Psychorigide

Les gens qui ne l’appréciaient pas disaient qu’elle était psychorigide. C’est comme ça qu’on la qualifiait avec mépris. Elle était psychorigide depuis son adolescence. Face aux incertitudes grandissantes, elle s’était mise à ranger, à organiser, à catégoriser. L’anticipation était son seul refuge, sa seule arme pour limiter les risques. Elle programmait sa vie pour éviter la peine, pour éviter la souffrance.
Elle suivait son organisation à la lettre. Tant que tout était à sa place, elle ne pouvait pas être malheureuse. Tant que tout suivait son cours, il ne pouvait pas y avoir de drame. Alors elle rangeait. Même lorsque la programmation devenait étouffante. Même lorsque l’organisation l’empêchait de respirer. Même lorsqu’elle ne supportait plus l’ordre. Elle repositionnait. Elle était la perfectionniste, la maniaque, la psychorigide.

Lui, n’avait jamais connu que le désordre. Il ne vivait que dans le risque, le malheur et le drame.
Sa vie était floue, brouillée. Il n’anticipait pas. Laissait le hasard et son impulsivité le conduire à la souffrance ou à la mort.
Parfois, ses désastres aléatoires le menaient à une pointe de bonheur. Un éclair de soulagement qui le frappait le temps de quelques secondes. Un spectre de réconfort qui le trouvait dans le flou.
Parce qu’il s’était effondré au bon moment, à la sortie du bon bar, face à la bonne personne.

Elle l’avait ramené parce que le trottoir n’était pas la place d’un homme. Même d’un paumé.
À la seconde où il avait ouvert les yeux, où elle l’avait vu, perdue sans son désordre, il était devenu un imprévu dans son étouffante organisation. Une respiration dans son ennui.