Une étrange lueur transperçait le ciel parmi les buildings, telle l’iris d’un chat. Cela faisait quarante-huit heures. C’était tout ce qu’il avait fallu aux infectés pour percer les barricades encerclant les abords de son extrémité basse.
Personne ne savait d’où provenait le mal. Les premiers envoyés pour l’étudier n’avaient pas tardé à en être victimes, comme tous les habitants des environs. Le gouvernement les avait immédiatement confinés, et le reste de la ville avec.
« Restez chez-vous. Tout est sous contrôle. Ne paniquez pas…. »
En tant que gouverneur du secteur, Régis avait toujours fait comme on lui avait dit de faire. Malgré sa proximité avec l’épicentre du mal, il avait sagement obéi. La désactivation de sa voiture autonome personnelle ne lui avait pas vraiment donné le choix.
De poubelles et des obstacles de fortune l’entouraient, disposés en arc de cercle autour de son bastion, sa propre maison en plein centre ville. Quelques transporteurs autonomes stationnaient, soigneusement désactivés, à côté des trottoirs.
« Bien sûr qu’il n’y a pas à s’inquiéter. Il semblerait que ce phénomène atmosphérique produise une lumière capable d’endommager une partie du cerveau, créant des cellules parasites transmissibles par morsure rendant extrêmement agressif. C’est pourquoi, il ne faut absolument pas la regarder plus de quelques secondes, et surtout, restez chez-vous ! »
Régis se crispa sur son fusil à impulsion. La voix du porte-parole du gouvernement, en provenance d’un écran géant sur un immeuble voisin, l’irritait.
« La situation est sous contrôle, il n’y a pas de raison de paniquer. Les accès sont entièrement bloqués grâce au formidable travail de nos constructeurs industriels et de leurs murs préfabriqués.… »
Un mur. Il y en avait un en béton qui bouchait l’un des côtés principaux de leur rue, encastré à chaque extrémité dans les façades de maisons mitoyennes. Son corps comportait, à hauteur d’homme, une bande jaune rayée de noir fusionnée à l’inscription : « Vous êtes confiné. Veuillez attendre vos instructions. ». À son sommet, des fils barbelés dissuadaient toute tentative de passer par-dessus.
L’armée l’avait apporté grâce à un aéronef, quelques heures plus tôt. Régis avait eu un bref soupir de soulagement avant de comprendre qu’il n’était pas là pour les protéger.
D’un coup de pied nerveux, il fit trembler l’amas de cagettes, de bois de chauffage « emprunté » à la municipalité, de bureaux, de chaises,… et d’absolument tout ce qu’ils avaient pu trouver pour faire barrage. Le tout semblait tenir le choc.
— Ça va, m’sieur le gouverneur ?
Ce dernier pivota la tête avant de la hocher, l’air déconfit.
En dépit de sa simple pelle, la jeune fille qui venait de passer de la porte d’entrée de son habitation, à un bout des barricades, affichait une expression confiante. La chevelure blonde laissée au vent, telle une amazone, elle ne devait pas avoir plus de seize ans. Pourtant, dans sa parka verte et son jean troué, elle semblait plus prête à en découdre que lui.
Le « blonk » de sa pelle se répercuta à plusieurs reprises alors qu’elle testait à son tour leur protection de fortune, à la seule différence que c’était plus par ennui que par crainte de sa solidité.
Sur les milliers de personnes vivant dans les alentours, c’était la seule à avoir répondu à son appel via les hauts-parleurs de la zone. Elle, et deux anciens combattants d’avant l’Unification, ainsi qu’un bibliothécaire.
— Jainy, pourrais-tu avoir l’obligeance de cesser de me casser les oreilles ? Monsieur Vatale s’en charge déjà très bien depuis trois heures.
Jainy suspendit son geste juste avant que le bout métallique de sa pelle ne touche le pied d’un bureau.
— Oh, désolée.
Il y eut plusieurs bruit de clips et de frottements de métal, après quoi une voix usée, au ton exagérément grave, l’agaça presque autant que le discours rassurant de monsieur Vatale, répété pour la deux cent douzième fois :
— Vous semblez tendu, monsieur le gouverneur.
