Pip

Par CelCis

La musique de Son House coulait dans ses oreilles. Le son aigu de la guitare, la voix saisissante du chanteur lui firent du bien. Elle eut l’impression d’être autour d’un brasero crépitant, à la tombée de la nuit, entourée de paroles voguant dans l’air et d’éclats de rire. Elle garda les yeux fermés et se laissa bercer par la musique. « It is so hard to love someone who don’t love you », disait-il. Les pleurs de Gaëlle s’asséchèrent doucement.

À la fin du morceau, elle retira le casque et arrêta le tourne-disque. Elle repensa à ce qu’elle avait fait. Elle avait craché tout ce qu’elle retenait depuis tant d’années à la figure de la gamine qui, au fond, n’y pouvait rien. Elle avait juste été présente au Paquebot au mauvais moment. Et, sa rajouta-t-elle pour remonter un peu son estime d’elle-même au détriment d’autrui: il fallait dire que la fillette l’avait un peu cherché en la collant comme un Sugus au talon. Puis elle eut honte de ses pensées. La gamine l’avait amenée à la mappemonde. Elle l’avait aidée à chercher un moyen de trouver son père. Depuis ce matin, s’il y avait bien une personne qui lui tendait la main, c’était bien elle. Et au fond, elle devait bien reconnaître qu’elle appréciait sa présence.

Gaëlle se demanda ce qui l’avait amenée à réagir comme cela. Etait-ce la dureté de son grand-père qui l’avait exaspérée? Il n’y avait eu aucune once de gentillesse ou de compassion dans ses yeux. Il lui évoquait un bloc de glace, ou plutôt un bulldozer, écrasant calmement mais impitoyablement tout ce qui ne lui convenait pas. Ou était-ce la naïveté de la fillette qui l’avait mise à bout? Comment aurait-elle pu savoir tout ce qu’elle avait traversé durant ces années ? Cependant ce petit bout avait trouvé bon de juger son père sur deux ou trois moments choisis et elle en avait tiré sa conclusion. C’était injuste. Mais n’avait-elle pas été injuste à son tour d’en vouloir à une gamine si jeune?  

Gaëlle évinça les larmes qui, profitant de sa faiblesse, s’étaient fait la malle aux bords de ses yeux. Il fallait dire, pour sa défense, qu’elle en avait déjà pas mal vu depuis le matin. De la dispute avec son frère à la course à quatre pattes dans des tunnels à la recherche d’une môme, en passant par des voyages inexplicables dans le passé, et son père, son père partout et toujours… Ce n’était pas rien. En attendant, elle pouvait passer son temps à se plaindre, mais cela ne résoudrait pas grand chose à l’affaire. Elle allait faire comme toujours: rebondir. Gaëlle se répéta son mantra préféré: Pas question de se laisser aller.

Elle se releva, mais le coeur n’y était pas. Son entrain s’était perdu quelque part dans le séjour glacé de ses grands-parents. Par-dessus le marché, elle s’aperçut que la fillette n’était même pas à ses côtés. Voilà, son grand déballage avait fait sa première victime. Après ce qu’elle avait entendu, l’enfant ne voudrait probablement plus la voir. Gaëlle l’avait su avant même de laisser les paroles sortir. Il y a des choses qu’il ne vaut mieux pas prononcer tout haut, au risque d’être vue comme un monstre. Gaëlle repensa à cette bande-dessinée que la fillette avait dévoré des yeux, un peu plus tôt dans la section Jeunesse, avec cette petite fille qui pensait être un monstre. Elle aussi, se sentait-elle coupable d’avoir honte de ses parents?  

Gaëlle remit le disque à sa place, sortit de la section Musique et se mit à errer. Elle passa à côté des sections Sciences et Sport, jetant un oeil à l’intérieur au cas où la fillette s’y trouverait. L’endroit était toujours aussi tristounet et vide. Elle lorgna de loin sur la section Bande dessinées, sans plus de succès. 

Elle était découragée. Si elle devait faire le point, elle devait reconnaître que le bilan n’était pas très positif jusqu’ici. La tentative de contacter son père avait été un échec complet. En plus elle avait appris qu’elle avait un aïeul despotique et une grand-mère qui se laissait marcher dessus. Elle n’en revenait pas. Pourquoi acceptait-elle d’être dominée de cette manière? N’avait-elle jamais pensé s’opposer à ce tyran? Ce n’était...

