ces éléments n’a de sens. Non, j’ai mené ma barque dans cette ville depuis trop longtemps. Laisse-moi partir maintenant, je suis fatiguée.

Une larme unique coula des yeux crevés de Larifari et Spirale prit son visage entre ses paumes entre les barreaux avant de l’embrasser sur le front.

— Va mon enfant… Ne regarde pas en arrière. Tu seras une meilleure Grande Mère que moi, j’en suis sûre.

Elles se serrèrent fort avant que la petite Mère des morts ne trouve la force de sortir de la cellule en titubant, sans même dire au revoir.

La reine déchue resta seule un instant, la tête entre les mains et c’est dans cette position que la trouva Gaspard, deux minutes plus tard. Elle leva la tête et ils se regardèrent, un peu trop longtemps et ce fut lui qui détourna le visage le premier.

— J’aimerai dire quelque chose qui puisse te sauver.

Elle se mit à rire :

— Avec cette petite phrase, tu l’as peut-être fait.

Comme la gêne et le silence réapparaissait, elle l’encouragea :

— Allons Gaspard, tu n’es pas un grand bavard, pas vrai ? Alors ne tournons pas autour de la bouteille : est-ce que tu es venu me voir par sentimentalisme ou par ambition politique ?

— Les deux, à vrai dire.

— Et par quoi veux-tu commencer ?

— Les deux sont mêlés. Je sais que depuis cette prison, il vous est impossible de réaliser votre part de notre marché. Alors je suis venu demander réparation.

Spirale eut un rictus carnassier :

— Désires-tu un baiser d’adieu ou un coffre rempli de lingots ?

— Je veux votre chapeau.

Elle en resta éberluée avant d’éclater de son habituel rire rocailleux.

— Tu parles d’une compensation !

— J’avais rattrapé ce chapeau. C’est le jour où je suis tombé amoureux de vous.

— Pour le gout d’une orange.

— Vous vous en souveniez…

— Bien sûr, c’est la première fois que je voyais le fils de Dédale de si près. Un beau garçon comme son père, avec un regard plutôt déplaisant. Enfin bref, j’ai demandé à Larifari de te soutenir pour que ma promesse soit accomplie, mais ce sera difficile. Je ne peux rien t’assurer, alors tiens.

Elle lui tendit le tricorne à travers les barreaux. Il s’en saisit avec déférence avant de le poser sur sa tête.

— Je ne veux pas seulement le droit de vote. Je vais faire comme le serveur du giton borgne. Je vais me présenter pour devenir prêtre de la vie.

Elle eut un sourire carnassier.

— Ton ambition est illimitée.

— Vous ne me mettez pas en garde ?

— Si on me disait qu’un homme deviendrai Grand Père d’Iilaaha, j’avoue que j’aurai du mal à y croire. Mais s’il en faut un, je suppose que ce doit être toi. Après tout, tu as prouvé ta valeur guerrière et tu portes l’héritage de deux Grandes Mères sur toi.

— Le sang et le chapeau.

Spirale déboucha une des bouteilles de rhum et la fit tinter contre les barreaux avant de boire à sa santé.

— Tu as mon vote, mon garçon.

*

Les gradins étaient pleins à craquer.

Un silence épais se répandit dans l’assistance et la touffeur de l’air quand les trois grandes Mère arrivèrent sur la place. Leur pieds nus laissèrent les empreinte de leurs orteils dans la poussière rouge qui couvrait les dalles. Elles montèrent sur les gradins et s’assirent chacune sur leur trône respectif.

C’était la première fois qu’on assistait à un changement aussi rapide de succession.

Contre une ivrogne, un boiteuse et une vendue, on obtenait une aveugle, une borgne et une gueule cassée.

Lactae se racla la gorge :

— Citoyenne, nous vous avons réunies aujourd’hui afin de vous annoncer un important changement qui va se produire dans notre cité. La grande Mère de la vie, Lù, nous a fait part d’un élément crucial et vu les circonstances, nous n’avons pas d’autres solution que de lui apporter notre complet soutien.

Larifari, qui avait sacrément envie d’aller pissoter derrière une fougère, mais prenait tout de même sa nouvelle fonction très à coeur, se tortilla sur son trône de bois flotté avant d’ajouter :

— Nous savons que ce qu’elle va vous annoncer sera difficile à entendre pour vous, néanmoins, le refuser sera considéré comme un crime devant ‘Iilaaha et sera puni de mort.