Régis pivota vers son garage, à l’opposé de la porte d’entrée et son petit escalier. Un homme d’âge mûr aux cheveux courts et gris était assis en tailleur, en travers de son ouverture. Sa carrure était proche de la sienne, avec beaucoup plus de musculature. Si on en croyait le chiffon sur son pantalon de camouflage, ainsi que le pot de graisse fermé à côté de sa cuisse, il venait de finir le nettoyage de son fusil semi-automatique.
— Pardon ?
L’homme, un certain Davidson, sortit un chewing-gum de la poche avant de sa veste de camouflage usée, puis jeta son papier sur le trottoir. Ensuite, il le fourra dans sa bouche.
— Vous savez que je pourrais vous faire arrêter pour ça ? le menaça Régis d’une voix réprobatrice.
En théorie, il le pouvait. Même si actuellement, son équipe de sécurité avait… changé de camp, après qu’il les ait envoyé pour contenir une brèche menant au secteur.
Davidson, peu convaincu par la menace, fit la moue tout en fronçant les sourcils.
— Vous savez que vous donnez l’impression que vous allez vous chier dessus, mon bon gouverneur ? C’est pas comme si on allait survivre, hein ? Je suis peut-être pas scientifique, mais le gros trou que je vois dans le ciel… c’est pas bon, hein ? C’est quoi ? Une porte dimensionnelle ? Ça a un rapport avec les bracelets déphaseurs ?
— Il n’y a pas de trou dans le ciel, cracha Régis presque machinalement. C’est un phénomène atmosphérique qui...
Le petit sourire de Davidson couplé à son air moqueur l’arrêta. Il avait compris le message. S’il devait être honnête, Régis n’y croyait pas non plus. Mais comme on lui avait ordonné de se tenir à la version officielle, il ne comptait pas faire de vague.
Le collègue de Davidson, adossé contre la tranche de la porte du garage, un fusil semblable pendant à son bras le long de son treillis, se raidit. Ses joues creuses avalèrent difficilement sa salive, tandis que les rides taillant son visage se tordaient pour appuyer son regard craintif.
— Écoutez ! Vous entendez ?
Entre les « n’ayez pas peur », et les « la situation est sous contrôle » de monsieur Vatale, des voix accompagnées par le pas lent d’une foule commencèrent à percer :
— FAIM.
— MANGER.
— Entrez. Entrez. ENTREZ.
Davidson se leva d’un bond.
— Tout le monde à son poste !
D’un pas précipité, il se rendit à l’avant des barricades.
— Jéricho, tu prends le flanc Est, les deux autres, couvrez l’autre côté comme convenu... Bordel, il est où le bibliothécaire ? Comment il s’appelle déjà… OH ! Garçon, magne ton cul. Les problèmes arrivent.
Le chahut ne tarda pas à rameuter un trentenaire emmitouflé dans un long manteau, sous lequel se cachait un pull légèrement disproportionné pour faire face à la température extérieure et au ciel nuageux. Le balais qu’il tenait à la main, taillé en pointe du côté du manche, heurta le coin de la porte dans sa précipitation et le fit dévaler les marches.
— Désolé, j’étais en train...
— On s’en cogne, épaule Jéricho si ces choses parviennent à nous atteindre.
Davidson mastiqua son chewing-gum avec plus d’entrain, comme pour le motiver à ce qu’il allait faire. Ses pieds se plantèrent dans le sol, puis il se mit en joue. Au loin, des silhouettes apparaissaient depuis les petites rues et l’avenue principale. On aurait pu croire à une manifestation, bien qu’il n’y en ait pas eu depuis quarante ans.
Une fine odeur d’urine se répandit jusqu’aux narines de Régis. Jainy fut la première à en saisir l’origine en se retournant :
— Non mais sérieux, mec...
— Désolé.
Le bibliothécaire essaya tant bien que mal de cacher la gêne que la flaque à ses pieds lui causait en triturant sa fine barbe. Il ne parvint qu’à rougir davantage.
Davidson rit d’un rire gras.
— T’inquiète pas mon gars ! Ça les fera peut-être fuir. Ou au moins, ils te prendront pour un des leurs.
