Ru(m)ine

Notes de l’auteur : Mot : Ruine
Ambiance : de nuit

Durant son enfance, les ruines, c'était l'étape obligée, l'endroit dans lequel on posait une dernière fois les paquets avant de voir la mer, où on se racontait des histoires pour faire peur et où il avait fait griller ses premiers marshmallows. Ses derniers aussi. Ils y arrivaient toujours à la nuit tombante, harassés de la journée mais surexcité par la perspective des vacances, des ruines et de la mer. C'était LA nuit où ils pouvaient dormir sans les parents, dans les restes de la grande tour, LA nuit pour laquelle ils récoltaient toute l'année les meilleures histoires d'horreurs, où ils étaient certains de se blottir, garçons contre filles et filles contre garçons, dans les délices de dormir ensemble et des histoires interdites.

A l'époque, elles lui semblaient immenses. Peuplées de fantômes, de monstres, de rêves... ils passaient toujours la matinée suivante à jouer dans les contrefort, avant de devoir repartir avec un regard de regret en arrière vers les plages et la lumière. Mais avant régnait la nuit...

La nuit et ses formes folles, ses ombres qui transformaient le pigeonnier en grotte, le feu en phare, leur veillée en ambiance de fin du monde, où ils étaient les seuls survivants, serrés les un contre les autres dans la lumière dansante puis sous les étoiles. Que d'aventures ils avaient vécus, indifférents aux dangers des ruines de nuit, des pierres branlantes, des trous cachés, ivres de la liberté offerte par les ténèbres qui couvent les secrets, font fermer les yeux aux adultes et donnent à la moindre action le goût de l'aventure...

Maintenant qu'il s'y promenait adulte, parmi ces vieilles pierres en décrépitudes, toutes baignées des lumières du crépuscule, il pouvait en apprécier la beauté sans pour autant en retrouver la magie. Le donjon était-il si petit ? Lui qui avait toujours cru que grimper sur sa platforme était un exploits, le voilà maintenant capable d'en caresser le rebord de pierre du bout des doigts. Et l'emplacement du foyer avait-il toujours été si prêt ? Il pouvait le voir, là, en se retournant sans même se forcer. Le champ de ruine, leur champ de jeu, lui paraissait bien étroit à présent, dépourvu du regard de l'enfance, émaillé des éclats du soir et de son âme d'adulte, lui faisant presque regretter de ne pas avoir d'enfants : aurait-il pu ressusciter pour eux l'ambiance et le merveilleux des lieux ? Donner à ces pierres une âme comme l'avaient fait ses parents ? Ou bien n'aurait-il pas su, voilé de gris par la vie comme il l'était à présent, rouvrir son esprit à l'imaginaire ?...

Les doigts caressèrent encore une fois les vieilles pierres, laissant ses pensées s’échapper, considérer le fait que ses amis l'attendaient certainement, serré dans un café, ravis de leur journée de plage et de bronzage, et que, peut-être, ils accepteraient de le rejoindre. Juste pour une nuit ? Une tentative de ramener la magie dans son esprit ?...

Déjà ses pieds avaient pris le chemin du retour, dévalant la pente gravillonnée, provoquant sur son visage un mouvement d'air bienvenu, allégeant son cœur d'un certain poids, d'un peu de mélancolie... lorsqu'il poussa la porte du café, ils auraient pu jurer avoir vu un début de sourire sur son visage.

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