Il n’était pas le seul paumé. Bien au contraire. Il y avait toute une bande. Des garçons comme lui, nés dans le désordre. Compagnons éternels de la déroute. Génies du trouble. Maîtres de la provocation.
Ils n’étaient pas amis parce qu’ils s’entraidaient. Au contraire. Aucun n’en était vraiment capable. Chacun était noyé par ses propres problèmes. Et chacun avait sa façon de les oublier.
Ensemble, ils ne parlaient jamais de leur souffrance. Ils ne posaient aucune question. Ils se contentaient de boire, de fumer, et d’échanger leur colère.
Dans cette équipe, on se battait. On s’insultait. On se crachait parfois au visage. Mais on attendait toujours l’alcool pour le faire. Si bien que les pires atrocités pouvaient être dites sans que personne ne s’en souvienne vraiment.
Parmi ses amis, il y en avait un moins paumé que les autres. Un anarchiste. Un marginal. Qui sentait davantage le café que la bière bon marché. Comme les autres, il buvait, fumait et insultait. Mais parfois, il parlait. Il posait des questions. Il savait être empathique sans pitié. Il savait être compatissant sans les yeux pleurants. Il préférait rire de leurs problèmes, de l’absurdité de leur existence, plutôt que de se lamenter. Un cynisme délicieux.
L’anarchiste et le paumé savaient se comprendre. S’insulter sans alcool. Et en rire.