La foule se mit à murmure tandis qu’elle finissait :

—Nous allons maintenant laisser la parole à Lù, l’amy khabira de la vie.

Cette dernière jeta un coup d’oeil à ses deux camarades et les remercia silencieusement. Elle était arrivée juste à temps pour que nul ne remarque sa disparition. Derrière un moucharabieh à moitié détruit, Taïriss lui fit un signe encourageant de la tête. C’était lui qui avait eut l’idée du plan et après, il n’avait fallut que convaincre les deux autres grandes mères.

Lactae n’avait pas eut l’air de gober ses mensonges, mais visiblement, la situation lui convenait. Larifari, en revanche, avait semblé sensiblement impressionnée.

Lù se leva :

— Peuple d’Iilaaha, vous savez déjà que je ne suis pas seulement votre nouvelle grande Mère de la vie. Je suis également celle qui fut la première Portail et ‘Iilaaha marche avec moi. Si je suis avec vous aujourd’hui, c’est parce que je cherchais un objet appartenant au passé, mais également parce que peu de temps avant que je ne revienne trouver mon peuple, ‘Iilaaha la Grande m’est apparue.

Elle laissa planer sa révélation, tandis la foule se mettait à murmurer.

— Je marchai le matin près de la mer, j’allais relever mes filets de pêche, quand soudain les vagues sont devenues énormes et ont dessiné un dôme aquatique le long de la plage. ‘Iilaaha m’est alors apparue. Je n’ai pas vu son visage, mais je devinais sa silhouette et ses pieds couverts de nacre et de coquillages. Elle ne m’avait pas parlé depuis si longtemps.

Lù se mit à arpenter l’estrade d’un pas lent et continua :

— Elle m’a dit : « Enfant d’Iilaaha, à nouveau, je vais avoir besoin de ta voix. Va voir mon peuple, écoute-le, observe-le. Je crois que mon peuple est resté trop longtemps sans ma voix et qu’il s’est égaré. Les femmes sont puissantes et malines, mais leur orgueil n’a cessé de croître et bientôt elles seront aussi proche d’Iibilis que ne l’était l’homme. Quand à l’homme, il a accepté l’humilité en courbant l’échine et le regard que je porte sur lui est favorable. Chaque pas qu’il fait vers moi guérit la plaie originelle qu’il a effectué à l’encontre de la femme. C’est pourquoi tu dois rejoindre mon peuple et ouvrir un nouveau chapitre dans mon livre : un nouvel évangile dans lequel tu remettra chacun à sa juste place. Petit à petit, l’homme et la femme ajusterons leur rôle pour que l’un soit la lune et l’autre le soleil. Pas identiques, mais égaux. En cela, les anciennes traditions ne sont pas toutes mauvaises et il sera du devoir de chacun d’élever homme et femmes de façons à ce que chacun obtienne les même chances. »

Lù avait la bouche sêche. On ne chuchotait plus dans les rangs, mais les sourcils étaient froncés. On arrivait à l’heure de vérité. On s’attaquait au noeud du problème :

— Femmes. Ce soir, nous pendrons les restes du corps de celle qui était Dédale, à titre d’exemple. Demain soir, nous pendrons celle qui était Spirale. Les trois anciennes grandes Mère sont un exemple parfait de la décadence qui a frappé cette île. Elles ont entrainé par égoïsme tout leur peuple, dans un conflit personnel qui n’avait aucun sens. C’est pourquoi nulle ne sera punie pour son appartenance à l’un ou l’autre camp. Oublions la guerre et regardons vers l’avenir. Demain matin, nous élirons de nouvelles petites Mères, mais ‘Iilaaha rejette notre façon de sélectionner nos candidates. Demain, nous voterons. Nous voterons toutes… et tous.

Un silence de mort s’était abattu sur toute l’agora et plusieurs femmes se levèrent, bientôt suivie de Lactae qui dégaina son sabre et son mousquet en direction de la foule. Elle cracha :

— Que celles qui pensent à protester se rappellent qu’il ne s’agit pas d’une proposition. C’est un ordre que vous donne votre déesse. Et si certaines d’entre vous ne sont pas convaincues, alors elles peuvent venir au centre de la place et nous leur montrerons ce qu’il en coute de se lever contre ‘Iilaaha.