Des cris la sortirent de sa réflexion.

—Non, c’est à moi!, fit une voix enfantine.

—Non, à moi! fit une autre, à peine plus grave. 

Se pourrait-ce…? Gaëlle se retourna rapidement pour regarder, mais ce n’étaient que deux enfants se battant pour une bande dessinée. La fillette la tenait haut, tandis que le garçon, trop petit pour atteindre l’objet convoité, tentait de lui faire une prise de kung fu qui, si elle ne manquait pas de hargne, manquait cruellement d’expérience. La fille l’ayant esquivé s’enfuit avec sa prise de guerre, sans manquer de se retourner et de lui tirer la langue.

Elle les regarda courir puis retourna à ses pensées. Où en était-elle? Ah oui, sa grand-mère… Gaëlle descendit l’escalier tout en réfléchissant à ses grands-parents. Elle n’était pas encore arrivée au premier étage qu’elle fut surprise de voir un attroupement de personnes devant la section Bien-être, juste au pied de l’escalier. Ils essayaient de rentrer tant bien que mal dans la salle. Jetant un oeil à l’intérieur de la section, Gaëlle aperçut une estrade et une table à laquelle une femme aux longs cheveux roux bouclés était assise. Elle attendait patiemment tout en examinant des feuilles. À côté d’elle, un homme se tenait debout, faisant des prises de son avec son micro. Probablement une quelconque conférence comme le Paquebot avait l’art d’en organiser régulièrement. Derrière eux, la section paraissait en travaux. Une partie de la salle était condamnée par des bâches dévoilant en partie des échafaudages, des travées en bois et des pots de peinture qui laissaient pressentir d’importantes transformations à venir. Cela diminuait d’autant l’espace disponible pour les chaises. Les gens tenaient donc de trouver une rare place assise en évitant tant que possible de regarder autour d’eux. Il ne fallait pas risquer de voir des gens plus prioritaires qu’eux. 

Gaëlle contourna précautionneusement la foule. Elle n’avait aucune envie d’entendre parler de l’alignement des chakras ou de l’énergie cosmique des pierres. Sans même qu’elle s’en rende compte, ses pieds la menèrent vers la section Littérature anglaise. Plus elle approchait, plus son coeur se mit à s’agiter dans sa poitrine. Le charmant employé qui les avait conseillées serait-il encore là? Elle se sentit embarrassée de se retrouver à rougir comme une ado et à avoir la jugulaire qui palpite. Elle n’en ressentit pas moins un peu de regret lorsqu’elle s’aperçut qu’il n’y avait plus personne devant l’ordinateur du magasin. L’homme avait disparu. C’était mieux comme cela. Que lui aurait-elle répondu dans le cas où il lui aurait demandé si elle avait trouvé ce qu’elle cherchait? Elle aurait bafouillé une réponse incohérente tout en paraissant être la reine des idiotes. Gaëlle jeta néanmoins un regard à la ronde. On ne savait jamais.

Gaëlle avait un faible pour la section Littérature anglaise. Bien moins que pour la section Droit, bien entendu, mais elle appréciait sa moquette sombre et épaisse dans laquelle elle s’enfonçait à chaque pas, ses bibliothèques victoriennes couleur miel de framboisier avec ses rangées de livres aussi serrés que des Japonais dans le métro à l’heure de pointe. Ces beaux meubles et leur contenu étaient mis en valeur par un éclairage tamisé qui l’apaisait à chaque fois. De nombreuses bergères étaient savamment disposées dans la salle pour inviter à la lecture. 

Gaëlle laissa son regard traîner sur les ouvrages classiques, sans vraiment chercher quelque chose de particulier. Son attention fut happée par les oeuvres de Jane Austen. Elle saisit un livre et soupesa involontairement son poids. Il était lourd et tenait bien dans la main, une qualité qui n’était pas à écarter si promptement lorsqu’on passait des heures à lire. 

Elle s’installa dans un fauteuil et déposa le livre sur ses genoux. Elle ne l’ouvrit même pas. Maintenant qu’elle était assise, elle sentait ses dernières gouttes de motivation la quitter. Elle se sentait perdue et vide. Sa volonté lui pressait de s’activer et avait déjà préparé au moins trois plans d’actions mais elle n’avait plus envie. S’activer pour qui, pour quoi? Même la petite fille était partie. Toute cette journée n’était qu’un immense échec.