On aurait pu en douter. Les senteurs en approches occultaient déjà ce ridicule incident. L’odeur du sang mélangée à celle de la sueur, de la chair pas fraîche et d’excréments, formait une puanteur indescriptible dont certains de ses composants restaient inconnus.
— En joue !
Jéricho s’exécuta sans le moindre mot, Jainy perdit son dégoût, remplacé par de l’anxiété. D’un mouvement lourd, Régis souleva son fusil à impulsion. Voilà plus de vingt-cinq ans qu’il administrait ce quartier. La gestion des stocks, la médiation, les punitions pour manquement aux règles de bonne société, ça il savait faire. Par contre, tirer sur des choses qui ressemblaient à des gens, ce n’était pas dans ses attributions. S’il avait pu imaginer ça, après sa sortie d’école, lorsqu’il avait accepté ce poste...
Les premières détonations firent siffler ses oreilles. Régis se contenta de serrer plus fort son fusil, comme si cela pouvait l’empêcher de trembler. Une balle atteignit un homme au thorax sans l’ébranler plus qu’une douce brise. Son tee-shirt, imbibé de sang, ne laissait pas en voir les dommages. Les autres n’eurent pas plus de succès.
— Putain de bordel de merde ! s’écria Davidson en recrachant son chewing-gum.
Jéricho, sur le flanc Est, grognait comme un chien prêt à mordre alors qu’il insérait un nouveau chargeur dans son arme :
— Pourquoi ils crèvent pas ? Pourquoi ils crèvent pas ?
Plusieurs des membres du cortège se détachèrent. Certains investirent les halls d’entrée ouverts, d’autres la pharmacie, en service malgré le confinement. Le reste n’hésitait pas à frapper aux fenêtres à leur portée. Technique qui portait ses fruits quelques instants plus tard, alors qu’ils tiraient les malheureux leur ayant ouvert.
— La tête ! s’écria soudainement le bibliothécaire dont les jambes dansaient la gigue malgré lui.
Tous se tournèrent vers lui, les deux anciens combattants toujours en joue tandis que Régis restait hébété sans avoir pu tirer une seule fois.
— Il faut viser la tête, continua-t-il. Dans tous les livres que j’ai lu, c’est toujours la tête contre ce genre de… créatures.
— Ok, le génie.
Davidson ajusta sa visée. Sa cible s’effondra avant de faire trébucher ceux qui la suivait. Les détonations reprirent leur concert. Jéricho tirait en rafale, rafale dont chaque impact faisait voler de la cervelle et du sang.
— Ouais, ça marche mieux ! s’extasia ce dernier, sous une pointe d’adrénaline. Bordel, j’ai pas perdu la main.
Régis appuya plus fort la crosse de son fusil à impulsion contre son épaule. Sa respiration était courte. Quelques heures plus tôt, lorsqu’il avait donné l’ordre à ses subordonnés de faire cette sale besogne, jamais il n’aurait imaginé se retrouver dans la même position. Appuyer soi-même sur la gâchette, ce n’était définitivement pas la même chose.
Son index parvint enfin à faire pression. L’épaule d’une dame en robe violette s’envola avec tout ce qui y était rattaché.
C’est moi qui ai fait ça ?
Un haut le cœur l’empêcha de reproduire l’opération, l’empêcha d’envoyer une nouvelle onde circulaire sur l’un de ces êtres peut-être encore humain. Le contenu de son estomac se répandit sur ses chaussures de ville, salit son pantalon de costume gris.
Régis essuya sa bouche du revers de la main avant de se rendre compte que Jainy semblait sur le point de l’imiter.
— Ça craint, monsieur.
Il parvint à lui répondre par un timide hochement de tête.
La légion d’infectés, bien qu’épurée et moins nombreuse que redoutée, avançait sans se préoccuper de leurs pertes. Ils n’étaient vraiment pas tant que ça. Pas autant que les cris et les supplications de l’équipe de sécurité l’avaient laissé entendre par son transmetteur. Peut-être même pourraient-ils tous les descendre avant d’être à court de munitions.
L’optimisme de Régis fut balayé par l’arrivée des premières créatures à leurs abords.
— Je vais vous MANGER.
