Poivre et piments

Pour le vulgaire, humer les effluves de cannelle, muscade, girofle ou cumin tient de l’enchantement. On sourit, on s’émerveille, on croit voyager. Mais qu’un grain de poivre vienne titiller une narine innocente et l’éternuement, ce traître imprévisible, peut déclencher des catastrophes d’envergure. Certains y perdent leur dignité ; d'autres, un village entier.

Le petit ange avait découvert un nouveau monde, des étals aux couleurs inimaginables, où les fruits luisaient, véritables pierres précieuses et où les épices dessinaient dans l’air des arabesques enivrantes.

Elle avait perdu la trace de son protecteur lorsqu’il s’était élancé, tout joyeux, vers un étal de nougats, guidé par le parfum entêtant du sucre fondu. Elle l’avait vu bondir, sa tunique flottant derrière lui, les bras tendus comme s’il s’élançait vers la victoire… puis il avait disparu, avalé par la foule ou par sa propre gloutonnerie.

Pas tracassée pour un sou, la gaminette avait un monde à découvrir.

Elle se faufilait entre les jupons, ce monde de géants pour un être qui germait encore. Elle bondissait en entrechats, virevoltait entre les bras pleins de paniers et les vêtements froissés, esquivait les pieds des passants pressés, flottait dans un tourbillon de voix et de rires. Chaque mouvement la menait dans une danse effervescente, la faisant découvrir des senteurs et des odeurs qui s'entrelaçaient, jamais vues, jamais ressenties.

Dans cette folle chorégraphie, un cabot, flairant la part animale en Miranda, grogna sur son passage. Mais elle n’y prêta pas attention, trop captivée par la danse des couleurs, des sons et des odeurs qui l’entouraient, chaque instant offrait un nouveau miracle à découvrir.

À trois ruelles de là, Cléandre revivait à sa manière mais ignorait que Miranda, ici, découvrait la vie, dans un tourbillon de couleurs et de sensations, absorbée par chaque petit miracle qui s'offrait à son regard.

Comment reprocher à la curieuse, l'aventureuse, d'approcher d'abord sa petite frimousse de l'étal aux épices, puis la main, et enfin le nez, absorbée par les promesses des effluves qui flottaient autour d'elle ?

L’étal aux épices était un tableau vivant, un délice pour les yeux et les narines. Des paniers débordaient de safran éclatant, de cumin doré et de curcuma en poudre aux teintes jaunes et orangées qui dansaient sous la lumière. Des sachets de cannelle en bâtonnet se mêlaient aux têtes de girofle, tandis que des tas de poivre noir, grossier et brillant, dégageaient une chaleur piquante. L’air était chargé de mille parfums, doux et envoûtants, se mêlant au doux murmure du marché.

C’était dans cet océan olfactif, où chaque épice murmurait une promesse de voyage, que le petit éternuement de Miranda s’amorça. Un souffle léger et innocent mais suffisant pour déclencher un tourbillon incontrôlable.

Du moins, tel aurait été le scénario si une main lucide et prompte n’avait pas jailli. Cléandre surgit, haletant, les cheveux en bataille et l’œil affolé, tel un héros en retard pour sa propre fin du monde. Il s’écroula à genoux devant Miranda et lui plaqua la main sur le visage avec la précision d’un homme stoppant la mèche d’un tonneau de poudre juste avant l’explosion. L’éternuement fut étranglé dans l’œuf. Le monde avait frôlé l’effondrement général, à un poil de narine près. Entre deux souffles sifflants, le sauveur ignoré du marché expira :

— Si un grain de poivre peut me mettre dans cet état, je vais éviter les piments.

 

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Cléooo
Posté le 18/08/2025
Le titre de chapitre annonce efficacement ce qui va suivre.

Très sympa encore, ce chapitre. Je suis étonnée de la facilité et de la rapidité avec laquelle Cléandre retrouve sa protégée dans la foule mais ça se fond très bien dans l'esprit du récit.
Sinon, j'ai beaucoup aimé les descriptions ici, c'était vivide et encore une fois agréable de se promener, cette fois avec Miranda, de découvrir le marché par ses yeux.

Une petite remarque :
"Pas tracassée pour un sou, la gaminette avait un monde à découvrir." -> j'ai l'impression qu'il manque une étape entre les deux parties de cette phrase.

Voilà pour aujourd'hui. Je reviens très bientôt voir la suite ! :)
ClementNobrad
Posté le 19/08/2025
Welcome back Cléooo !

C'est un plaisir de te retrouver ici, en plein milieu de ce marché riche en couleurs. Ta disparition m'a quelque peu inquiété, j'avais craint un instant que la tempête du chapitre précédent t'ait emporté avec la pauvre vache ! Ravi que tu sois de retour pour les aventures de Cléandre qui ne s'est malheureusement pas assagi en ton absence. Promis, il y travaille !
Pour ta remarque sur la facilité qu'a Cléandre de retrouver Miranda, tu as parfaitement raison. Je dois avouer que j'ai fait usage d'une facilité scénaristique... Pas vraiment d'explication à donner ! L'auteur est un peu filou, miroir de son héros coquin !

A très vite j'espère !
Cléooo
Posté le 20/08/2025
Oh j'ai eu quelques mois chargés, des errances littéraires et prise de vertiges du haut de ma pàl, j'ai peut-être oubliée de bien la regarder ! Mais je suis de retour à présent ! ^^
Isapass
Posté le 02/07/2025
Excellent !
Superbes descriptions du marché, elles sont toutes super évocatrices, vivantes, colorées, et même bruyantes ! Franchement j'ai eu l'impression d'y être, de me faufiler entre les jupons à la place de Miranda ! Et je la comprends : un etal d'épices doit être un vrai cadeau !
Quant à Cléandre et son nougat, ahah, quel inconséquent ! À sa décharge, c'est si facile de perdre un enfant dans une foule... Mais bon, le nougat lui fait apparemment perdre la tête !
J'ai vraiment cru que Miranda avait eternué et que ça allait être une vraie boucherie (il y a une scène de massacre au milieu d'un marché dans Le Sorceleur, je m'attendais à un truc comme ça), mais cette fois encore, tu as préféré la légèreté ! Ouf !
Je t'avoue qu'il me manque peut-être un fil rouge, ou plutôt un enjeu un peu plus fort pour être complètement happée et tourner les pages sans m'arrêter. J'ai plutôt la sensation que Cléandre tente de résoudre le mystère "Miranda" quand il y pense, mais ce n'est pas vraiment un enjeu. Ceci dit, c'est peut-être exactement ce que tu avais en tête : toutes les histoires n'ont pas à être des page turner. Or, je prends vraiment beaucoup de plaisir à déguster tes petits chapitres presque indépendamment les uns des autres, comme des tableaux successifs. Je sais que je vais être immergée dans tes décors, que je vais rire, que je vais probablement être surprise, que je vais me régaler de ta plume... Je n'ai pas forcément besoin de plus pour passer un très bon moment de lecture. Je fais cette remarque parce qu'elle m'a traversé l'esprit et que ça peut être intéressant de connaître ce genre de ressenti.
A très vite !
ClementNobrad
Posté le 02/07/2025
Coucou Isa

Me voilà content de t'avoir plongée, mirettes et narines dans les étals aux épices. J'ai voulu présenter la découverte du marché du point de vue de Miranda, monde en rase-mottes, entouré des jambes fuyantes, des marchands criards et des odeurs envoûtantes. Un espèce de raz de marée olfactif et de feux d'artifice épicé.
Pour Miranda qui éternue, c'est l'effet recherché mais je ne vais pas pouvoir indéfiniment jouer la carte de la légèreté et de l'Ex deus machina, même superbement interprété par un Cleandre dégoulinant, le nougat encore dans le creux de la joue et le sucre qui colle aux dents.
Alors pour ce qui est du but de Cléandre — et de l'histoire qui porte son nom quand même, la classe ! — je tiens à te prévenir, il y en a pas un de précis. Si tu t'attends à ce qu'il pointe le bout de son nez, tu risquerais d'être déçue. C'est effectivement une suite de tableaux de trois quatre chapitres à chaque fois où il va arriver quelques bricoles à notre duo ensaucisonné. Alors oui, l'état de Miranda et les tentatives plus ou moins louches pour la libérer du mal qui la ronge sera le fil rouge de cette aventure, et sa résolution — s'il y en a une — marquera la fin des aventures cléandriennes. En espérant que la dégustation de ces tableaux apéritifs satisfasse tes papilles littéraires. Je te promets du loufoque, quelques rires (en tout cas l'auteur de ces farces a bien ri lui), et quand même des moments d'humanité et de tendresse !

A très vite, et encore merci pour tes retours toujours précieux — au moins autant qu'un saucisson.
Syanelys
Posté le 28/05/2025
Oh ! C'était promis, c'est enfin réalisé ! La danse de Miranda dans un monde qui se veut des plus épicés ! Oh oui, ça se corse un peu, c'est validé !

Cléandre, tu viens de sauver tout un village ! Je te remercie d'avoir épargné ce beau monde car tu as évolué dans un marché ausi splendide que celui d'Esteval ! Oui, c'est un compliment caché pour quelqu'un qui a réussi à nous faire sentir toutes ces odeurs qui titillent la narine et qui...

Ah oui pardon, on n'éternue plus ici bas. Allez, l'introduction est finie : partez vivre votre première vraie aventure !
ClementNobrad
Posté le 28/05/2025
Les aventures ne sont pas celles que t'imagines avec une grande quête où il faut sauver le monde. On va dire que ce sont des épisodes successifs, des aventures dans l'aventure mais qui auront leur charme et leur lot de rigolade, je l'espère en tout cas. Il y aura bien ce fil conducteur du monstre en Miranda mais pas le sujet principal dans tous les chapitres. Ça viendra, petit à petit. C'est bien la première fois, et la dernière ?, que Cleandre fait une bonne action, enfin sa première bille blanche ? Ça irait bien dans sa bourse lourde de billes noires.
Miranda découvre les joies d'un monde qui s'était jusqu'alors refusé à elle. On ne peut pas lui en vouloir de mettre ses doigts dans les sucreries et le nez dans les douceurs épicées des étals de ce marché qui n'arrive pas à ma cheville de celui d'Esteval. A moins que ce soit le même ? Ayako ! Viens nous sauver !
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