Quand le temps pourri oblige un live (de qualité)

Par C05i Selma

Après avoir refermé la porte pour étouffer les bruits qui venaient du rez de chaussée, j’installe mon smartphone sur le trépied puis lance le live à dix neuf heures trente tapantes. J’étais assise devant une grande planche en bois posée sur des tréteaux, sur une chaise bien plus confortable que celle qui trônait dans ma chambre.

- Coucou tout le monde, c’est Mily coeur, vous allez bien ? Je vois que vous étiez nombreux à attendre le live, je déclare en voyant le grand nombre qui s’affichait à l’écran.

- Je vous retrouve aujourd’hui dans ma « pièce créative » on va dire … Je dis en mimant les guillemets avec mes doigts.

- ...Comme vous pouvez le remarquer, je continue en faisant un grand geste du bras pour montrer mon bureau bien rangé, où ordinateur, carnets de croquis et crayons de toutes sortes étaient à leur place.

- Il me semble que je vous avais dit que je serais chez GT aujourd'hui mais vu le mauvais temps … Je dis en tournant la caméra pour que mes folowers puissent apercevoir par une des deux fenêtres, la pluie tomber à flots.

- On remarque bien qu’on est en hiver … Bref, aujourd’hui on m’a livré une chose imprévue ! Je dis, excitée, en montrant la boite à la caméra.

- Vous le savez tous, je collabore avec Pimper depuis maintenant plus d’un an, c’est une marque de qualité, que je surkiffe et ils m’envoient une paire de patins toutes les saisons. Cette année, comme l’hiver dernier j’ai décidé de laisser carte blanche à la marque pour m’envoyer la paire de leur choix. On va donc les découvrir ensemble parce que je ne sais absolument pas à quoi elles ressemblent ! 

J’ouvre délicatement la boîte et ôte le papier qui recouvrait l’objet. Je porte mes mains à mes joues et ouvre la bouche.

- Elles sont magnifiques ! 

Je sors mes nouveaux bijoux de leur emballage pour pouvoir les détailler à la caméra.

Elles étaient d’un vert sapin mat partout sauf au niveau des lacets et des quatres roues qui étaient d’un fuchsia foncé.

- On peut dire qu’elles vont bientôt rejoindre la famille ! Je dis et tourne encore une fois la caméra pour que la vue soit centrée sur le mur opposé à mon bureau.

Ici, se trouvaient toutes mes paires sans exception de la première à celle de la dernière saison. Mes préférées, ( les pastels de cet été, la paire holographique et celle à paillette ) reposaient sur une étagère fixée sur le mur recouvert de papier peint. Les autres paires étaient stationnées dans leur compartiment respectif, dans le meuble à chaussures noir.

- D’ailleurs vous étiez nombreux à me demander si ma collection de bombes avance… 

Je tourne à nouveau mon téléphone pour me retrouver face au petit bout de mur encadré par les deux fenêtres. À cet endroit, se trouvaient des étagères du même gabarit que celle où reposait mon top trois de rollers. Elles étaient accrochées les unes par dessus les autres et j’avais déposé certaines de mes bombes de peintures dessus.

- Vous pouvez voir que le mur est rempli, je pensais continuer au dessus du bureau oo sur le mur à côté de la porte…  Je dis en tournant une énième fois la caméra vers l’endroit concerné.

- Vos conseils sont les bienvenus en tout cas. 

 

Je finis le live en racontant ma journée et en montrant ma tenue de la soirée aux abonnés qui venaient en plus grand nombre au fil des minutes. J’appuie sur le bouton pour me déconnecter, après avoir promis à ma communauté que je leur donnerais bientôt des nouvelles de mes nouveaux protégés.

- Émy, on mange ! Crie Axel depuis le rez de chaussée.

Je ne répond rien, je me contente de descendre lentement et de m’installer sur la chaise après avoir passé la grande embrasure.

Une assiette remplie ainsi qu’un bol de soupe étaient déposés sur la table en verre, devant moi.

-  Comment s’est passé ta journée ? Demande Axel, alors que je prenais ma première bouchée.

Je soupire, pose ma fourchette et m’appuie contre le dossier de la chaise.

