Quatrième partie

Tout se dégrade le lendemain. Je délaisse mon potager, je délaisse mes carnets, je ne vais pas marcher. Cette forêt est belle, je le sais, mais aujourd'hui, je ne veux plus observer, je ne veux plus écouter.

Je me rends dans l'arbre-tunnel et me mets à creuser. J'utilise la pelle de la cabane pendant des heures, mais je ne parviens jamais à voir la lumière de l'autre côté. Vers la fin de la journée, l'outil finit par se casser, alors je poursuis avec mes mains. Je creuse, creuse et creuse encore. Je hurle. Mais rien.

Quand je sors enfin, la chaleur est étouffante. La sécheresse ternit l'écorce des séquoias et leurs épines deviennent brunes. Cela rend la forêt encore plus magnifique. Les couleurs changent et offrent de nouveaux tableaux, annonçant l'approche d'une nouvelle saison.

L'automne, déjà. À croire que le temps s'accélère et fait n'importe quoi. Je n'ai pourtant pas l'impression d'avoir passé toute une saison ici...

À la cabane, je m'assois sur le perron et tente de réfléchir. Je me mords les lèvres, profondément agacée. Pourquoi je ne me rappelle pas ? Cette voix, à la radio, je la connais pourtant bien, mais la mémoire ne me revient pas. Quelque chose se sert, dans ma poitrine.

Tac! Tac! Tac! Tac! Tac! Tac !

Tac! Tac! Tac! Tac! Tac! Tac !

Quel boucan pas possible, c'est insupportable ! Je lève les yeux sur le pivert, qui s'agite comme un forcené sur la colonne de bois juste à côté de moi.

TAC ! TAC ! TAC ! TAC ! TAC ! TAC !

Ça résonne si fort dans ma tête que la colère déforme mes traits.

Je veux tuer ce satané piaf.

Oui, je vais le tuer !

Je me lève vivement et me précipite à l'intérieur pour me saisir de la carabine. Quand je ressors et que je vise l'oiseau, ce dernier s'envole immédiatement, effrayé. Alors je prends conscience de ce que je m'apprêtais à faire. Après avoir jeté le fusil loin de moi, je m'assois de nouveau sur les marches et cache mon visage derrière mes mains.

Puis la radio s'allume. Son message, cette fois, est clair. Il ne cesse de tourner en boucle.

« Salut, j'espère que tu m'écoutes. J'ai besoin de toi, je veux que tu reviennes. Salut, j'espère que tu m'écoutes. J'ai besoin de toi, je veux que tu reviennes. Salut, j'espère que tu m'écoutes... »

Il me fait pleurer, ce message.

Pourquoi ? Pourquoi, dans cette forêt magnifique, je me sens soudain si mal ?

 

*

 

J'ai dormi dehors, cette nuit, à même le sol. J'ai cessé de paniquer, même si je me sens toujours très seule. Quand l'aube a traversé de nouveau la canopée, le pivert est revenu.

Tac !... Tac !... Tac !

Il a retrouvé ce rythme régulier, étrange pour son espèce, mais habituel pour moi. Le ciel est beaucoup plus sombre qu'hier. Visiblement, un orage va bientôt éclater.

Je rentre dans la cabane pour me mettre à l'abri. Il vaut mieux rester à l'intérieur aujourd'hui. Je jette un œil à cette maudite radio. Son voyant est allumé, mais elle ne produit aucun son.

Tant mieux.

Je m'assois face au bureau et inspire profondément. Au fond, ce message n'a pas d'importance. Peu importe qui cherche à me contacter, cette personne a décidé de ne pas se déplacer, de ne pas consacrer son énergie à me chercher physiquement. Et dans le cas contraire, des battues ont sûrement été organisées et ce n'est qu'une question de temps avant que l'on me retrouve.

Bon.

Vu le temps, autant que je me consacre à mes carnets. Mais quand je me lève pour aller les chercher, la radio se met à grésiller. Je me fige.

« Salut, j'espère que tu m'écoutes. J'ai besoin de toi, je veux que tu reviennes. Retrouve-moi à la tanière. »

La tanière ? Celle que j'ai trouvée en suivant la piste de l'ours ? Drôle d'endroit pour un rendez-vous. Je me penche pour entendre le message une seconde fois, histoire d'être sûre d'avoir bien compris, mais la radio s'éteint complètement.

