Pas sans toi

Notes de l’auteur : Nouvelle originellement écrite pour l'appel à texte Nutty Sheep pour les amants surnaturels. Le texte n'a pas été retenu.
/! Homoromance.
Lorsque le marteau s’abattit sur le plateau de bois, le brouhaha de la salle s’interrompit presque instantanément, la masse compacte de l’assistance se tournant vers les juges qui venaient de reprendre leur place, le visage sombre et l’expression austère, l’aura de leur pouvoir écrasant se répandant petit à petit dans la pièce.

- Accusé, levez-vous.

Le vampire s’exécuta lourdement, sa grâce et sa superbe habituelle remplacées par la gaucherie de longues semaines de privation comme de torture. Son visage éternellement jeune était à présent défiguré par deux cicatrices indélébiles, apposées au fer rouge, qui le marquaient comme un paria aux yeux des siens, et ses vêtements jadis luxueux n’étaient plus que guenilles crasseuses empoissées de fluides que personne ne souhaitait identifier.

Cependant, malgré le traitement qu’on lui avait infligé ces derniers temps, son regard rouge brillait toujours d’une flamme incandescente et sans les entraves magique circonscrivant ses pouvoirs, il aurait certainement pu soumettre une bonne partie de l’assemblée à sa volonté. Parmi les Anciens, ses pairs en train de le juger, il était l’un des plus puissants…

- Nous avons statué sur votre cas.

L’accusé esquissa un sourire.

- Enfin.

- Silence Gertfall !

- Ouh… l’utilisation du nom de famille. C’est si grave que ça ?

- Vous êtes jugé coupable de Haute Trahison envers le Conseil et votre race.

- Ah. Oui. Effectivement.

- SILENCE.

L’homme poussa un soupir et se tint coi, un air profondément ennuyé sur le visage.

- Les chefs d’accusation sont les suivants : Rétention d’informations, mise en danger du clan, refus d’obéir au conseil, et le plus grave, dissimulation de la capture d’un Aria et refus de partager son sang. Faites le entrer.

A ces mots, l’accusé se raidit, soudain en alerte. Sur le côté de la voûte abritant le tribunal, une porte s’ouvrit pour laisser passer deux goules encadrant un humain en piteux état dont les pieds traînaient sur le sol, incapable de le porter. On l’avait soigneusement passé à tabac tout en faisant attention à ne pas faire couler son sang – dont l’odeur aurait pu rendre la moitié du public complètement fou – et c’était à peine s’il pouvait ouvrir les yeux, tant ces derniers étaient tuméfiés. Depuis l’estrade sur laquelle il se tenait, le prisonnier dû se faire violence pour ne pas se jeter sur les gardiens tous crocs dehors afin de les déchiqueter.

Un grondement sourd s’échappa de sa gorge.

Ils allaient le payer…

L’humain fut jeté au sol au milieu du tribunal et y resta sans bouger, son corps épuisé et à moitié vêtu ne lui permettant pas le moindre mouvement. De là où il était, le vampire pouvait voir que ses jambes formaient plusieurs angles anormaux. Le bruit sourd produit par sa gorge augmenta d’un cran. Ils le lui avaient mutilé !

- Silence Armand !

L’injonction le ramena à la réalité, faisant mourir le grondement qui, à sa grande satisfaction, avait fait reculer le cercle des vampires venus assister à sa condamnation.

- Comme vous pouvez le voir, nous l’avons rattrapé. Ce qui ajoute à votre crime la mort de huit Nouveaux Nés, trois Maîtres et un Ancien.

L’accusé eu un sourire suffisant et fier.

- Ça c’est mon Shekil !

- SILENCE ! Enfer Armand ! C’est comme ça que tu parles de la mort de tes frères ?

Une jeune femme s’était levée dans l’assistance. Grande, brune avec les cheveux délicatement boulés, cintrée dans une robe élégante, elle semblait plus en détresse qu’en colère. Ses yeux d’un violet profond ne quittaient pas le visage livide de son interlocuteur.

- Ne vois-tu pas que ça aggrave ton cas ?

- Mon cas est désespéré ma douce Akasha… (il lui adressa un sourire désolé) ils m’ont condamné et je ne compte pas nier mon affection pour lui dans le seul but de vivre encore quelques années de pur ennui…

- Votre affection ?! (le juge qui venait de prendre la parole eut une mimique dégoûtée) Votre amour plutôt. Pour un humain. Pire. Pour un ARIA. C’est comme… comme tomber amoureux d’un chien ou d’un steak. Répugnant.

- Dit le gars qui couche uniquement avec des cadavres froids de prostituées éventrées…

- SILENCE ! Ça n’est pas le sujet.

- Bah voyons.

Sur le sol, Shekil bougeait très lentement, ramenant ses jambes brisées contre lui. Armand devait gagner du temps… il savait son humain plein de ressources (preuve en était de l’hécatombe ayant accompagné sa capture) et capable d’encore tous les surprendre, même avec les jambes brisées. S’il lui donnait le temps de récupérer, ils pourraient peut-être s’en sortir.