—Que lisez-vous? demanda une voix féminine un rien chevrotante.

Gaëlle se tourna vers l’origine du son, qui s’avéra être la voix d’une vieille dame qui était assise à côté d’elle. Elle aurait pourtant juré qu’il n’y avait personne à cette place quelques secondes plus tôt.

—Euh, ‘Orgueil et Préjugés’.

—Ah, Jane Austen. Pas mal.

Pas mal, se dit Gaëlle? Ces deux mots à eux seuls suffirent à la ranimer. Qui était-elle pour dire que la plus grande romancière du 19e siècle était ‘pas mal’? C’était une magicienne des phrases dotée d’un regard malicieux et intelligent sur ses contemporains, oui! 

Qu’elle ait aperçu l’air fulminant de Gaëlle ou pas, la dame ne fit pas l’erreur de continuer sur le sujet.

—Moi j’ai eu envie de relire Dickens, alors je suis venue ici. 

Gaëlle l’observa avec un peu méfiance. Elle avait critiqué Austen, après tout. La chevelure de la dame ressemblait à un nid de plumes blanches dotées de reflets bleus. Elle ondulait joliment, résultat d’heures de bigoudis et de casque, devina-t-elle. Son visage était éclairé par un sourire doux, coquin, souligné par deux yeux plissés qui eurent comme effet de détendre Gaëlle. Elle avait deux pommettes roses. Cette dame était toute faite de rides nés du bonheur, de l’optimisme et de la disparition du collagène. Elle portait un chemisier blanc bien ajusté et une jupe à carreaux descendant jusqu’au genoux tandis que son cou était tenu au chaud par un foulard rouge.

—J’ai toujours aimé Dickens, continua-t-elle. Mais ce livre-ci est un de mes préférés. ‘Les Grandes Espérances’. L’avez-vous lu? lui demanda-t-elle en la fixant.

Gaëlle hocha la tête. 

—Je vous le conseille. Vous voyez, Dickens a l’art d’écrire sur nos bassesses les plus profondes et nos actes de générosité les plus désintéressés. Dans ce livre, fit-elle en posant la paume de sa main sur la couverture, il décrit l’histoire de Pip, un orphelin élevé par sa soeur et son beau-frère qui reçoit, de manière totalement inattendue, un héritage. C’est cela qui va lui ouvrir de ‘grandes espérances’. La vieille dame moulina de la main. 

Il va pouvoir aller à la ville et faire des études comme juriste. Devenir un jeune bien comme il faut, vous comprenez? Plutôt qu’un forgeron, comme son beau-frère. Pip pense que la source de sa fortune est une vieille dame, miss Havisham. Soit dit en passant, Dickens n’a pas été de main morte pour la décrire. Son portrait effrayerait n’importe qui, vous verrez. Puis un jour, il apprend qu’elle n’est pas sa bienfaitrice. En réalité, sa manne provient d’un ancien prisonnier qu’il a aidé lors de son évasion, alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Cet ancien prisonnier se nomme Abel Magwitch. 

Gaëlle, qui écoutait d’une oreille distraite au début, se prit au jeu lorsqu’elle entendit la formation que suivait Pip. À vrai dire, elle n’avait pas grand chose à faire de mieux. Ou plutôt si, mais elle n’en avait aucune envie. Cette vieille dame lui donnait une bonne excuse pour procrastiner. 

—Abel Magwitch, répéta-t-elle à la suite de la vieille dame, comme si ce nom revêtait une certaine importance.

—Tout à fait. C’était un malfrat désireux de remercier ce jeune homme de l’avoir aidé. Lorsque Pip comprend qu’il est son bienfaiteur, son sang ne fait qu’un tour. Lui qui sortait de la fange (la dame accentua ce mot) de la pauvreté grâce à ce don, le voilà l’héritier d’un criminel notoire. Vous pouvez deviner ce que Pip ressent (Gaëlle l’interrogea d’un hochement de tête) : Honte et dégoût. Mais ce n’est pas la fin, fit-elle avec un petit sourire. C’est là qu’on voit le génie de Dickens. Sa capacité à manier des personnages imbus d’eux-mêmes et de les faire changer de perspective. Ou pas, d’ailleurs.

