Premières photos

Par deb3083

Au palais, l’effervescence était à son comble : le Roi avait organisé une grande réception pour fêter l’anniversaire de l’un de ses meilleurs amis et pour saluer le retour de son fils aîné au pays.  Y étaient invités tous les héritiers des familles royales européennes ainsi que plusieurs membres des Maisons de Habsbourg-Lorraine et de Savoie. Les hôtes de marque étaient des cousins éloignés de la reine Margrethe II du Danemark et surtout des amis très proches du Roi Maximilian.

Huit chambres leur avaient été attribuées et ils devaient rester à San Gavino durant cinq jours.

Tous les employés du palais savaient que cette réception était surtout une occasion pour le prince Joachim de rencontrer des jeunes femmes célibataires et qui sait, de peut-être choisir sa future épouse parmi elles.

La question du mariage princier revenait souvent dans les discussions du gouvernement de San Gavino car le fils aîné du Roi tardait à annoncer ses fiançailles.

Les lois particulièrement rigides du royaume interdisaient aux deux filles de Maximilian de monter sur le trône et pour que le jeune Emmanuel puisse éventuellement succéder à son frère si ce dernier n’était pas en mesure d’assurer sa descendance, il fallait mettre en œuvre une procédure administrative extrêmement complexe.

Pour éviter cela, le premier ministre n’avait de cesse de rappeler au souverain que son fils aîné approchait des trente ans et qu’il était toujours célibataire.

Tout le monde savait que le prince Joachim avait eu plusieurs liaisons, confirmées ou non, et il se murmurait qu’il avait trop le goût de la fête pour s’engager sérieusement.

Mais la pression politique était telle que le Roi Maximilian avait décidé d’accélérer un peu les choses. Il n’avait pas été très satisfait de la conduite de son fils aux Etats-Unis et il le surchargeait à présent de travail afin qu’il prenne enfin conscience des responsabilités qui seraient les siennes lorsqu’il dirigerait le royaume.

Amalia reçut pour consigne de la part de Michele Sapiento de rester dans sa chambre ou, dans l’aile réservée au personnel.

La jeune femme ne chercha même pas à protester car elle n’avait absolument pas envie de se mêler à des personnes qui ne faisaient pas partie du même monde qu’elle.

Cependant, elle ne put s’empêcher, de l’une des fenêtres du premier étage, d’assister à l’arrivée de tous les invités. Mais très vite, Amalia regretta son idée stupide : le balai incessant des berlines de luxe lui donna envie de vomir tout comme les tenues magnifiques que portaient les princesses, duchesses, comtesses et autres membres féminins du gotha européen.

Elle se recula lentement puis elle fit demi-tour pour regagner sa chambre. C’est alors qu’elle entendit une voix très énervée qui provenait des jardins du palais.

Amalia s’approcha discrètement de l’une des fenêtres de l’autre côté du couloir et elle aperçut le prince Joachim qui faisait les cent pas dans une allée, son smartphone collé à l’oreille. 

La jeune femme courut chercher son appareil photo en croisant les doigts pour que l’héritier de San Gavino demeure au même endroit.

 

Amalia devait prendre une photo du prince Joachim lorsqu’il se trouvait dans les jardins du palais. L’échéance se rapprochait petit à petit et la jeune femme n’avait pas encore réussi à trouver l’occasion parfaite.

Estelle Neffrey voulait un cliché de l’héritier de San Gavino seul dans le parc du palais ou parlant au téléphone et il fallait donner l’impression que la photo avait été prise de l’extérieur du palais ce qui limitait les possibilités pour Amalia.

Heureusement pour la jeune femme, les particularités architecturales du palais de San Gavino se trouvaient pratiquement toutes aux extrémités, au plus près des murs d’enceinte.

La jeune femme avait remarqué de l’autre côté plusieurs arbres assez haut où auraient naturellement pu prendre place l’un ou l’autre paparazzi.

