Prologue

Par Absolem

   

   Toute mon enfance, on m’avait fait croire que je ne manquerai jamais de rien. En fait, je n'ai jamais manqué de rien pendant cette période bénie, d’autres pourraient affirmer que j’avais eu plus qu’un enfant américain moyen. Certes, je n'ai jamais eu à me plaindre, j’ai vécu 10 années entières sans connaître le concept de frustration. Je repense régulièrement à cette autre vie que j'ai mené pendant les premières années de ma vie où je ne connaissais ni le froid, ni la faim. Tous les étés, je les passais chez ma meilleure amie, à profiter de son immense piscine, et à dévorer les fraises du jardin cultivées amoureusement par son père avec elle. Aujourd'hui, je crois que c'est ce qui me manque le plus. L'absence de ma meilleure amie d'un côté, mais aussi les fraises. Nous n'avons plus beaucoup de fruits et de légumes depuis l'hiver volcanique, et c'est comme ça que j'ai commencé à connaître la frustration. 

    

    Toujours est-il, que même en étant d’une classe aisée, le résultat fut le même pour tous lorsqu’on nous annonça l’éruption imminente du super-volcan de Yellowstone : il fallait se préparer à quitter son quotidien, ses habitudes, ses biens, ses amis. Rien ne vaut une catastrophe naturelle pour mettre tout le monde sur un pied d’égalité non ? J'ai rapidement compris que ce ne serait pas le cas. J'ai grandis à Salt Lake City, capitale de l'Utah, dans l'Union des Etats d'Amérique du Nord, que nous appelons plus simplement l'UDEAN pour faire court. J'ai été privilégiée toute ma vie, mes parents étant tous les deux chercheurs en aéronautique, ils avaient leur place auprès du gouvernement utahain. Alors que nous étions à l'épicentre de l'éruption imminente de Yellowstone, nous fûmes parmi les premiers à être évacués. C'est pour cela que je ne crois pas en l'égalité des chances même lors d'une catastrophe naturelle d'une si grande envergure. Le monde avait créé sa base d'inégalités depuis des centaines d'années, et une calamité ne pouvait que creuser le fossé entre tous. 

 

    Le plan de l’Union des États d’Amérique du Nord était tout simplement d’évacuer sa population vers les états considérés comme moins peuplés en Afrique. La garantie de l’UDEAN était que chaque foyer    américain serait relogé dans des habitats construits en deux semaines, grâce aux technologies d’impression 3D. « Pas de discrimination, tout foyer aura un logement similaire pour appliquer une stricte égalité entre tous ». Comme si tout le monde revenait sur un pied d'égalité. Comme si d’un seul coup, les disparités entre les citoyens allaient s’évaporer. La seule chose qui s’est évaporée, c’est bel et bien le continent Nord-américain. Les fortunes elles, sont restées, y compris celle de ma famille. Peut-être que le fait que je sois désormais face à la misère du monde m’a fait réaliser mon statut privilégié. S’il y avait bien une chose qui avait changé, c’était la perception que le monde avait des habitants de Nord-Amérique. Du statut de superpuissance mondiale, au statut de réfugié climatique. Pour ne rien arranger, seul 5 pays du continent africain avait accepté l’accord proposé par l’UDEAN pour accueillir cette nouvelle population. L’accord était que les états africains fournissait les matériaux et les terres d’accueil, sous quoi l’UDEAN garantissait les fonds pour la construction et la prise en charge de ses réfugiés, et s’assurait de la protection militaire des états. En soit, la promesse que j’avais entendu à mes 10 ans lorsque tout ceci arriva, était que l’Amérique existerait pour toujours mais sur un autre continent. Ce n'était pas une sacrée fierté, l'Amérique du Nord n'existe plus matériellement, seul subsiste son gouvernement, qui n'est même pas dans un lieu exact. En tant qu'américains, nous possédons toujours la nationalité américaine, mais par soucis d'intégration beaucoup ont aussi pris la citoyenneté de leur pays d'adoption. C'était une des garanties offertes par l'UDEAN lors de notre déportation. 

 

    Désormais, 15 ans après les événements, immigrée Nord-Américaine travaillant pour les forces aériennes tanzaniennes par l’intermédiaire de l’UDEAN, j’ai déchanté. Les pauvres sont toujours aussi pauvres, mais sur un autre continent, et le gouvernement dont ils dépendent ne font rien pour les aider. La plupart des denrées alimentaires que nous trouvions abondamment sur toutes les terres se sont raréfiées, jusqu’à complètement disparaître pour certaines. Nous sommes devenus les parias du monde entier, ceux dont personne ne veut. La déportation massive des nord-américains fut un échec cuisant, avec tant de promesses non tenues. De mon côté, la seule chance que j’ai, c’est que je suis moins dans la fange que la majorité des immigrés, car le gouvernement de l'UDEAN avait besoin de mes parents. J'ai survécu à l'hiver volcanique, j'ai un emploi, je ne me plains de rien. Sauf d'une chose à vrai dire, qui me manque vraiment depuis que la quasi totalité des fruits ont disparu de cette planète. Je pourrais tuer pour remanger une fois dans mon existence ne serait-ce qu'une seule fraise. 

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CE-236
Posté le 18/01/2022
Beaucoup de récits post-apocalyptiques existe mais très peu sont réalistes. Le fait de détailler la post-catastrophe de l'éruption de Yellowstone est une très bonne idée.

Ici il ne semble pas y avoir de survie dans une ville abandonnée, pas de clans violents s'arrachant les restes de nourriture, juste des millions de victimes d'une catastrophe naturelle à l'échelle planétaire ainsi que les enjeux politiques, économiques et idéologiques qui s'ensuivent.

C'est réaliste et cohérent, tout ce que j'aime, je vais donc m'empresser de lire la suite !
Μέδουσα
Posté le 17/11/2021
Super original, j'accroche totalement et j'ai vraiment envie d'en lire plus -pas ce soir, parce qu'il est tard mais prochainement ahah.

Les prémisses de l'histoire sont intrigantes, j'aime cette idée d'Américains privilégiés émigrés dans le Tiers-monde pour cause de catastrophe naturelle, et qu'ainsi la balance penche de l'autre côté.

Et cette quête des fraises comme du Graal risque d'être amusante :)
Absolem
Posté le 10/12/2021
Merci beaucoup pour ton commentaire !

C'était en effet l'idée de faire une espèce de socio-histoire inversée, où un peuple fondé sur la colonisation se voit chassé du territoire qu'il a lui-même colonisé et donc se prend un violent revers de médaille presque un millénaire après.

Les fraises ont, en effet, une importance majeure mais je vais y aller avec parcimonie parce qu'elles sont encore insoupçonnées héhé !
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