- C’est toujours la même chose, j’essaye, je vous jure que j’essaye, mais c’est impossible d’écouter la voix trainante du prof d’histoire plus de dix minutes surtout quand je pense aux potins qui courent au lycée, je déclare en mode « drama queen ».

Les deux hommes se regardent en souriant et Max décide de faire son curieux, comme à son habitude.

- Quoi comme sorte de potins ?

Je lève les yeux au ciel.

- Tu crois pas avoir dépassé cet âge ?

- Les vieux sont exclus, je précise et décide de changer de conversation.

Je demande à Max :

- Beaucoup de clients aujourd’hui ?

- Plus où moins, ça reste régulier…

Il travaillait dans un restaurant installé sur une péniche où les gens aimaient bien boire un café en travaillant un peu, avec la vue sur l’eau du petit port. Honnêtement, je m’intéressais bien plus à ce métier qu’a celui de chirurgien esthétique, que pratiquait Axel.

 

La sonnerie de mon téléphone me tire de mon sommeil. Endormie, j’attrape mon smartphone qui reposait sur le rebord intérieur de la fenêtre. Il était visiblement neuf heures et demie et j’étais seule à la maison. Je commence dans un premier temps par tchèquer les réseaux à la recherche de news intéressantes puis je me dis, comme chaque samedi, que je ne devais pas tarder. Je me lève donc cotre mon gré et file me laver rapidement pour enlever tout vestige de sommeil.

Je ressors de ma salle de bain dix minutes plus tard sapée d’un t-shirt Calvin Klein et du même jogging qu’hier. Plus les minutes passaient plus j’avais peur de devoir faire attendre Natasha à qui j’avais donné rendez vous à dix heures.

 

Je la vois en effet appuyée contre le mur en crépi de la salle de sport, devant l’entrée. Elle était absorbée par l’écran de son portable. 

- Nat ! Je crie et elle lève la tête.

On se connaissait maintenant depuis cinq ans, depuis la sixième. On avait été bonnes amie mais on s’était rapprochées de ouf quand GT avait ouvert. Cette année là, je l’avais aussi croisé par hasard à la salle et depuis, on s’entraînait toujours ensemble. Elle avait des origines ukrainiennes, un petit accent, des cheveux longs, lisses et d’un brun foncé, ce que j’enviais tellement. Les miens étaient châtains, longs jusqu’aux épaules et légèrement ondulés. Après avoir vécu pendant sept ans en Ukraine, elle était venue vivre en France avec le destin de trouver la meilleure amie du monde. Moi.

J’arrive à sa hauteur.

- Salut, me dit elle, un petit sourire aux lèvres.

- Prête à aller bosser ?

- C’est plutôt à toi que je devrais le demander, fait elle.

- Je suis toujours prête.

- D’ailleurs j’ai un truc à te raconter, ça promet dur …

- Vas y, c’est quoi ?

- Non, je te raconterais tout à l’heure on pert du temps là.

- Aller…

- Non, t’avais qu’a ramener ton gros cul plus tôt.

 

On sort quelques minutes plus tard des vestiaires. J’avais mis un leggings moulant noir avec ma brassière de sport Tommy Hilfiger colorée. Natacha n’avait toujours pas voulu me raconter ce truc dont elle m’avait parlé tout à l’heure et je commençais à croire que c’était le potin du siècle. Je me réjouis donc d’autant plus.

- Tu vas me le dire oui où non ? Je dis de plus en plus excitée quand on arrive dans la grande salle occupée par un maximum de gens.

Mon amie avait le sourire aux lèvres, bien décidée à ne pas me répondre avant le moment voulu. Elle adorait me faire attendre et moi je le détestais, ce qu’elle savait bien. On se dirige vers les tapis de course, ce par quoi on commençait à chaque séance. Ne croyant pas qu’elle allait me dévoiler cette « fameuse » chose avant la fin, je commence à courir après avoir enclenché mon appareil sur les bons réglages.

Ça faisait à peu près dix minutes qu’on courait à une vitesse constante, qu’on augmentait un peu plus chaque semaine quand Nat décide de cracher le morceau.

- Hier, j’étais chez GT.

- Ah ouais ? Je dis en essayant de garder le même rythme de respiration qu’avant.

- D’ailleurs Tim était là

- Super, il a pile choisi le jour où j’étais pas là… Bon vas y, continue.