Ce qu’elle ignorait c’est que les membres de cette profession si décriée avaient cessé de vouloir à tout prix prendre des photos volées de la famille royale à l’intérieur du château. En effet, avant  le départ du prince héritier pour les Etats Unis, deux photographes  travaillant pour Chi, une revue people italienne, avaient été sévèrement condamnés après avoir pris en photo la princesse Victoria et son grand frère déambulant dans le parc de leur résidence.

Outre une peine de prison ferme et une amende conséquente, les familles des deux hommes avaient reçu des menaces de la part de plusieurs membres de l’équipe de sécurité du palais de San Gavino et depuis, plus personne ne s’était risqué à photographier les Bourbon-Conti sur leur île.

En contrepartie, chaque déplacement d’un membre de la famille royale à l’étranger était couvert à outrance, chaque participation du Roi, de la Reine ou de leurs enfants à un gala ou à un évènement mondain faisait l’objet de multiples publications.

Afin de mener à bien son projet, Estelle Neffrey avait également omis de préciser qu’un de ses meilleurs photographes avait reçu pour consigne de suivre plusieurs jeunes femmes du gotha européen et que les clichés seraient ensuite fusionnés avec ceux d’Amalia.

 

La jeune femme régla son zoom puis elle prit cinq clichés. Ensuite, elle observa plus attentivement le prince. Il avait toujours cette manie de se tenir bien droit, ce qui donnait l’impression aux personnes qui lui parlaient de se sentir inférieurs.

Amalia constata qu’il avait arboré un regard sévère et elle se demanda s’il était capable de sourire. Pas une seule fois elle n’avait vu son visage se dérider, même lorsqu’il conversait avec Eugénie dans la bibliothèque.

Rien que cette attitude suffisait à la jeune femme pour se tenir bien éloignée de lui. Cependant, en le détaillant attentivement pour la première fois depuis son arrivée au palais, Amalia le trouva terriblement sexy et distingué dans son costume bleu foncé qu’il portait véritablement à la perfection.

Il était d’une beauté glaciale malgré ses traits durcis et son visage sévère. Ses jambes semblaient interminables, ses cheveux étaient à nouveau faussement décoiffés et la jeune femme pouvait deviner qu’il était doté d’une musculature impressionnante.

 

Perdue dans sa contemplation, Amalia mit un temps à comprendre que, que pour la première fois depuis qu’elle était à San Gavino, elle voyait le prince Joachim sourire. La jeune femme en comprit très vite la raison lorsqu’elle vit débouler dans l’allée la princesse Victoria.

D’après Ionela, le frère et la sœur étaient très proches et selon elle, la plus jeune des enfants du Roi était la seule à pouvoir dérider l’héritier.

Sans trop savoir pourquoi, Amalia reprit son appareil photo et elle prit quelques clichés des deux membres de la famille royale.

Puis, elle se recula vivement lorsqu’une autre voix retentit derrière le prince Joachim : le Roi Maximilian se trouvait derrière son fils et il semblait en colère.

Amalia entendit alors le souverain reprochait à l’héritier de fuir la réception :

  • Joachim, lorsque je ne serai plus apte à régner c’est toi qui prendras ma place. Tu as vingt-huit ans et la constitution exige que tu te maries pour assurer la descendance de notre pays ! Il serait temps que tu arrêtes de fuir tes responsabilités.

Aussi, tu vas rentrer sagement et tu vas aller discuter avec toutes les jeunes femmes qui n’attendent que toi dans la salle de réception.

 

Le roi repartit aussi vite qu’il n’est apparu, laissant ses deux enfants consternés par sa tirade.

Victoria posa alors sa main sur le bras de son frère mais il la retira vivement, comme si elle l’avait brûlé.

Le sourire avait disparu du visage de Joachim et, en poussant un profond soupir, il quitta les jardins pour aller rejoindre les invités de son père.

 

Tandis qu’elle se changeait dans sa chambre avant de se coucher, Amalia songea alors au prince en se disant qu’elle n’aimerait pas être à sa place. A quoi bon être aussi riche si c’était pour n’avoir aucune liberté ?

La jeune femme se glissa ensuite sous la couette mais le sommeil ne vint pas.

