Sous les yeux tantôt incrédules, tantôt surpris, franchement perplexes ou encore avides, amusés, et un publique de passage ou à l'arrêt, chacun des coups de pinceaux de l'artiste transforme mon corps en quelque chose d'autre. Là une courbe s'accentue, là, il efface un creux, redessine un trait, couvre ma peau nue et frissonnante d'une première couche qui attire tout en dissimulant les regards.
Lorsque j'ai accepté, lorsque j'ai retiré ma veste et mes vêtements, je me sentait l'âme d'une conquérante, d'une guerrière capable de tout oser, tandis que dans ma poitrine mon cœur de petite fille tremblait de la terreur d'être regardée, de me retrouver au centre de leur attention, moi, ma peu, et tous mes complexes. Je me suis avancée la tête haute, bravache, au milieu de cette rue, mes yeux rivés à ceux de l'homme m'ayant mise au défi, m'ayant invité à la métamorphose, à m'exposer, nue, puis peinte, à leurs regardes.
Le pinceau glisse, maquille, couvre, petit à petit, celle qui était moi se transforme, change sans que je n'ai rien à y faire. Ma peau se couvre de bleu, de jaune, de rose ; une fleur prend vie sur ma hanche, ses feuilles s'épanouissent entre mes cuisses, sur mes reins. C'est dur de ne pas me contorsionner pour suivre ses gestes, pour tout regarder ; il m'a bien dit de ne pas bouger, ou du moins, le moins possible, le tout avec une étincelle de malice dans le regard. Je sens le pinceau, puis une main, me caresser la fesse, d'un mouvement subtile il fait plier ma raille, remonte sur mon ventre, mes seins. Pendant un long moment il s'acharne sur mon dos et je me doit de subir, immobile et le regard fixe, au delà de la foule, la dévorante curiosité de voir sans pouvoir réclamer un miroir, un reflet quelconque ou le mirer. Lorsqu'il repasse devant je sens son œil, sa malice, sa présence. Les gens, aussi, qui ne regardent plus la fille complètement folle qui s'est mise à poil sur un simple défi, mais l'objet, l’œuvre d'art qui prend vit sous leurs yeux, dont les motifs, les courbes, les formes, changent et renaissant, se modifient, deviennent autre chose...
L'odeur de la gouache a remplacé la froideur sur ma peu, les exclamations sont devenus murmures. On montre du doigt, on jure, admiratif, on siffle. Ô mon Dieu, il y en a qui prennent des photos. Je rougis, le pinceau effleure ma joue, efface le rouge, mes traits, mon visage. Je ne suis plus moi, je suis sa peinture et ses doigts, son idée, son art ; il a fait de moi ce que je n'oserai jamais être, un objet d'attention, une chose figée que l'on admire, de loin, sans la toucher.
A part du bout des doigts, du bout des yeux.
Du bout du rêve.
Les rêves de milliers de gens projetés sur ma peau, sur moi, en moi, au point que Je ne suis plus, que Je n'existe pas. Il ne reste plus que l'art.
Et pas moi.