Jéricho explosa le crâne d’un homme chauve aux yeux injectés de sang d’un coup de crosse. Presque rien ne le différenciait d’un être normal, si l’on écartait les morsures ainsi que le sang sur son bleu de travail. Une femme en tablier au bandeau dans les cheveux vit sa cervelle se répandre sur le bitume après que son crâne explosa.
— Monsieur le gouverneur, si vous êtes pas capable d’utiliser le truc entre vos mains, j’le veux bien ! hurla Davidson.
Jainy s’activa à son tour. Sa pelle se leva au-dessus de sa tête, après quoi elle frappa la boite crânienne d’un type à lunettes.
— Pas penser, murmura-t-elle pour sa propre personne. Pas penser.
Le bibliothécaire, terrifié, abandonna son côté, déserté de tout ennemi immédiat, afin de lui prêter main forte. Le bout pointu de son balais transperça le type à lunettes à plusieurs reprises sans le moindre résultat. Celui-ci se mit à grimper de manière désordonnée un bureau renversé surmonté de chaises et d’outils appartenant aux employés sectoriels, renforcé par deux poubelles.
Face à ses échecs, la stratégie d’attaque du bibliothécaire changea. Son balai percuta la tempe du type, faisant voler ses lunettes alors qu’il s’étalait sur l’une des poubelles. Peu après, il s’acharna sur sa tête. À chaque fois que son balai s’écrasait, ses mains devenaient plus sûres, ses coups gagnaient en force alors qu’il était déjà hors d’état de faire quoi que ce soit.
— Meurs ! Meurs engeance ! Meurs !
L’adolescente ne prit pas part à son hystérie meurtrière. Elle préféra pivoter et frapper avec sa pelle, telle une batte de baseball, une grand-mère enveloppée dans un châle sur le point de passer des sacs de graines et d’engrais destinés aux jardins sur les toits, et aux arbres plantés de manière régulière dans les rues :
— Tu me rappelles mes petits-enfants. Ils avaient très bon goût. Viens faire un câlin à… aaaargh.
— Oh bordel, jura Jainy. Oh bordel.
Du sang avait éclaboussé une bonne partie de son visage et ses vêtements.
Régis, à demi hébété, leva son arme, le canon pointé vers un homme à la mâchoire pendante. Dans sa main, l’individu tenait un micro près de sa bouche, comme un journaliste.
— Flash spécial, aujourd’hui, le gouverneur du secteur ouest au menu. Nul doute qu’il sera délicieux.
D’elle-même, la queue de détente de son arme s’enfonça. Du moins, c’était ce qu’il se persuada à croire. La tête de l’infecté explosa, un spasme compressa ses doigts autour du micro avant que ce dernier ne tombe en même temps que son corps.
Le carnage s’intensifia. Lorsque les clics caractéristiques des fusils d’assaut de Davidson et Jéricho ne furent plus suivis par celui d’un chargeur qui tombe pour être remplacé par un autre, les choses se tendirent.
Les barricades tremblèrent de tous côtés. Les infectés passaient par dessus, s’infiltraient par les trous en dessous, arrachaient tout ce qu’ils avaient pu entasser afin de se créer un passage. N’écoutant que son courage, Régis se replia en direction du garage. L’heure était au plan C, le B étant passé à la trappe lorsqu’il avait aperçu une dizaine d’infectés entre lui et la porte d’entrée de sa maison.
Un bras attrapa sa cheville droite, son fusil à impulsion se dirigea aussitôt vers le type rampant à ses pieds, dépourvu de jambes. Son épaule et une partie de sa cage thoracique se réduisirent en poussière à l’impact de l’onde. D’autres bras tentèrent de l’attraper, des dents claquèrent pour essayer de le croquer comme un vulgaire bout de viande. Il recula, et tomba.
Régis serra son fusil proche de son torse, puis tira. Il tira encore, encore et encore. Des tripes volaient, du sang l’inondait, de la chair se répandait autour de lui. La puanteur, décuplée par son massacre, l’étranglait au point de le faire suffoquer. D’étranges gargouillis s’échappèrent de sa bouche sans qu’il ne puisse rendre ce qu’il n’y avait plus dans son estomac.
Malgré l’épuration, un mur d’immondices sur pattes occultait les autres.
D’où ils sortent, tous ceux-là ?
