Alors qu’à Anulune le grand timonier tolère des elfes une colonie,
Depuis l’origine, la princesse Epiphone dénonce cette tyrannie !
A Neptnas des orcs la vierge de la déesse a subit la sauvagerie
Avec à ses côtés, sa suivante, la fidèle Iphigénie
Avec à ses côtés, son fils Hector, l’élu de Nunn, le messie,
Epiphone guidera les peuples de la mer à la victoire dans ces séculaires conflits
extrait de la chanson "Epiphone, la princesse d’Anulune la meurtrie"
Epiphone le savait pertinemment. Pour imposer sa vision, elle devait la diffuser au plus grand nombre. Le culte de la déesse Génoas-Khal imposait des préceptes pacifistes et écologiques. Les dryades rechignaient à se battre et ne prélevaient de la nature que le strict minimum pour vivre en symbiose avec elle.
Mais la princesse savait cette vision idyllique du monde erronée. Comment vivre en paix avec des êtres si violents que les orcs ? Le peuple du dieu de la guerre à la suite d’un raid ne l’avait-il pas enlevée et séquestrée ? Comment vivre en symbiose avec la nature confrontée à des créatures polluant tout sur leur passage comme les elfes ? Le peuple du dieu de la sagesse et des sciences n’avait-il pas saccagé la baie d’Anulune ? Epiphone en était convaincue, pour obtenir la paix et la concorde, il lui fallait préparer la guerre.
Déjà, elle avait fait modifier l’enseignement de la déesse dans le royaume d’Anulune qu’elle présidait. Iphigénie avait révisée les cérémonies du culte. A présent, les lectures se concentraient sur les héros légendaires et les martyres de la bannière des peuples de la mer. Les prêtresses honoraient à présent les soldats morts au combat dans des célébrations toujours plus grandioses et impactantes.
Chaque jour, la cause d’Epiphone gagnait de nouveaux partisans. La situation de la cité d’Anulune, placée sous le joug colonialiste elfe influençait énormément la population. Un sentiment de révolte patriotique brûlait dans le cœur de tous les dryades habitant la région. Cependant, l’essor de l’influence de la princesse se limitait au royaume dont elle était la grande électrice. Si elle voulait un jour imposer ses vues et pendre le pouvoir, il lui fallait à présent trouver des adeptes dans les autres royaumes.
Pendant des semaines, Epiphone et Iphigénie, avec l’aide du plus grand poète de la région rédigèrent leur propre légende dans le but de la diffuser au plus grand nombre. Le chant racontait de manière enjolivée l’histoire des deux dryades, de la colonisation de la baie sauvage d’Anulune par les elfes à la fuite à Neptnas, du massacre opéré par les orcs à la fuite victorieuse de la princesse. Le texte terminait en apothéose, présentant Epiphone comme la guide du peuple de la mer et son fils, le prince Hector comme l’élu de Nunn, destiné à unifier tous les peuples. Les mots avaient été soigneusement choisis. Si le chant désignait la princesse comme la guide du peuple de la mer, c’était parce qu’elle briguait en secret le poste de grande timonière. Il fallait déjà infuser cette idée aux dryades.
Une fois le conte terminé, Iphigénie recruta et forma nombre de troubadours et les envoya sillonner les grandes cités littorales et les villages de pêcheurs. La suivante de la princesse poussa les partisans moins doués pour le chant et la harpe à engager des débats publics pour remettre en cause la vision de l’ordre établi. Le grand timonier des peuples de la mer, Minos restait un pacifiste convaincu recherchant systématiquement un consensus moud à coup de compromis.
Lorsque la bande rouge, symbole du ralliement à son camp politique, fleurit sur les tuniques de lin de Littoril, Epiphone engagea la deuxième phase de son opération de propagande. A premier jour de Génoi, le mois de la déesse, elle se rendit en personne dans la cité côtière pour solidifier sa position. Iphigénie organisa en préambule de son intervention une grande représentation racontant le passé glorieux des peuples de la mer avec la troupe de théâtre qu’elle avait constitué. Le mystère que la compagnie jouait, insistait sur la paix qui avait suivi chaque victoire dryade. Les ères des ondines, des léviathans ou des addancs étaient révolues depuis bien longtemps et l’assistance prit pour argent comptant la mythologie fantasmée qui se déroulait sous leurs yeux.
Une fois l’opinion orientée, la princesse d’Anulune la meurtrie s’adressa à la population depuis le centre du forum. Par opposition au grand timonier Minos, Epiphone n’afficha que des positions extrêmes. Le risque était grand de scinder la société dryade en deux camps opposés, mais cette stratégie lui permettait d’accumuler les promesses. « Je stopperai l’expansion de l’empire de Batumia ! » « Je chasserai les elfes de la baie d’Anulune ! » « Je militariserai les shardanes et nous n’aurons plus rien à craindre des orcs ! » « Pacifiste ou non, chaque dryade doit posséder les moyens de se défendre ! » Toutes ces promesses possédaient d’autant plus de poids que son camp belliciste distribuait à la foule chauffée à blanc les armes des Marteaux d’Airain en gage de bonne foi.
En ce jour de célébration de Génoas-Khal, ce grand discours fit des émules. Bourgmestre, comtes et marquis étaient tous présents. La princesse fut invitée par une multitude d’élus à reproduire son intervention dans leurs juridictions. Iphigénie organisa pour sa maîtresse une campagne qui sillonna tout le royaume de Littoril. Puis se fut le tour d’Aquira, de Nepturus, d’Hippodore et de Corana. Dans le moindre village, les militants d’Epiphone s’affichaient par centaines, par milliers avec la bande sanglante sur leur tunique de lin. Ils s’organisaient en milices armées grâce aux lames fournies par les Marteaux d’Airain. Combien adoptait la marque rouge ou participait aux patrouilles par crainte de représailles ? Impossible de le dire, mais les velléités bellicistes ne cessaient de croître, encouragées par l’organisation et l’entretien d’un sentiment d’insécurité permanent.
Abynéas, la capitale et les grands édiles de la nation, princes électeurs et ducs en tête demeuraient pour l’instant hermétiques aux idées de ceux qu’on désignait à présent sous le nom de ligue d’Anulune. Tous ces opulents notables se complaisaient dans leur pacifisme de façade ne cherchant qu’à camoufler leur peur. La vierge vengeresse n’avait que faire de leur accord pour prendre le pouvoir et appliquer son programme politique ! Ces gens n’étaient rien. Les shardanes étaient les seules élites qu’il convenait de rallier à sa cause. N’étaient-ils pas les guerriers-pasteurs dévolus à guider les peuples de la mer ? Dès qu’ils seraient de son côté, elle pourrait mener bataille ! Elle prendrait bientôt le pourvoir et alors elle se vengerait des elfes et des orcs !