Les trois femmes laissèrent s’écouler une poignée de secondes. Assez pour montrer que personne n’était assez stupide pour s’opposer ouvertement à ‘Iilaaha et sans doute aux pouvoirs de Lù.

Larifari se leva à son tour :

— Cette réunion est terminée. Demain nous nous retrouverons après le repas du midi et toutes et tous seront invités à s’asseoir sur ces marches, sans qu’aucun moucharabieh ne nous sépare. Maintenant, si ça ne vous dérange pas, j’aimerai pouvoir aller pisser tranquillement. Vous pouvez vous disperser.

Pendant que les pirates s’éparpillaient en commérant allègrement, elle se leva et alla se soulager derrière un des énormes encensoirs où on brûlait habituellement l’algue shifa.

Lù et Lactae se retrouvèrent seules.

La première dit à la deuxième :

— Ça ne va pas se passer si facilement, pas vrai ?

— Aucune chance. Mais aucune n’osera s’attaquer directement à l’autorité de la Déesse. Après tout, nous sommes des pirates. C’est dans les bordels et les coupe-gorges qu’une nouvelle guerre va commencer. Après tout, les humains ne sont pas égaux tant qu’on y croit pas ici.

Elle indiqua son crâne d’un doigt.

— Il faut beaucoup de temps avant que des mentalités changent, je ne pense pas que tu seras là pour voir ça, répondit Lù.

— Parce que toi, si ?

La grande Mère de la vie hésita. Elle aimait sans doute un peut trop bien Lactae.

— Crois-le ou non, mais je serai sans doute en vie à ce moment-là, oui. Mais pas au bon endroit. Je quitterai Hagiòpolis demain soir, après le vote.

— Je m’en doutais.

— Ah bon ?

— Tu as préparé tes bagages.

Lù rit :

— Je manque vraiment de subtilité. Et toi, Lactae, est-ce que tu crois que les hommes peuvent être les égaux des femmes ?

Lactae sourit et ses points de suture lui tiraillèrent les joues.

— Je pense que ce que je crois n’est pas toujours la vérité. Est-ce que cela répond à ta question ?

— Oui. Moi aussi, je ne pense pas que les hommes sont les égaux des femmes et je sais que je me trompe. Mais il est dur de faire taire une éducation, pas vrai ?

— Nous sommes modelés par nos villes, et ainsi sont nos rêves, nos croyances et nos dieux.

— Crois-tu que je sois envoyé par ‘Iilaha ?

Lactae se tourna vers Lù et la regarda dans les yeux. Elle murmura :

— Je ne crois pas en ‘Iilaaha, mais toi, peut-être que tu es un Dieu.

Ce n’était qu’une boutade destinée à lui montrer que Lactae avait percé Lù à jour. Celle-ci éclata de rire et s’éloigna tandis que Larifari revenait en se refroquant. Elle regarda dans le vide — ce qui n’était pas très difficile avec son regard abimé — et lança l’air de rien :

— Et si nous allions boire un verre à la taverne ?

— Tu ne me fais plus la tête ?

— A quoi ça servirai maintenant ? Alors ?

— Pas à la taverne. Allons au phare.

— Hein ?

— C’est le dernier soir, Lari. Demain, nous serons chacune dans nos temples, même si le tiens sera sans doute un temple de fortune, en attendant qu’on reconstruise Mumit. J’ignore dans combien de temps nous nous reverrons. Il faut qu’on parle.

*

Une main se plaqua sur la bouche de Spirale et celle-ci se réveilla en sursaut. Son premier réflexe fût de mordre les doigts et aussitôt, la silhouette qui la surplombait poussa un glapissement étouffé.

La Grande Mère se redressa et voulut se jeter sur son agresseur, mais elle s’immobilisa en reconnaissant Honorine qui lui jetait un regard assassin en serrant contre elle ses doigts mordus.

— Qu’est ce que tu fais-là ?

— Je viens t’libérer, c’est comme ça qu’tu me remercie ?

La porte de la cellule était ouverte. La clef du trousseau de la gardienne était enfoncé dans la serrure.