À travers le brouhaha des cris des infectés, très alléchés par l’idée de les déchiqueter, ses oreilles percevaient leur résistance par les quelques coups de feu, moins assourdissants, encore tirés, et les jurons de Davidson.
Par chance, seule une poignée des monstres, qui furent autrefois ses concitoyens, s’intéressaient encore à lui. Il les dézingua jusqu’à ce que son arme surchauffe. Sans attendre de félicitations, ou à défaut, des paroles réconfortantes, Régis fila jusqu’à la porte de son garage avant de la pousser vers le côté opposé. La porte s’arrêta avant la fermeture complète, bloquée. Le système électrique n’avait pas dû apprécier l’improvisation d’un mode “manuel”.
— Fuis ! Fuis ! La peur raffermit la viande. La délicieuse viande.
— Si FAIM.
Son mouvement de recul le fit heurter sa voiture autonome personnelle. Deux des créatures s’infiltraient par l’entrebaillement. Régis n’eut pas le temps de se ressaisir qu’on lui arrachait son fusil des mains.
— Délicieux. DÉLICIEUX.
Un homme au gilet fluorescent enserra son cou avec une poigne à la force surprenante, le plaquant contre le capot de son véhicule. Par réflexe, Régis serra le poing avant de l’abattre contre sa mâchoire. Son casque de chantier s’envola en même temps que plusieurs de ses dents. Avant qu’il n’ait pu reprendre sa respiration, le deuxième se jeta sur lui, et saisit l’un de ses bras pour le porter vers ses dents, plus actives qu’un marteau-piqueur.
— MANGER. MANGER.
Un coup de pelle l’envoya valdinguer. Le poing de nouveau libre, Régis renvoya ses phalanges dans le nez du premier. La douleur de ses doigts se fracturant rendit le monde flou, mais cette fois-ci, il tomba au sol. Poussé par un instinct animal, Régis donna un coup de pied à l’infecté, peu affecté par ce qu’il venait de recevoir, et se mit à le frapper, à l’insulter, à se déchaîner contre sa tête jusqu’à l’écraser encore et encore. Puis, il y eut un craquement, un autre, un autre et une bouillie sanguinolente se retrouva sous ses chaussures, habituellement si propres et soignées.
Jainy enleva le bout en métal de sa pelle de la caboche de l’autre infecté.
— C’était chaud ! Ça va, m'sieur le gouverneur ?
Sa parka mi-rouge, mi-verte n’avait plus de fermeture si bien que l’on voyait son tee-shirt noir taché de sang.
— Ouais.
Régis reprit son souffle, le visage crispé. Un subit mal de crâne le fit s’appuyer sur sa voiture, mal de crâne qui passa tout aussi vite qu’il était venu.
— Les autres sont-ils encore vivants ? grogna-t-il.
La jeune demoiselle hocha la tête de haut en bas, souriant pour la première fois depuis leur rencontre. Il sourit à son tour, même si son corps lui faisait mal et qu’il ne parvenait plus à replier les doigts de sa main droite.
— « Rien à craindre » qu’ils disaient au gouvernement, plaisanta-t-elle.
Jainy eut un rire qu’elle réprima aussitôt. Entre l’inquiétude et l’étonnement, elle ne semblait plus savoir quoi faire.
— J’me moquais pas, hein ! se précipita-t-elle. Je… d’accord, hein ?
— Ne t’en fais pas, je démissionne. Et je compte bien diffuser sur toutes les ondes le petit désagrément que nous avons eu ici. J’espère qu’ils nous ont bien vu. Ils devaient être aux premières loges avec leurs caméras. Par tous les cieux, même pas l’ombre d’un convoi militaire pour nous aider... Ils nous laisseraient mourir sans…
Des hurlements lointains leurs firent tourner la tête vers l’extérieur. Régis quitta le soutien de la tôle de son véhicule autonome, ce qu’il regretta immédiatement. Sa jambe droite lui faisait mal. Suffisamment pour qu’il peine à la laisser au sol.
— Monsieur… commença Jainy, hésitante.
— Appelle-moi Régis. Plus de monsieur, plus de gouverneur, plus rien. Régis c’est très bien.