Sur la table des juges, l’un des gardes déposa un petit carnet noir estampillé du sceau discret du plus grand clan de chasseurs de l’histoire. A l’intérieur, ils y trouveraient le palmarès de chasse de Shekil ainsi que des données cryptées qui fileraient des mal de crâne carabinés aux spécialistes du Conseil. Armand le savait : il avait mis lui-même plusieurs mois à le traduire, et ce en ayant l’Aria enchaîné à sa disposition.

A l’époque, il n’éprouvait rien d’autre pour l’humain qu’une obsession malsaine qui l’avait conduit à le chasser au travers de tout le continent, multipliant les pièges et les affrontements sans pour autant parvenir à le coincer. Ce qui était affreusement frustrant pour un Ancien comme lui : peu d’humains étaient à même de lui résister, il avait plusieurs Aria épinglés à son tableau de chasse, et ce merdeux d’à peine 23 ans lui donnait un fil à retordre pas possible, allant même jusqu’à le blesser sérieusement plusieurs fois.

Aussi sa capture avait-elle été un plaisir sans nom…

Oh bien sûr, il avait été à deux doigts d’y passer, mais ce qui était arrivé ensuite restait dans sa mémoire comme l’un des moments les plus puissants et les plus excitants de ses 800 ans d’existence. Lorsqu’il avait plaqué l’humain au mur, achevant de lui déboîter une épaule et parvenant enfin à épingler sa main d’épée, déchirant les muscles pour lui faire lâcher son sabre, il avait su, au plus profond de lui, que la première partie de leur jeu était gagnée.

Rien que de repenser à la peur qu’il avait vu s’allumer dans les magnifiques yeux bleus du jeune chasseur lorsqu’il l’avait débarrassé du collier métallique protégeant sa gorge, il sentait son ventre se contracter violemment de désir.

Ses crocs avaient plongés dans la chair humaine découverte, broyant la clavicule au passage, lui permettant de se gorger du fluide vital au parfum si particulier, véritable aphrodisiaque pour les vampires. Les heures qui suivirent furent pour lui une véritable jouissance… il avait bu et pris l’humain à même le sol, dans l’église en ruine qui avait servi de décors à leur affrontement, jusqu’à ce que le jeune homme finisse par perdre connaissance. Et il lui avait servi le même régime les jours qui avaient suivi.

Enfin…

Seulement une fois qu’il l’eut rapatrié dans son manoir.

Avant, il avait pris le soin de plonger dans son esprit afin de le manipuler mentalement pour qu’il l’amène à sa planque et lui permette de mettre la main sur une petite partie des secrets Aria… comme par exemple l’existence d’une certaine potion à base d’hellébore qui leur permettait de guérir rapidement (ce qui expliquait l’improbable capacité des membres de ce clan à résister aux prédateurs surnaturels) et qui donnait à leur fluide vital cette odeur si particulière qui affolait tous les buveurs de sang ; mais aussi d’autres menus détails : des plans, des listes, le carnet crypté, des petites habitudes comme le fait d’alimenter la planque à l’électricité alors que cette ressource était affreusement chère ou de laisser des armes dans chaque planque à disposition des suivants… autant d’indices qui leur permettraient par la suite de repérer plus facilement les chasseurs.

Il avait ensuite passé plusieurs semaines à le travailler au corps, alternant sondes mentales pour essayer d’accéder à ses secrets et tortures physiques pour briser son esprit, avec des moments de calme et de grande douceur… quand le chasseur n’essayait pas de l’éliminer. Sans surprise, le jeune homme, une fois soigné, ne s’était pas laissé faire, lui résistant farouchement, tant mentalement que physiquement, ne laissant passer aucune occasion de tenter de l’éliminer, même après que le délais de péremption ait été dépassé.

Parce que oui, les Aria avaient un délais de péremption.

L’apprendre ne l’avait pas vraiment étonné, ce clan était plus inhumain envers ses membres que la plupart des prédateurs qu’il connaissait : au bout d’un mois sans nouvelles, on considérait le chasseur comme mort, annulait et remplaçait tous les protocoles dont il pourrait avoir connaissance, et faisait circuler l’ordre d’abattre le mort à vue si jamais on en venait à le croiser. Pourtant, même en sachant cela, Shekil avait continué d’attenter à la vie de son geôlier sans relâche, probablement par fierté mais aussi dans l’espoir de pousser le vampire à l’éliminer… puisque toute forme de suicide lui avait été strictement interdit à grand renfort de conditionnement mental. C’était d’ailleurs la seule chose qu’Armand avait réussi à implanter dans son crâne…

Ce petit jeux avait duré longtemps.

Presque deux ans.

Deux années au bout desquelles deux événements majeurs s’étaient produits : 1. La potion à base d’hellébore avait cessé de faire effet sur l’humain, et 2. Armand était officiellement entré au conseil en tant qu’Exécuteur en charge de la traque et de la gestion des Aria en cas de capture.

Un timing parfait.