— Je ne veux pas qu’on me libère.

— Si t’veux mourir, fais au moins ça comme une femme. Ici personne veux t’rainer au gibet, ni laisser une chèvre faire tomber ta chaise.

La pâle croisa ses bras devant sa poitrine et les deux femmes se fusillèrent du regard.

— D’accord. Admettons que ce soit de ma responsabilité. Et comment tu me fais sortir d’ici ?

— Facile.

Honorine montra du doigt la geôlière qui ronflait très fort sur sa chaise après avoir terminé deux des trois bouteilles de rhum que Spirale avait dédaigné.

— Un peu trop facile même, murmura la grande Mère, les sourcils froncés, tandis qu’elle contournait la soldate pour atteindre la porte.

La sortie du temple se fit de la même façon. La voie était étrangement libre. On entendait pas un bruit en dehors du roulis paresseux de la mer dehors. Les couloirs étaient vides, la grande porte ouverte.

— Mais qu’est ce qui se passe ici ?

— Tu d’vines pas ?

— On dirais que les évènements penchent favorablement dans le sens de mon évasion, de façon pas très naturelle.

Elles se mirent à courir au milieu des rochers en direction de la ville. Elle s’arrêtèrent quand le port fût en vue et Honorine se tourna vers la pirate :

— Tout le monde veut que tu t’barres, Spirale. C’est vrai qu’t’as enfreint la loi et que normalement, tu dois mourir, mais personne a envie d’ça. On s’est même pas concertées. Les gardes font des rondes absurdes, ta geôlière a bu plus que de raison et a laissé le trousseau sur la table. Alors voilà, personne veut que tu meurs, quoi qu’en pense ‘Iilaaha. Maintenant, le reste, c’est ton choix.

— J’ai besoin de réfléchir.

— Moi et Lù, on quitt’ra Hàgiopolis demain, après qu’la nouvelle grande Mère de la vie soit élue. S’tu veux en être, cache-toi dans l’tanafas et monte à bord de c’bateau là.

Elle lui indiqua un bateau du doigt. L’ancienne prêtresse grogna :

— Sérieusement, vous allez voler ce navire ?

— Et pourquoi pas ? T’vas nous dénoncer ?

Spirale mit ses mains dans ses poches :

— Non. J’avais moi-même prévue de piquer une barque avec Dédale avant que les choses ne tournent mal.

— Hein ?

— Peu importe. Demain, sur ce bateau. J’ai compris.

Honorine hésita avant de lui fournir un couteau.

— Désolé, j’ai pas de meilleur sabre. Utilise le couteau si jamais tu es en difficulté.

— Merci Honorine. Je n’aurai pas imaginé avoir une amie pâle un jour. Je ne regrette pas.

— Fais bon usage du temps qu’on te donne.

Elles se séparèrent là. Spirale hésita, puis elle se débarrassa de son manteau trop voyant, qu’elle roula sous son bras, puis noua sa longue chevelure en chignon. Il était tard et il n’y avait pas grand monde dans les rues, tout le monde s’était retrouvé dans les tripots pour commenter les nouvelles du jour et réconcilier les anciennes ennemies d’hier. Les pirates d’Hàgiopolis n’avaient pas la rancoeur tenace. Même les sombres pouvaient accéder aux fut de bière ce soir-là.

En passant à côté d’une fenêtre crasseuse, Spirale aperçu la commandante Dolorès qui dansait sur la table, en faisant tournoyer son jabot au dessus de sa tête.

Comme quoi, tout pouvait arriver.

Elle longea les murs jusqu’à arriver en vue de la place de l’agora.

On avait enlevé tous les morts, sauf un.

Deux grands gibets avaient été montés au milieu de la place et à l’un d’entre eux avait été accroché le cadavre de Dédale.

Spirale s’approcha.

Le visage était bleu, mais il ne ressemblait pas à celui-d’un pendu ordinaire. Le cadavre s’était rigidifié avant qu’on ne l’accroche et la grande Mère de la vie gardait dans la mort une expression de stupéfaction enfantine qu’on ne lui avait jamais vu de son vivant.

L’amy khabira des morts enfonça ses mains au fond de ses poches, ses yeux noirs perdus dans ceux de son ancienne rivale. Elle se sentit si lasse soudain. Elle aurait préféré qu’on la laisse tranquille dans sa cellule.