Un infecté inséra la moitié de son torse par l’ouverture. Quand il aperçut Jainy, il n’eut pas besoin de plus pour s’engouffrer à l’intérieur. Cette dernière lui envoya un coup de pelle suffisant pour le renverser, et l’acheva du plat de la partie en métal dans un « splash » sonore.
Jainy contempla quelques instants le cadavre, hébétée, puis vomit jusqu’à ne plus rien avoir. Des larmes coulèrent le long de ses joues.
— Régis… j’en ai tué beaucoup. C’était des gens avant. Si ça se trouve, ça en est toujours. Cette maladie, ce… truc. Si ça se trouve, ça peut être traité. Si ça se trouve, on aurait pu les sauver.
Elle sanglota de plus belle, effrayée par l’idée que cela soit vrai, terrorisée par les idées se formant dans son esprit. En quelques secondes, la rage remplaça sa détresse, toujours accompagnée de larmes.
— Pourquoi le gouvernement ne nous aide pas ? Pourquoi il nous a menti ?
— Je ne sais pas, je me suis toujours contenté de suivre leurs directives.
Tout son émis par Jainy cessa subitement, bloquée à mi-chemin entre l’effarement et la colère, ses doigts cramponnés à sa pelle comme s’il s’agissait d’un outil magique capable d’enterrer tous ses soucis. Régis eut du mal à soutenir son regard :
— C’était plus facile que je ne me pose pas de question. À quoi bon, après tout ? Ne sont-ils pas élus pour ça ?
De nouveau hurlements gutturaux, proches, nombreux, les firent se retourner vers la porte. Sans prononcer la moindre paroles, Jainy se précipita à travers l’ouverture. Régis voulu la suivre, cependant la douleur l’obligea à s’affaler contre le capot de sa voiture pour ne pas atterrir sur le sol.
— C’est quoi cette comédie.
Des bruits d’os fracassés lui parvinrent, tout comme le son des barricades soumises à rude épreuve, lorsque plusieurs têtes apparurent à l’ouverture.
Des renforts !
Finalement, d’autres de ses concitoyens avaient fini par se réveiller. En ne voyant que lui, ils ne s’attardèrent pas. Ils devaient avoir plus urgent à faire, au vu de la situation.
Comme par magie, la douleur à sa jambe s’envola. L’adrénaline, du moins il le supposait, lui permit de poser un pied devant l’autre et de se précipiter en dehors du garage. En même temps, Régis prit conscience d’une chose : il avait faim. Très faim.
À sa plus grande surprise, il ne tomba sur aucun infecté. En revanche, la foule au milieu des barricades, dispatchée autour de plusieurs muffins aux proportions hors normes, fit dysfonctionner son cerveau. Il ne savait pas pourquoi, mais une irrésistible envie de croquer un bout dans l’un d’entre eux faisait peu à peu son chemin dans son crâne. Suffisamment pour provoquer une douleur croissante, comme si on le compressait.
Avant même qu’il ne s’en rende compte, Régis était accroupi au plus proche, obligé de jouer des coudes afin de conserver sa place. Les doigts à moitié déformés de sa main droite en prirent une grosse poignée, puis la portèrent à sa bouche. Cela n’avait pas du tout le goût auquel il s’attendait. Ses doigts recommencèrent. Encore, encore. Encore et encore, sans pouvoir s’arrêter.
Étrangement, la consistance de ce qu’il ingurgitait ressemblait plutôt à de la viande. Un étrange liquide s’échappait de sa bouche, coulait sur sa veste de costume, collait sur ses doigts. Ses questionnements atteignirent leur paroxysme lorsqu’il se rendit compte que le muffin avait des cheveux. Des cheveux blonds et longs.
Il recula d’un coup, tombant en arrière. Son postérieur atterrit sur un objet long avec un embout métallique. Régis prit plusieurs secondes avant de comprendre que l’objet en question était une pelle.
Un peu déconcertant au début entre la lueur dans le ciel qui cause l'infection, le fusil à impulsion et la voiture autonome personnelle; j'avais l'impression d'être dans un épisode de rick et morty.
D'autant plus que j'ai tout de suite imaginé Regis comme un personnage assez aigri et bedonnant.
La fin prend vrmt en force et c'est un peu plus facile de situer l'action. On se retrouve vrmt happé dedans.
Et le chute de fin, incroyable !