POOL PARTY

Vendredi 18 juillet, 17h25. Le Diable entre, vêtu d’une salopette et d’un chapeau de paille, caché derrière un gros bouquet.

LE DIABLE

Hé, mais pourquoi il y a encore un bouquet de fleurs dans votre vase ? Chaque semaine un nouveau. Un de vos érotomanes de patients vous a offert un abonnement Fleurop c’est ça ? C’est bien joli, mais qu’est-ce que je fais de mon bouquet moi maintenant ? (Il le pose à côté de lui sur le divan.)

 Je l’ai cueilli pour vous pendant que j’étais dans mes préparatifs pour la pool party de la petite Minette. Vous savez, celle qui a défoncé ma Ferrari avec sa petite Mini  ? 

Regardez, j’ai caché l’invitation dans le bouquet. C’est que chez moi, en Enfer, j’ai deux piscines géantes, avec toboggans, saunas… alors elle m’a demandé si elle pouvait organiser sa pool party chez moi. Apparemment, c’est le dernier cri chez les ados. Et moi qui pensais que c’était un truc d’Anglais et de vieillards ! De nos jours on allait à des barbecues et à des soirées dansantes.  Maintenant, il faut une pool party. C’est d’un ridicule, vous allez voir. (Il extirpe un petit carton du bouquet qu’il commence à lire d’une voix de fausset :)  

« Tous en pool position ! » Elle se croit drôle avec ses jeux de mots. « Vous êtes invités vendredi à… » blabla, aujourd’hui donc, « …au cercle - 2 de l’Enfer » ; elle ne peut pas dire niveau comme tout le monde ? Apparemment, c’est la mode chez les ados d’utiliser des mots tombés en désuétude… « N’oubliez pas vos maillots, vos serviettes et votre bonne humeur ! » Moi je n’aurais pas précisé pour les maillots et je suis toujours de bonne humeur, mais elle ne m’a pas demandé mon avis, vous savez. « Je vous attends au bord de l’eau ! » HOHO.

Sauf qu’il y a un petit problème. Figurez-vous qu’elle ne m’a pas invité. Exclu. De ma propre piscine. Il paraît que je  suis trop infernal, autrement dit que je suis embarrassant ! Alors même que je lui ai promis de me faire aussi petit qu’une souris. Elle m’a dit que c’était justement ça qu’elle voulait éviter. Franchement, les ados ne respectent plus personne de nos jours. Je ne vais pas me laisser faire, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité et de responsabilité éducatives. Si je ne suis pas là pour faire attention et tout contrôler, une catastrophe ne manquera pas d’arriver. Ce serait quand même bête qu’elle se noie.

En plus, elle va sûrement inviter un tas d’amies plutôt pas mal roulées, non pas que ça m’intéresse ‒ je ne suis pas un vieux satyre ‒ mais il n’y a pas de mal à… euh, surveiller les enfants qui nagent. Au contraire. Heureusement que j’ai plus d’un tour dans mon sac. Ce n’est pas aux vieux singes qu’on apprend à faire la grimace. J’ai donc déployé mon arsenal de ruses et… me voilà déguisé… en jardinier, à la différence que je suis beaucoup plus malin qu’un rustre – les ados diraient « rustique » - de jardinier, preuve en est mon plan composé d’habiles étapes.

La première chose à faire, c’est de dégager la scène donnant sur la piscine. Je coupe la haie à la tronçonneuse électrique. Scriiiiiiiiiiiitch scratch. Elles mettent la musique plus fort, je passe à la vitesse supérieure. Jouissif. AHAH si leurs yeux étaient des mitraillettes, elles me fusilleraient sur place.

Je n’en abuse donc pas et quand j’ai terminé (Il chantonne :) je prends mon sécateur, je montre sur mon tracteur, je fais ronfler l’moteur ! C’est parti ! Du haut de mon engin, j’ai vue parfaite sur leurs corps bronzant à demi-nus et leurs têtes courroucées. Moi et mon tracteur. HUHU. ET là, ça ne rate jamais, une minette en bikini se lève et vient me demander en battant des cils si je peux aller tondre ailleurs. Je lui réponds : « Je veux bien, ma bonne dame, mais que faire ? À six heures du mat’ vous vous plaignez que je vous réveille. Tondre la pelouse quand il pleut ? Ou quand il fait nuit pour vous empêcher de dormir ? Après tout, vous êtes bien contente d’avoir un beau gazon bien tondu. » Quoi que je fasse, ça ne va pas. Doomed if you do, doomed if you don’t. Et je prends mon petit air contrit. 

Alors, elle m’apporte une limonade glacée et je consens à faire autre chose. Par exemple enduire les tables de lasure ou brûler un tas de feuilles. Il y a plein de choses qui doivent être faites lorsqu’il fait beau, en plus de prendre des bains de soleil, vous pouvez le croire. Puis elles se plaignent que ça pue et que les cendres tombent dans la piscine. Je travaille en plein cagnard pour elles et après elles râlent. Quelle ingratitude !

Puis je propose de me rendre utile en repêchant les bouts de feuilles brûlées et les insectes de l’eau avec mon épuisette. Après je vérifie les skimmers et avec un peu de chance, j’en sors un crapaud encore vivant ou un cadavre de bébé taupe. Je ne vous dis pas les hurlements !!! Un jour de grande gloire, c’était un serpent. J’ai été le héros de la journée même si ce n’était pas un serpent venimeux, mais cela inutile de leur dire. J’en sais quelque chose, car c’est moi qui l’y avais mis. HUHU.

Je trouve que je fais un très bon domestique. Dites-moi, Elizabeth, avez-vous des domestiques ? Quelque chose comme une bonne, un chauffeur ou un cuisinier ? Non ? Même pas un personal trainer ? C’est la grande mode, je pourrais vous en offrir un si vous… Non ? Pourtant ça ne vous ferait pas de mal de vous bouger un peu les fesses. Ce n’est pas bon pour la santé de rester collée à son fauteuil toute la journée.

En même temps, les domestiques c’est pas fantastique. C’est même super énervant. Donnez-leur le petit doigt et ils vous mangent le bras et même tous les cheveux de la tête. En plus, ils sont tout le temps malades. Pire que les enfants, les rats et les pigeons réunis. Comme s’il n’y avait pas assez de nuisances sur cette terre. C’est qu’on les paye pour avoir du travail en moins, pas en plus n’est-ce… (DING DONG) À propos de nuisance, il tombe à pic celui-là ! Bon j’y vais. Je ne suis pas invité à la pool party. Vous pouvez donc garder le bouquet !

Elizabeth va chercher un autre vase pour arranger le bouquet.