Sur la haute estrade, elle avait l’impression que les trois trônes de bois flotté la narguaient. Spirale plissa les paupières. Cette époque-là avait trop durée.

Elle observa l’agora. On y trouvait encore quelque débris, vestige de la bataille qu’on y avait mené. Il y avait aussi quelques mangeoires réservées aux chevaux, du foin, des tonneaux remplis d’avoine.

La grande mère se rapprocha d’un des tonneaux, le fit basculer pour vider les céréales sur le sol, avant de le faire rouler jusqu’aux potences.

Spirale aimait bien les chèvres. Elle n’avait pas envie que l’une d’entre elles meure bêtement par sa faute.

Elle plaça le tonneau sous la deuxième corde, jeta un oeil à Dédale et grimpa sur son escabeau improvisé.

Faire du fromage, brouter de l’herbe, ça c’était le destin correct d’une chèvre.

 

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Nathalie
Posté le 16/11/2022
Bonjour Gueule de Loup

J’ai adoré l’introduction. Bien joué Andr !

Voici mes corrections pour ce chapitre :

des conséquences plus que regrettable → regrettables
A moins que tu → À moins
Je comprend pas → comprends
Un Pillier a besoin d’un corps → pilier
A vrai dire → À vrai
Je ne voulais ce qui est arrivé → Je ne voulais pas ce
tu ne mérite pas → mérites
A un endroit → À un
On ne pensait pas que la situation en arriverai là. On ne souhait pas sa mort, mais elle n’a eu que ce qu’elle méritait. → « arriverait » puis « souhaitait »
ça justifie de l’avoir tué → tuée
Nous ne l’avons pas tué → tuée
Elle  lui tendis les béquilles → tendit
les seuls Pilliers dans → Piliers
Il n’avait pas vraiment eut l’occasion → eu
A vrai dire → À vrai
une exceptions pour eux → exception
Ce qui me définissais → définissait
A ce jour → À ce jour
J’aimerai dire → J’aimerais dire
j’avoue que j’aurai du mal à y croire. → j’aurais
les empreinte de leurs orteils → empreintes
il n’avait fallut que convaincre → fallu
Lactae n’avait pas eut l’air → eu
tu remettra chacun → remettras
l’homme et la femme ajusterons leur rôle → ajusteront
il sera du devoir de chacun d’élever homme et femmes de façons à ce que chacun obtienne les même chances. → « hommes » puis « façon » puis « mêmes »
j’aimerai pouvoir aller → j’aimerais
un peut trop bien → peu
je sois envoyé → envoyée
A quoi ça servirai maintenant → « À » puis « servirait »
le tiens sera sans doute → tien
personne veux → veut
On entendait pas → On n’entendait pas
Je n’aurai pas imaginé → n’aurais
Spirale aperçu la → aperçut
Cette époque-là avait trop durée. → duré
Nothe
Posté le 27/08/2022
(attention aux lecteurs, si vous lisez les commentaires, j'ai lu les chapitres d'après et je vais spoiler comme un bâtard donc déso)

Salut, c'est Elliot ! Maintenant que j'ai tout lu correctement (en plus d'avoir relu ces trois derniers chapitres deux fois), je me permets de laisser un vrai commentaire ! Je pense qu'on pourra en reparler de vive voix plus tard de toute façon, mais après tout, pourquoi ne pas laisser une trace écrite de mon ressenti. J'espère trouver le temps les prochains jours pour commenter les autres chapitres aussi !

J'aime beaucoup la manière dont le conflit entre Balthazar et Lù se solde. Je m'imaginais que la scène durerait beaucoup plus longtemps, et je me préparais mentalement à beaucoup plus de gêne et de tension, mais au final, je pense que tu as fait le bon choix en décidant de ne pas la laisser traîner. Lù a raison, ils ont tous les deux commis des actes impardonnables, et prolonger cette discussion ne leur ferait pas de bien et en plus serait pénible pour le lecteur. Lù montre beaucoup plus de froideur à cet égard que Balthazar cela-dit, mais en même temps, je pense que c'est son personnage (elle est déjà très prompte à dire "c'est arrivé, c'est fini, on n'en parle plus" après son viol).
Je dirais que sur la fin de cette scène, le dialogue s'enchaîne vite et on a beaucoup moins accès à l'état émotionel de Balthazar, ou même à ses pensées, auxquelles on avait droit au début du chapitre (par exemple, on ne sait pas ce qu'il pense de devoir changer de monde, est-ce que ça lui fait peur, est-ce que ça le rend triste ?). Après c'était peut-être voulu, parce qu'on a les pensées de Lù au milieu, donc le POV a peut-être changé et était moins subjectif que ce que je pensais. C'est du pinaillage, mais pour la dernière scène de Balthazar (épilogue non-inclus), ça le met plutôt au second plan, ce que je trouve dommage.