Il n’avait plus vraiment besoin de dissimuler sa proie, ce qui était une bonne chose puisqu’il lui avait « accidentellement » brisé un bras et que ce dernier mettait un temps affreusement long à guérir. Un arrangement avait été âprement négocié et il avait obtenu d’être le seul décisionnaire quant aux quantités de sang prélevées chaque semaine sur l’Aria, générant un certain confort d’existence à tous deux.

Étrangement, ce fut ce changement de rythme qui brisa la résistance de Shekil : l’épuisement provoqué par les prélèvements sanguins, le brusque retour au confort, l’absence de tortures et les longues journées passée avec Armand à simplement… eh bien, rester assis en silence, puis progressivement à discuter, avaient fini par le convaincre de cesser la lutte. Le clan Aria se fichait éperdument de son sort, il avait payé son dû à l’humanité en assassinant plus de créatures surnaturelles que n’importe lequel de ses pairs… il était temps pour lui d’accepter sa défaite sans culpabiliser et de s’en remettre aux mains expertes du vampire.

Oh bien sûr, le petit syndrome de Stockholm savamment orchestré par l’Ancien y était aussi pour quelque chose, même s’il avait mis une éternité folle à prendre racine dans l’esprit récalcitrant de l’humain. Mais les résultats étaient enfin là, et le soir même de sa reddition, le jeune homme s’abandonna sans résistance, offrant Armand l’une des plus belles nuits de son existence.

Avec le recul, c’était probablement à ce moment-là qu’il avait lui-même finit de tomber amoureux… oh bien sûr, Shekil était l’une de ses obsessions depuis de nombreuses années et il aurait pu vivre dans le dénis en s’affirmant qu’il n’était rien de plus que ça, une obsession… mais ç’aurait été mentir, et de façon grossière en plus, alors il l’avait tout simplement accepté…

Il était amoureux d’un humain.

Il était amoureux d’un Aria.

Enfer, à ce moment-là, il avait su qu’il était perdu.

Le choc brutal du marteau contre le bois le ramena à sa situation présente. Le discours du Maître de cérémonie avait continué sans lui, longue suite de chefs d’accusations et de règlements de comptes dont il n’avait strictement rien à faire.

Une seule chose comptait. Shekil.

Dès qu’Armand serait mort, probablement par brûlure au soleil, ils placeraient l’humain dans une usine de traite où il le relieraient à une machine pour pomper son sang comme on traie une vache, jusqu’à ce que son cœur et son corps ne soient plus en mesure de supporter ce traitement.

Alors il mourrait.

Et son cadavre serait balancé aux goules.

Il ne voulait pas ça pour lui.

Non. Tout sauf ça.

- Armand Gertfall. Vous êtes condamné à la mort par dessèchement, vos crocs seront arrachés, puis vous serez emprisonné à vie dans l’usine de traite, à regarder votre Aria être pompé jusqu’à ce que son propre décès s’en suive.

Il ferma les yeux.

Quelle bande de…

- Par respect pour votre ancienneté et vos services rendus au monde vampirique avant votre égarement, nous devrions vous accorder une dernière volonté. Mais au vu des circonstances… le Conseil a statué sur le fait que c’était une mauvaise idée. La sentence est à application immédiate. Quant à l’Aria, une partie de son sang sera prélevé ici-même pour l’assemblée.

- NON !

Le cri avait jaillit de sa gorge sans qu’il puisse le retenir et il avait bondit en avant, surprenant ses gardes qui laissèrent échapper ses chaînes. En deux bonds, il se retrouvait au-dessus de l’humain, crocs et griffes dehors, impressionnant malgré les sceaux bridant ses pouvoirs, au point que les gardes préférèrent spontanément la retraite à l’attaque. Sous lui, le chasseur s’était dressé tant bien que mal sur les bras, ignorant la douleur de ses jambes tordues pour s’asseoir et dégainer une minuscule arbalète, probablement dissimulée jusque-là dans les replis de son pantalon. Les pieux chargés dans l’arme n’étaient pas pointés vers l’assistance, ou vers les membres du Conseil. Mais vers Armand.

- Shekil…

- Barre-toi Armand.

- Non.

- Tu as une chance de t’en sortir si tu pars seul (les vampires étaient en train de se reprendre, les Anciens du Conseil commençant à hurler des ordres pour qu’on les abatte) avec mes jambes je serais un poids mort.

- C’est hors de question.

- Armand.

- Non. Pas sans toi.

Sans se soucier des goules qui s’étaient reprises et se ruaient à présent vers eux, le vampire se pencha sur l’humain pour couvrir ses lèvres des siennes, ignorant la douleur provoquée par la lame qui venait brusquement de fouiller ses entrailles.

Contre sa poitrine, l’arbalète émis un petit déclic tandis que Shekil l’armait.

Les griffes du vampire descendirent sur la gorge du chasseur, s’arrêtant au niveau de l’artère.

- Pas sans moi ?

Un sourire.

- Pas sans toi.

Les doigts de l’Aria appuyèrent sur la détente.

Les griffes s’enfoncèrent dans la gorge.

Et le sang se mêla aux cendres…

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez