On ouvre la porte pour se trouver de nouveau dans l’air glacial de fin novembre.
_ Ahh, j’avais oublié qu’il faisait si froid, je dis piquée par cette température.
Mon amie rigole et je dis:
_ Je suppose que t’as pas vu mon live vu que t’étais chez GT, hier.
_ T’as raison.
_ T’as loupé l’unboxing Pimper.
_ Quoi ! Ta nouvelle paire est arrivée ?
_ Ouais.
_ Elles sont comment ? J’espère pas aussi « fantaisie » que l’année dernière…
Elle faisait allusion à la paire « bottes de père Noël » que j’avais reçu l’hiver dernier. Elles étaient rouges avec de la moumoute blanche. Ringard mais rigolo.
_ Non pas cette fois, je te les montrerais à la maison.
_ On mange quoi ce midi ?
_ J’ai des pâtes à réchauffer, je dis avec une grimace.
_ On se prend une pizza ? Demande-t-elle en jetant un regard indiscret vers le supermarché et on éclate de rire.
C’était un bien meilleur plan que les pâtes au sarrasin.
On était enfin arrivées à la maison après s’être achetées une pizza et pris le bus. Natacha accroche son manteau sur le portant avant de monter l’escalier. Elle venait si souvent à la maison qu’elle la connaissait sûrement aussi bien que la sienne et inversement.
_ Je prend ma douche ! Elle crie, arrivée en haut.
_ D’acc ! Je lui réponds avant de monter à mon tour, mon sac de sport à la main.
Arrivée en haut, je file dans ma chambre et le vide, pour que ce soit chose faite puis m’allonge sur mon lit pour regarder instagram.
_ Nat ?
_ Quoi ? Répond elle en couvrant le bruit de la douche.
_ Tim a posté !
_ Il a mis quoi ?
_ Une photo de lui entrain de taguer, il nous a identifiées.
_ Heureusement !
_ Ouais.
On enchaine rapidement nos douches et on finit toutes les deux en serviette dans ma chambre.
_ On fait quoi cet aprèm’ ? Demande ma meilleure amie.
_ Shopping ?
_ Ça me va, et on peut aller chez GT ce soir.
_ Super plan, il nous faut donc une tenue adaptée, je dis en ouvrant mon placard où pendaient une multitude de vêtements.
_ Choisis, je continue.
Après avoir fouillé un petit moment sans mettre le bazar, elle tire un pantalon cargo noir et un col roulé moulant kamel de tout ce choix de vêtements.
_ Tu valides ?
_ Simple et efficace.
On avait passées trois heures en ville et je m’étais de nouveau acheté toutes les couleurs de peinture en bombe après avoir presque tout utilisé pour mes derniers projets. On avait trainé dans les magasins et bu un Starbucks, bien au chaud dans le café en discutant de l’incident d’hier, que je regrettais d’avoir loupé.
On était maintenant en route pour GT et on approchait déjà de l’usine abandonnée depuis maintenant cinq ans. Elle était tellement isolée et camouflée par les végétaux qui poussaient à tort et à travers qu’elle était introuvable quand on ne connaissait pas le lieu. On était rapidement passées chez Nat pour récupérer son skateboard sans lequel elle n’aurait pas voulu venir. Les graffitis artistiques et colorés, qu’ils soient vieux où tout frais me remplissaient de chaleur à chaque fois que je venais et cette fois ne faisait pas exception. J’entendais déjà des voix, de la musique et je voyais de la lumière.
_ Il fait tellement froid, ah punaise, je déteste l’hiver, déclare Natasha alors qu’on avançait jusqu’a l’ouverture qui abritait auparavant une porte, surement arrachée.
Beaucoup de personnes se trouvaient tout autour de l’usine, pour dessiner leurs idées en grand, c’était ça ce que j’aimais à taguer. Ce n’était pas simplement dessiner sur une feuille de papier, c’était dessiner en trente fois plus grand. Avant Grafitim, je ne taguais que très rarement, je dessinais surtout sur des feuilles de papier et faisais des croquis. Je m’étais retrouvé ici grace au bouche à oreille qu’avait entraîné Tim, que je ne connaissais absolument pas avant, et qui avait initié tout ce qui se trouvait devant mes yeux. Il n’avait pas voulu inciter les gens à venir grâce aux réseaux, de peur de se faire repérer et d’amener des voyous. Compréhensible. C’était aussi pour cette raison qu’on avait interdiction formelle de donner une localisation sur les réseaux.