La scène entre Larifari et Spirale est vraiment très très bonne ! Toute la sous-intrigue de ce chapitre avec Spirale en fait est vraiment très bien amenée, et le fait qu'elle fasse techniquement ses adieux à tous ceux qui comptaient pour elle rend la dernière scène HYPER crédible, je suis vraiment tombé dans le panneau (genre vraiment là devant l'ordi en mode "mais !! Honorine t'a sauvée ! Ah mais en même temps elle meurt selon ses termes à côté de sa rivale, c'est trop classe... MAIS C'EST TRISTE !!!) Ca se sent vraiment que tu aimes son personnage !

Le débordement d'émotions de Lari est aussi assez rafraîchissant, c'est vrai qu'elle est entourée de personnages plutôt pragmatiques (Lù, Lactae, même Spirale et Gaspard qui ne font pas dans le sentiment), mais du coup, leurs conversations sont souvent un peu dures et froides (c'est pas une critique, c'est raccord avec leur caractère). Du coup voir quelqu'un réagir avec passion à l'idée de perdre un être qui lui est cher, ça fait son effet. Moi je la trouve assez attachante dans ce moment, et le fait que Spirale lui accorde aussi de la tendresse, c'est très chouette ! J'ai aussi beaucoup aimé le fait qu'elle ait encore la loyauté de ses femmes, même si elles ne veulent pas vraiment briser la loi, personne n'aime la voir dans cette situation, et je trouve ça très bien. Ca aurait été très facile de dire "Spirale a perdu, c'est comme ça", mais les liens qu'elle a créés comptent toujours et ne sont pas oubliés par facilité scénaristique. Bref, je sais pas si je fais sens, mais je trouvais ça super cool ! En plus du coup ça fait un super contraste avec la dernière scène où, malgré tout le soutien évident qu'elle a, elle se retrouve seule face à elle-même et son passé. Sincèrement, si elle s'était vraiment suicidée à ce moment-là, j'aurais été triste, mais ça serait vraiment bien passé - en matière de tragédie, voir quelqu'un avoir la possibilité de recommencer sa vie et décider qu'il est trop fatigué pour essayer à nouveau, c'est horrible, mais ça marche hyper bien.

Par contre, ça ne veut pas dire que je n'aime pas le choix inverse ! Non seulement il est drôle, mais en plus il amène une touche d'espoir que je trouve assez raccord avec le thème général de la fin de cette histoire, l'idée d'un nouveau départ, aussi grossier ou risqué soit-il. Ca aurait été facile d'enterrer Spirale en mode "allez, on fait vraiment table rase du passé", mais c'est vraiment trop facile de tuer des persos, c'est plus drôle de les faire vivre. Spirale est vraiment un des personnages les plus marquants de tout le livre et je suis content qu'elle ait droit à une seconde chance ^^

Un dernier point sur lequel je passe vite fait - c'est vrai que ces derniers chapitres ont beaucoup de fautes d'orthographe et de répétitions, surtout dans les dialogues (beaucoup de répétitions de formulations de liaison dans le même paragraphe : "c'est vrai que", "après tout", . Je ne vais pas tout lister, parce que je ne pense pas que ce soit utile maintenant et en plus j'ai la flemme, mais si jamais à un moment tu cherches des bêta-lecteurs, ça me ferait très plaisir d'aider ! J'ai vraiment énormément aimé cette histoire, elle est narrativement très solide et esthétiquement hyper percutante, je pense même que je l'aime mieux que Ville Noire. Tu as beaucoup progressé !

Bref ! J'essaierai de commenter les autres chapitres plus tard, donc on se reverra !! A plus !!
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