Quand l'inspiration ne venait pas, l'écrivain était triste. Il se recroquevillait, s'enfermant dans une carapace où plus rien ne pouvait l'atteindre. Il était frustré face à cette impuissance qui le condamnait à l'immobilité, dans cet instant où il aurait voulu voir les mots défiler, danser sous ses doigts. Il ne pouvait pourtant rien y faire. La lutte était trop inégale.
La plume était un instrument capricieux qui ne donnait sa bénédiction qu'à de rares élus. Ceux-là mêmes n'avaient aucune garantie de parvenir à un résultat satisfaisant chaque jour. La satisfaction d'hier pouvait aisément se transformer en la déception du lendemain. Il fallait alors se remettre à l'ouvrage, polir les mots comme s'ils s'agissaient de pierres précieuses. On ne pouvait pourtant les limiter à cette simple beauté physique. Ils étaient bien plus que cela. Ils étaient les gardiens de la sagesse du monde. Assimilés par les livres, ils accorderaient l'immortalité à qui saurait boire le breuvage qu'ils composaient.
Laissez-moi vous raconter une histoire. Celle d'un artisan du verbe, inconnu de ses pairs. Il voulait toujours aller plus loin, repousser ses limites. Ce qu'il adorait et haïssait dans son travail était la perpétuelle remise en cause qu'il imposait. L'écriture était un milieu instable, soumis aux passions, prisonniers des sentiments. Cette instabilité chronique pouvait en faire abandonner plus d'un, aucun des hommes de ce mystérieux cercle n'étant à l'abri. Il subsistait cependant quelque chose qui leur permettait de persévérer. À travers les méandres de l'imagination, le coeur de celui qui avait une fois été lecteur se laissait entraîner par le tourbillon fictif des mots recréant le monde. Lorsque la plume agitait son poignet, il pouvait sentir son esprit s'envoler vers d'autres réalités, errant au hasard dans des paradis imaginaires. La plume disparaissait alors de sous ses doigts pour former des ailes. Ses deux nouveaux membres se mettaient ainsi à battre pour l'entraîner toujours plus haut dans les sphères de l'imagination. Lorsque son humeur était sombre, on ne le distinguait plus, caché par des nuages déversant leur haine sur l'enfer terrestre. À l'inverse, on pouvait l'admirer caresser la vapeur d'eau à des milliers de kilomètres d'altitude lorsque le ciel était bleu. Tel était le quotidien de celui qui marquait le papier à l'encre noir.
En ce lundi de fin d'hiver, la solitude de notre protagoniste était à son comble. Le froid dévorait sa peau. Son esprit était à l'agonie. Proche de l'implosion, il subissait le lâche abandon de son âme soeur l'inspiration. Dans un ultime soupir, il quitta l'imagination, incapable de s'élever davantage.
Il se leva. Il lui fallait partir respirer l'air pur et frais de la réalité. Un regard par la fenêtre lui apprit que toute excursion dehors était compromise. La tempête faisait rage. Les éclairs tonitruaient et la pluie frappait le sol de toute la force de sa chute. La réalité reprenait ses droits sur les sens de l'écrivain qui sentait retentir en lui toute la poésie de sa colère. Aucune personne sensée ne se serait aventurée à l'extérieur par ce temps, mais il envoya au diable la normalité. Ne reniant pas son extravagance, il se saisit de son parapluie, glissa son crayon et son bloc-notes sous sa veste et déverrouilla la porte.
Les gouttes ruisselaient déjà sur son parapluie quand il arriva devant le portail du manoir. Il faisait sombre, la nuit était déjà tombée depuis plus d'une heure. Il sortit une carte magnétique de sa poche, qu'il passa devant des capteurs. Une poignée de secondes fut suffisante pour que la magie opère et les grilles s'ouvrirent dans un grincement. Il s'enfonça alors dans la noirceur nocturne.
Sa balade fut longue. Il ne revint que tard, à une heure que l'on pourrait certainement qualifier d'indécente. Les lueurs de l'aube chassaient l'obscurité, la brûlant de sa lumière purificatrice. Lorsque l'écrivain arriva devant les murs de son foyer, quelque chose d'étrange survint.
Une plume blanche se posa dans le creux de sa main. Elle était d'une beauté inimaginable. Je n'oserais pas vous la décrire. Il est des choses sur terre que l'on ne saurait nommer ou expliquer par des mots. Tout conteur doit savoir faire des choix, aussi déchirant qu'ils puissent sembler. Je ne puis affirmer qu'une chose : la plume de l'oiseau était parfaite, imprégnée du bonheur qu'il avait connu de son vivant. Une larme coula sur la joue de l'homme. La réalité était parfois si cruelle, si injuste. Il ne pouvait cependant rien y faire.
Il ferma alors son parapluie, prit son crayon et griffonna quelques phrases dans son calepin. Sa migraine passée, l'inspiration de retour, il était temps de se remettre au travail. Il sauverait l'oiseau, même s'il devait y passer des centaines de pages.
Je trouve que tu décris bien ce qui est dans la tête d'un écrivain, les couleurs, les choses qui sortent du réel, les transformations (j'aime particulièrement le passage des mains aux ailes). On part d'un décor lugubre, puis d'un rêve coloré, avant qu'il ne s'estompe sans s'effacer entièrement. Belle évolution.
C'est curieux qu'il choisisse d'écrire un livre sur quelque chose qu'il aurait voulu sauver.
Enfin, je trouve que cette petite nouvelle nous montre la réalité, vue d'abord de l'extérieur, puis de l'intérieur, et je trouve ce point de vue très intéressant.
Merci beaucoup pour ce commentaire. Tes mots m'ont fait très plaisir.
En ce qui concerne l'idée d'écrire un livre sur quelque chose que l'on veut sauver, ça ne me semble pas si étrange : l'écriture, tout comme les autres formes d'art, te permet d'immortaliser les choses, n'est-ce pas ? C'est un peu la magie de l'imagination, disons...
J'espère que les autres textes de ce recueil te plairont. N'hésite pas à me refaire part de ton avis, en tout cas. Excellente journée,
Phil.