- Il s’est embrouillé avec un autre mec.

- Qui ça ?

- Connais pas, mais plutôt BG d’apparence.

- Tu vas te décider à ne pas laisser d’énormes pauses entre tes informations, ça m’énerve !

- Bon ok, ils étaient au « bar » et moi juste à côté. Je faisais semblant de regarder mon tel en les écoutant et le gars inconnu là, il a reproché à Tim que c’était le bordel. Qu’on laissait traîner les bombes et les canettes n’importe où dans la brousse et que ça polluait vachement. Il lui a dit qu’il serait bientôt temps d’entreprendre un truc parce que nos déchets s’accumulent ici depuis deux ans sans jamais être ramassés et ils sont emportés par le vent, un truc dans le genre. Et après Tim, il lui a demandé ce qu’il voulait qu’on fasse, que s’il y tenait vraiment il avait qu’à le faire tout seul mais qu’il avait pas le temps de s’occuper de ces sortes de conneries, tu vois.

- Donc en gros il lui a dit : démerde toi.

- C’est ça, en même temps c’est bon quoi, on est là pour s’amuser.

- Toujours ces petits écolos qui sont là pour prouver qu’on a tort, mais il a réagi comment après ?

- Il a essayé de lui expliquer des trucs prouvés scientifiquement je crois, pff.

- Mais qui passe son temps libre a faire ça ? Y’a que les intellos, ils ont pas de vie je te jure.

- Tim, il lui a redit qu’il s’en battait les reins et l’autre il a commencé à s’énerver un truc de fou, genre trop débile.

- Faut grandir, je dis en rigolant.

- Au final, Tim il lui a dit que si ça lui plaisait pas il avait qu’a dégager et ne pas revenir, qu’ici on s’éclatait et qu’on s’amusait pas à recycler.

- T’as pas capté son nom ?

- Non, dommage on aurait pu le rechercher sur les réseaux.

- Son âge ?

- Environ seize, dix sept il me semble, fin tu vois un peu comme nous.

- Ouais et il ressemble à quoi ?

- Grand, cheveux châtain blond bouclés, coiffure BG, je dois l’avouer, puis il s’habille pas trop mal.

- C’est déjà ça, et il tag depuis longtemps ?

- Mais qu’est ce que j’en sais moi, je suis pas agent secret !

- Pardon t’aurais pu le voir un jour, ‘fin j’sais pas.

Mes jambes commençaient à trembler, c’était toujours ça au bout de vingt minutes mais il fallait résister dans la tête et ça passait tout seul.

On se tait pendant un bon bout de temps et je réfléchis à notre conversation. Il devait vraiment être invisible si Nat ne le connaissais pas, mais ça collait pas avec le fait qu’il soit BG, on l’aurait remarqué direct. Ce genre de personnes m’insuportait : les petits écolos qui voulaient prouver leur théorie, mais merde à la fin, qu’ils vivent leur vie comme ils veulent mais qu’ils n’essayent pas de changer la nôtre !

Au bout d’une heure, nos deux tapis s’arrêtent. J’étais en sueur et ma meilleure amie aussi.

- Figures toi que t’es une des premières à le savoir, m’informe elle.

Je réfléchis un instant avant de savoir de quoi elle parle.

- C’est obligé non ?

- Pas faux.

 

Après une autre heure, pendant laquelle on avait travaillé les muscles des jambes et les abdos, Natacha déclare en s’asseyant sur le sol de la salle de sport.

- Fini.

- Enfin, je précise, puis je demande.

- Tu crois qu’il reviendra ?

- Qui ça ?

- Bah l’écolo.

- Ah ! Lui, j’en sais rien. Après son échange avec Tim hier, j’en doute mais on sait jamais. En tout cas si je le vois quand t’es pas là, je prend une photo discrétos.

- Hehe, merci, j’ai trop envie de voir à quoi il ressemble.

- Et pourquoi ça ? Demande Nat sceptique.

- Bah pour voir si je peux le classer dans la catégorie écolo-intello tout compris, je dis et on s’esclaffe en quittant la salle.

- Tu viens chez moi ? Personne n’est à la maison.

- Parfait, marché conclut, dit elle avec un clin d’oeil.

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