Les quatre coins de la pièce étaient ornés de hautes statues. Des femmes aux formes généreuses, habillées de drapés fins et les yeux bandés. Elles imploraient la grâce céleste de leurs prières silencieuses, mains tendues vers les cieux.
Fortune suivait sans émotion leurs regards aveugles vers la voûte du plafond. Elle était calme et mesurée, mais elle s’ennuyait. Un soupir s’échappa de ses tendres lèvres et elle replaça avec une attention toute particulière l’une de ses longues boucles blondes, le menton toujours relevé.
Mais à sa droite, l’eau de la clepsydre finit par s’arrêter. Il était déjà minuit et le jour venait tout juste de faire place à la nuit.
Enfermée dans les profondeurs de son temple, là où la lumière ne l’atteignait jamais, la clepsydre était son seul lien avec Jadis, le dieu du temps. Elle l’avait tellement aimé, il y a des siècles de cela. A présent, tout ce qui lui rappelait son existence la faisait entrer dans une rage folle.
– Que veux-tu de moi ? Rugit-elle en s’adressant au vide tout autour d’elle. Que je te supplie ? Que je te vénère, comme le font ces pauvres mortels ? Réponds-moi !
Fortune se sentit perdre le contrôle. Dans un geste de désespoir, elle saisit un vase vieux de plusieurs centaines d’années et le jeta quelques mètres plus loin, ne s’apaisant que lorsqu’elle l’entendit se briser sur le sol. Le moindre son avait un effet thérapeutique sur celle qui vivait seule et délaissée depuis si longtemps.
– Je ferai ce que tu veux, implora-t-elle. Je te le promets. Je changerai. J’ai changé. Ne me laisse pas ici, toute seule. Ou si telle doit être ma vie, si je dois survivre entre ces quatre murs jusqu’à ce que le néant m’accepte à nouveau, je t’en supplie, aies pitié de moi. Arrache moi la vie comme tu m’as arraché le cœur il y a de cela une éternité ! Tue-moi ! Foudroie-moi sur place ici et tout de suite !
Des larmes ruisselaient le long de ses joues tandis que des sanglots secouaient sa poitrine. Elle voulait hurler son affliction, mais les mots mouraient sur sa langue avant même qu’elle ne puisse les prononcer, ajoutant à sa frustration.
Fortune attendait un signe qui ne viendrait jamais. Elle-même le savait. Elle regardait autour d’elle comme un animal guettant sa proie, sauvage mais désespérée. La solitude qui lui pesait de plus en plus avait balayé sa fierté. L’espoir était depuis longtemps tout ce qui lui restait.
Lorsqu’elle eut fini d’attendre, qu’elle comprit que ses suppliques resteraient une nouvelle fois sans réponse, une fureur indescriptible emplit derechef son cœur de déesse. Elle cria à s’en arracher les cordes vocales, pleura ce qui lui restait de larmes avant de parvenir à se calmer.
Elle se leva, fit disparaître les dernières traces d’émotion qui marquaient encore son visage et s’avança un peu plus profondément dans le temple. Un sourire mauvais déforma ses traits lorsqu’elle fit face à sa statue, si grande et si parfaite. Sa sublime sculpture de bronze lui faisait prendre conscience qu’elle n’était plus la divinité qu’elle avait été autrefois. Elle n’était plus que l’ombre d’elle-même, un spectre sans couleur, rongé par la haine et le chagrin.
– D’accord, si c’est ce que tu veux.
Devant l’immense statue la représentant, une jolie petite fontaine avait été dressée. Quelque peu rehaussée, elle était remplie d’une eau incroyablement claire dans laquelle flottait une cruche. Fortune sortit délicatement celle-ci, faisant très attention à ne pas la briser, et versa quelques gouttes d’un mélange doré dans le bassin. L’eau se troubla pendant plusieurs secondes, le temps pour la déesse d’y plonger la main pour aider cette étrange potion à s’y mélanger.
Fortune se pencha en avant, réajustant sa longue robe blanche, et fixa longuement la surface de la fontaine jusqu’à ce qu’elle vit son reflet se transformer pour laisser place à une image floue et lointaine.
– Jadis, je ne sais pas à quoi tu pensais en m’enfermant dans mon propre temple de la sorte. Tu devais penser que mon comportement ne seyait pas à une déesse. Et bien, sache que je suis loin de t’avoir montré tout ce dont je suis capable.
Un gloussement incontrôlable agita Fortune. Elle posa la main sur ses lèvres pour le réprimer, mais cela l’amusa encore plus et un rire pervers et malveillant la secoua entièrement tandis que dans l’eau de la fontaine, l’image se précisait, dessinant peu à peu les traits d’une jeune femme, la tête penchée sur un morceau de parchemin.
Cette première partie laisse présager d'une histoire
qui sera pour moi fort intéressante. J'ai vraiment envie d'en lire encore plus.
J'adore aussi la manière dont tu dépeint ton perso de Fortune, les émotions et les phases par lesquelles elle passe sont décrites avec force et précision, et on peut visualiser la scène sans problème.
L'ironie de la situation (son nom vs ce qui lui est arrivé) m'a fait sourire. je trouve que cela est très bien pensé.
Et elle a l'air de préparer un mauvais coup. Je suis curieux ici aussi de savoir ce qu'elle va faire.
Pour Fortune, tu as tout bon. Je suis contente que tu la décrives comme ça, c'est exactement la façon dont je voulais la dépendre (inspiration grecque comprise, ahah). Merci de tes compliments !
C'est un bel avant-goût de ton histoire ! J'aime bien ton style. Le vocabulaire est varié ce qui rend ton texte très agréable à lire. Fais tout de même attention à l'utilisation des virgules. Leur position dans certaines phrases hâchent un peu les phrases et cassent le rythme.
A part ça, au niveau du fond, ton premier chapitre en dit beaucoup sur le caractère de ton personnage principal. On sent bien l'amertume, la frustration et la colère de Fortune. C'est très intéressant et ça donne envie de lire la suite.
Voilà pour ton prologue ! Bon courage pour écrire la suite !
Pour ce qui est des virgules, c'est un choix complètement assumé. Question de rythme, justement :)
Je suis contente que mon prologue t'ait plu, cela dit ! Et contrairement à ce que l'on peut penser, Fortune n'est pas vraiment mon personnage principal, ahah, mais je n'en dirai pas plus !
Des bisous, à bientôt !