La dame souriait toujours. Elle appréciait sans nul doute d’avoir un auditoire. 

— Quelles étaient les possibilités pour Pip? continua-t-elle. Il aurait pu rester sur ce dégoût. Il aurait pu estimer qu’il était devenu un ‘gentleman’ qui ne pouvait se compromettre avec ce genre de personnes, mais ce n’est pas ce qui arriva.

Elle s’interrompit.

—Au fond, je vous raconte tout, mais peut-être préférez-vous découvrir la fin vous-même?

Gaëlle n’hésita qu’une seconde. Cette atmosphère la ramenait aux séances de lecture à la bibliothèque, lorsqu’elle était petite, et qui avaient eu l’étrange pouvoir de l’envoûter presque à chaque fois.

—Non, non, répondit-elle.

—D’accord. De toute façon, vous pourrez toujours découvrir sa plume et tous les détails. Ce n’est pas un roman court, comme vous le voyez, dit-elle en soulevant la brique. Donc, où en étais-je? Ah oui, Pip ne s’arrête donc pas là. Il va faire l’effort de comprendre comment cet homme est devenu un être traqué, quelles injustices lui ont été faites. Et il va, petit à petit, ressentir de la compassion pour lui. 

Gaëlle revit son grand-père. Au contraire de lui, se dit-elle avec aigreur. Elle doutait qu’il ait su un jour ce qu’était la compassion.

—Il va tenter de le sauver de la potence, et, n’y arrivant pas, il va rester à ses côtés jusqu’au bout. Abel Magwitch, le criminel, va devenir son ami. Pip aurait très bien pu rester sur sa colère et sa honte d’avoir reçu une éducation grâce à cet homme. Cela aurait été compréhensible. Et pourtant, il va accepter ses limites, ses défauts. Il va aimer Magwitch pour ce que ce dernier a été prêt à payer pour soutenir son protégé.  

La vieille dame entrelaça ses doigts sur le livre et lui sourit.

 —C’est vraiment une très belle histoire. Ce ne sont évidemment que des êtres de fiction, mais je pense que même eux ont des choses à nous apprendre. 

Elle s’appuya sur les bras du fauteuil et se déplia lentement, tel un vieux Mécano. 

—Voilà, dit-elle une fois debout. Merci d’avoir prêté attention aux paroles d’une vieille dame, dit-elle en faisant un clin d’oeil. Il est temps que je m’en aille. Le thé n’attend pas. Ah, j’allais oublier.

La vieille dame tendit le livre à Gaëlle puis s’en alla après avoir tapoté son épaule. Gaëlle se retourna rapidement.

—Vous ne vouliez pas le ramener chez vous?

La vieille dame s’arrêta quelques pas plus loin et se retourna. 

—Oui. Mais en vous le racontant, j’ai vu combien il était encore chaud dans ma mémoire. Je préfère rester avec mes souvenirs, conclua-t-elle d’un sourire avant de s’en aller pour de bon. 

Gaëlle regarda le livre à la couverture en simili cuir parcouru de dorures, puis le posa sur celui de Jane Austen sans l’ouvrir.

Les mots de la vieille dame résonnaient dans sa tête. Pip avait fait preuve de compassion à l’égard de Magwitch. Si seulement son grand-père en avait fait de même vis-à-vis de son fils. Elle se prit à réfléchir : qu’est-ce que cela aurait changé s’il avait doux, tendre, juste plutôt qu’intransigeant et punitif? Son propre père aurait-il été différent? Plus satisfait? Plus heureux? 

Elle s’imagina ce que cela aurait eu comme conséquence sur elle, si son père avait ressemblé à son grand-père. S’il avait été aussi implacable avec elle que ne l’avait été son père avec lui, elle en aurait vraisemblablement gardé des traces. Elle n’aurait pas pu faire toutes les bêtises qu’elle avait faites. Et certainement pas lire la nuit. Elle aurait vécu sous la crainte de faire un pas de travers, de devoir suivre un chemin tout tracé par les désirs de son père. Elle repensa à son grand-père qui avait refusé que son fils étudie l’art. Ce dernier l’avait pourtant fait, après obtenu son diplôme d’études secondaires. Il lui avait tenu tête et pris sa liberté. Ce qui, dans ses circonstances, était remarquable. Gaëlle considéra cela. Puis elle se rappela la suite: le fait que son père n’avait pas pu continuer sur cette route, puisque son frère et elle étaient nés. 