Je lève les yeux vers la fenêtre. Je ne vois pas comment je pourrais rencontrer la personne qui émet ce message à la tanière, surtout que je n'ai croisé personne depuis des semaines.

Mais si c'était vrai ? Et si – enfin! – quelqu'un avait retrouvé ma trace ? Non, vraiment, je ne peux pas laisser passer cette occasion, même si elle est certainement fausse.

Dehors, la météo ne s'arrange pas. Peut-être vaut-il mieux attendre demain ? Mais peut-être que demain il n'y aura plus personne... Non, il faut y aller maintenant, c'est probablement ma seule chance de rentrer.

Je me fais un sac de provisions et prends la carabine. Sans attendre, je sors de la cabane et traverse le potager. Je regarde mes plantations comme si c'était la dernière fois. Pourtant, rien de sûr.

Je remonte la piste jusqu'à la tanière et, très vite, je m'aperçois que je suis suivie. Derrière moi, le pivert vole de tronc en tronc.

Poc !... Poc !... Poc !

Son bec s'enfonce dans l'écorce creuse.

Décidément, je ne comprendrai jamais cet oiseau. Il a l'air de s'être attaché à moi alors que je ne l'ai jamais nourri, jamais touché. C'est tout à fait contraire à l'ordre naturel. Enfin... En y réfléchissant, il n'y a pas grand-chose dans cette forêt qui respecte l'ordre naturel : des plantes et des espèces qui ne devraient pas être là, un pivert qui tape contre le bois de manière régulière, des saisons qui passent à toute vitesse... À croire que cette forêt appartient au pays des merveilles.

Quand j'atteins enfin la tanière, pas d'ours, pas d'individus. J'aurais dû m'en douter.

Mais quitte à être arrivée jusqu'ici, autant visiter les lieux plus en détail. J'entre dans l'immense séquoia renversé et découvre des restes de poisson. La maman ourse a dû pêcher pour nourrir ses petits. Je me demande bien où ils sont allés... L'endroit était plutôt idéal pour leur semi-hibernation, alors pourquoi partir ailleurs ? Peut-être que l'approche de l'orage les a inquiétés. D'ailleurs, j'entends les premiers grondements du ciel, qui se rapprochent de plus en plus. Il vaudrait mieux rentrer.

Et justement, quand je sors de la tanière, un éclair jaillit.

CRAAAACK !

Pas de doute, il a touché un arbre géant

De la fumée noire envahit peu à peu la canopée, rendant le ciel encore plus sombre. Bientôt, ce sont des flammes qui prennent le dessus. Les aiguilles des séquoias s'embrasent comme une traînée de poudre. La sécheresse des derniers jours n'arrange rien, bien au contraire. Les troncs s'enflamment les uns après les autres et, très vite, je suis encerclée.

Il ne faut pas rester là !

La rivière, c'est le seul endroit où je serais en sécurité. Je cours aussi vite que possible, mais le feu est plus rapide que moi. Il parcourt la terre et détruit tout sur son passage. Le brasier me poursuit avec acharnement comme un chasseur traquant sa proie.

Non, il n'y a pas pire prédateur que le feu.

Les flammes commencent à me dépasser sur les deux côtés du chemin.

TAC! TAC! TAC ! TAC! TAC! TAC !

Le pivert ne m'a pourtant pas suivi, mais je l'entends résonner aussi fort que la veille.

Le plus proche point d'eau est encore loin. Est-ce que je vais réussir à m'en sortir ? Bon sang ! Pourquoi ai-je écouté ce signal radio ? J'aurais pu rester à la cabane, en sécurité, et continuer à vivre comme je l'entendais. Satanée solitude, c'est à cause d'elle que j'ai tout fichu en l'air !

PAF !

Mon pied bute contre une racine et je m'étale sur le sol de tout mon long. Quand je lève les yeux sur le sentier, il a déjà disparu derrière un incendie. Ma cheville me fait souffrir, je n'arrive pas à me relever. Je roule sur le dos et laisse le cercle de flamme se resserrer autour de moi. C'est fini. Oui, cette fois, c'est vraiment fini, je suis foutue.

Je ferme les yeux, vaincue.

TAC! TAC! TAC ! TAC! TAC! TAC !

Tac !... Tac !... Tac !... Tac !... Tac !... Tac !

Tac... Tac... Tac...

Le pivert est mourant.

Avec lui, c'est mon cœur qui s'éteint.

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