Agacée, après s’être retournée au moins une vingtaine de fois dans son lit, Amalia se leva et elle se dirigea vers la fenêtre de sa chambre qui donnait sur le parc du château.

Des éclats de rire se faisaient entendre presque en dessous d’elle et intriguée, elle ouvrit discrètement la fenêtre.

Des dizaines de lanternes avaient été suspendues un peu partout dans les allées et il faisait pratiquement aussi clair qu’en plein jour. Amalia reconnut très vie le prince Joachim qui était assis sur un banc de pierre avec une ravissante blonde

  • Je n’arrive toujours pas à croire que tu es devenu aussi sérieux Jo. Quoi que, j’ai entendu certaines rumeurs…
  • Comme ?
  • Tu t’es vraiment tapé une playmate à New York ? Je croyais que tu valais mieux que ça franchement.

 

Le ton de la blonde était devenu sec et très vite, Amalia comprit qu’elle avait sans doute quelques sentiments pour l’héritier de San Gavino.

Ce dernier répondit d’un ton froid et détaché :

  • En quoi ça te concerne ? Je m’envoie en l’air avec qui je veux non ?

Ecoute Gab, tu es une amie et j’aimerais que tu le restes. Donc, s’il te plait, cesse de te mêler de ma vie privée.

La jeune femme se recula légèrement et passa distraitement une main sur les plis de sa splendide robe d’un bleu très pâle.

Cela agaça manifestement le prince Joachim qui lui fit un signe pour se rapprocher de lui.

  • Gabriella…toi et moi…ça ne marchera pas tu le sais.
  • Tu ne disais pas cela lorsque nous avons couché ensemble pendant tes vacances aux Bahamas.
  • C’était une erreur je te l’ai déjà dit. Tu étais un bon coup, j’en ai profité. Fin de l’histoire.

 

En entendant ces mots prononcés avec un détachement incroyable, Amalia plaqua sa main contre sa bouche pour étouffer un cri d’indignation.

Non mais quel connard celui-là !

La dénommée Gabrielle fit une petite moue boudeuse puis elle prit doucement la main du prince Joachim :

  • Tu n’as pas confiance en nous Jo. Pourtant je sais que toi et moi…
  • Arrête Gab, il n’y a pas de nous, il n’y en a jamais eu.
  • Comment peux-tu oublier tous les bons moments que nous avons passés ensemble ?  Merde, Joachim, qu’est-ce qui te prend ?

Tu n’étais pas comme ça avant que…

  • Ferme-là. Tu sais bien que je ne veux pas que nous parlions de ça.
  • Tu as rencontré quelqu’un à Londres ? A New-York ?
  • Non, personne.
  • Alors, ici à San Gavino ?
  • Non plus.
  • On dit que tu couches à droite à et gauche, que toutes les héritières d’Europe ont eu le droit à tes faveurs. Alors quoi ? Que dois-je faire pour que tu t’intéresses à nouveau à moi ?
  • Rien. Parce qu’il n’y aura jamais rien entre toi et moi. Donc, je te le répète une dernière fois Gab et si tu n’es pas capable d’imprimer ça dans ton cerveau, ce n’est plus la peine de revenir ici.
  • Tu viendras au moins à la soirée que mon père organise pour fêter mon diplôme ?
  • Non, je regrette. Je serai en mission économique à Singapour.
  • Tu l’as fait exprès j’en suis sûre.

 

La blonde se leva alors brusquement et elle rentra à l’intérieur du palais.

Amalia se recoucha en songeant aux paroles de la dénommée Gabriella : la manière dont le prince Joachim l’avait rabrouée, rabaissée au rang d’objet sexuel la dégoûtait.

Elle se demanda de quoi parlait la jeune femme quand l’héritier de San Gavino l’avait interrompu violemment. A ce moment-là, Amalia avait eu le sentiment que le prince paniquait : il n’y avait plus de trace de colère dans sa voix mais de la…peur.

Etrange…

C’est sur cette curieuse impression que la jeune femme s’endormit enfin.

 

 

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