On rentre pour se retrouver dans une énorme salle où des skateurs allaient et venaient. D’autres personnes buvaient des sodas ou discutaient. Il y avait interdiction formelle de taguer à l’intérieur lorsqu’il y avait autant de monde, par risque de respirer la peinture sans masque à oxygène. Compréhensible aussi. J’enfile sur un banc, près de l’entrée ma toute nouvelle paire de patins qui pendaient jusqu’à maintenant autour de mon cou. Debout sur mes patins, je tourne la tête pour me repérer parmi toutes les personnes qui se trouvaient ici. J’aperçois une tête aux courts cheveux brun que je reconnaissais entre toutes et je prend Natasha par la main pour l’entrainer avec moi. La surface du sol de l’usine était parfaite à rouler car elle était lisse sans aucun caillou.
_ Mais qu’est ce que tu fais Émy ! Attend je vais pas aussi vite moi !
Arrivée à quelques mètres de Tim, je lâche la main de mon amie pour aller le voir. Il avait eu la majorité cette année et commencé ces études. C’était la raison pour laquelle il venait d’une façon beaucoup moins régulière. Je profitais à chaque fois de sa présence pour lui raconter tout et n’importe quoi, comme à ma meilleure amie. Il m’aperçois et un grand sourire se dessine sur son visage.
_ Mily !
Il fait des grands pas pour arriver à ma hauteur et on se prend dans les bras pour se saluer. J’étais sortie avec lui pendant une période et c’était du sérieux mais on avait décidé qu’il fallait arrêter parce que… Pourquoi d’ailleurs ? Bref, dans tous les cas on avait décidé de rester amis solide jusqu’à tout jamais.
_ Comment ça va bien ? Demande il et je ne peux pas m’empêcher de sourire.
_ Ça va super et toi, petit chenapan ?
_ Eh, pourquoi chenapan ? Demande il et on éclate de rire.
J’étais tellement contente de le revoir, c’était la personne que je préférais après ma famille et Natasha, le number one de tous les temps.
_ Ça va, j’ai profité d’être dans le coin pour venir.
_ T’es là pour combien de temps ?
_ Je repars lundi matin, malheureusement.
_ C’est chiant hein, je dis déçue.
_ J’ai pas le choix Mily …
_ D’ailleurs j’ai entendu à propos d’hier soir…
Il renverse sa tête en arrière puis se passe les mains sur le visage.
_ Ouais, relou le mec, dès que j’arrive déjà des problèmes…
_ T’es le boss, c’est pour ça, je dis en lui donnant une tape amicale sur le torse.
_ Mais en même temps, je sais pas moi, c’est une usine abandonnée, y’a bien des trucs qui pourrissent là dedans aussi, et si il a envie de ramasser les déchets, y’a pas de problème mais qu’il me dise d’organiser quelque chose pour les jeter, j’ai pas le temps pour ces conneries. En plus il a pas à me faire la leçon.
_ J’avoue, mais vous vous êtes engeulés forts où c’était juste une petite remise en place ? Je demande inquiète.
_ Entre les deux, je suis crevé moi et on m’embête avec ça.
_ T’as pas peur qu’il nous dénonce ?
_ Il va pas nous dénoncer juste parce que je n’ai pas voulu lui tenir la main et ramasser les déchets avec lui.
_ On ne sait jamais…
Il renverse encore une fois la tête en arrière et repasse les mains sur son visage.
_ Quand j’aurais le frique, j’achèterai l’usine et on aura plus de soucis, t’inquiète.
J’éclate de rire, un rire qui venait du coeur, il était tellement sincère que je n’arrivais pas à m’arrêter.
_ C’est parce que t’as dix huit ans que tu crois pouvoir tout faire ? Mais mec, une usine ça s’achète pas comme une petite canette de bière.
Il semble se rendre compte qu’il était peut être un peu trop ambitieux.
_ Ouais ouais ouais, répond il en souriant, avec un ample geste de la main, l’air de dire « arrête de juger ».
_ Donc pour en revenir au fait, il s’appelle comment l’autre ?
_ Félix.
_ Tu le connaissais ?
_ Plus où moins, j’ignorais pas son existence.
_ Il vient avec qui ?
_ Tu te souviens du rouquin ? Celui avec sa guitare électrique là et qui prend l’usine pour une salle de spectacle ? Je crois que c’est son pote.
Je hoche la tête.