Ce fut comme si une pièce centrale du puzzle avait finalement trouvé sa place dans son cerveau.

Gaëlle se rendit compte qu’elle avait eu différentes réactions face à l’alcoolisme de son père. Elle avait été triste pour lui de le voir si affligé. Elle avait eu honte, aussi, comme ce jour où il avait débarqué à la maison après le divorce, ivre et ne sachant pas aligner deux mots. Elle l’avait plaint, parfois. Mais elle n’avait jamais vraiment réfléchi à la raison pour laquelle il buvait. À ses yeux, c’était simple: il était insatisfait de sa vie, d’avoir dû arrêter de peindre. Et cette raison n’était pas suffisante, selon elle. C’était celle d’un gamin qui braille alors qu’il y a un amoncèlement de jouets  à ses côtés. Mais elle se rendait maintenant compte pour la première fois qu’il avait dû lâcher la liberté qu’il avait durement acquise face à ses parents. Que pour Laurent et elle, il lui avait fallu faire marche arrière et suivre la voie que son père avait toujours voulu pour lui: un bon contrat qui l’avait enchaîné à un bureau et un ordinateur à plein temps. Et que cela avait dû lui coûter terriblement. Son grand-père avait dû se rengorger du fond de son cercueil. 

Gaëlle eut l’impression d’avoir à la fois perdu un poids et gagné en culpabilité. Le poids de son ressentiment vis-à-vis de son père s’était allégé, tandis que le fait de ne pas avoir perçu plus tôt sa souffrance lui pesait sur sa conscience. Comme elle avait pu être bête! Et en même temps, comment aurait-elle pu deviner avant d’avoir vu son grand-père? C’était ce voyage-là qui lui avait permis de découvrir l’enfance de son père.

Elle regretta de n’avoir pas pu discuter de tout cela avec lui. Mais à onze ans, comment aurait-elle pu avoir conscience de tout cela? Si seulement elle avait l’occasion de lui parler, de l’écouter. D’entendre toute son histoire, de sa bouche. Mais c’était impossible. Il était mort. Si seulement elle avait pu avoir un dernier voyage à ses côtés. Si seulement elle avait trouvé le moyen…

Gaëlle se figea. 

Une pensée était apparue dans sa tête. Limpide. Folle mais limpide. Tout d’un coup, elle sut ce qu’elle devait faire. Au point où elle en était, de toute façon, elle n’allait pas commencer à faire la fine bouche. Ce n’était pas comme si elle avait traversé le temps et l’espace plusieurs fois depuis le début de la journée. Après les livres et la musique comme clés de passage, pourquoi pas ça? Cela n’était peut-être pas aussi invraisemblable que cela en avait l’air.

Gaëlle se leva prestement du fauteuil, laissant les deux ouvrages derrière elle tout en demandant pardon intérieurement aux employés de n’avoir pas pris le temps de les ranger. Elle n’avait pas une minute à perdre. Elle se dirigea d’un air déterminé vers la section Sport et ne s’arrêta pas avant d’avoir atteint la voiture. La corvette rouge était toujours là, dans l’obscurité, rutilante et solitaire. Elle l’embrassa du regard. Comment aurait-elle pu deviner cela plus tôt? Et pourtant, en ce moment, aussi étonnant que cela paraisse, cela faisait sens. Gaëlle jeta un coup d’oeil pour examiner les alentours, mais la section était toujours aussi déserte. Profitant de ce calme, elle ouvrit la portière. Elle ne put s’empêcher d’être étonnée lorsque la portière s’ouvrit à la première tentative. Elle était pourtant certaine qu’elle était fermée lorsque la fillette avait essayé. Mais elle n’était plus à un mystère près. 

Gaëlle lorgna une dernière fois sur la salle avant de s’asseoir devant le volant et de fermer la portière. Son coeur allait exploser, mais elle savait qu’aucune tentative de le calmer ne changerait cela. Elle eut une pensée pour la fillette. Elle aurait voulu l’avoir à ses côtés. Mais là où elle allait, il valait mieux que la fillette n’y soit pas. 

Elle ferma les yeux et attendit. 

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