Quatrième partie : Les autres. Chapitre 17 - Les jambes de pantalon

Par Keina

Durant les mois qui suivirent, Angie aida Ianto à chercher l’univers dans lequel vivaient Jack et l’autre Ianto. Après tout, ils travaillaient au bureau de Classification des Mondes, l’un des rares endroits du multivers où les mondes étaient identifiés, classés et répertoriés… Andy s’y mit également sans poser plus de questions, et ce fut Ianto lui-même qui répondit un soir à ses interrogations.

— Oh, fut la réaction du blond lorsque Ianto lui expliqua la nature de ses relations avec Jack. Je me demande bien de quoi il a l’air, ce beau capitaine, pour t’avoir fait virer ta cuti, ajouta-t-il avec un clin d’œil malicieux.

À ces mots, Ianto piqua un fard (encore – ça commençait à devenir une habitude, dès qu’il évoquait sa vie sexuelle en présence de quelqu’un), mais il tenta de répondre assez naturellement :

— Eh bien, c’est juste… enfin, c’est… c’est lui, c’est tout. Mais, dans ce, euh… royaume, la… la bisexualité, ça semble être un peu la norme, non ?

Pour une fois, ses deux collègues s’étaient invités dans son cottage, à la propreté étincelante. Angie n’arrêtait pas de fureter de ci de là, sourcils froncés, pour tenter de trouver un grain de poussière ou mieux, un magazine porno mal rangé qu’elle aurait pu brandir triomphalement sous le nez du Gallois. Elle releva le nez de l’étagère de livres qu’elle était en train de passer en revue.

— Si tu crois ça, Jones, c’est que tu n’es pas encore beaucoup sorti de chez toi. Un jour, je vais t’emmener dans les Salons à l’heure d’affluence, et tu vas voir ce que c’est que de vivre ici. De préférence, un jour où les Horribles Silfes de la Haute sont tous là. Une belle bande de salopards, ceux-là, pires que tous les salopards réunis de la Logistique. Jane et Andy ont souffert toute leur vie à cause d’eux. Et ils sont de leur propre sang !

— Tu exagères, Angie, tempéra le blond. Ils ne sont pas tous comme ça. Ray et sa bande, je ne dis pas… (il releva les yeux vers Ianto.) Ray est le demi-frère de Jane, une authentique petite ordure, rien à voir avec sa sœur. Mais Eoin et sa femme Lynn sont des gens bien, et les jumelles manquent simplement de personnalité…

— Les deux reines des glaces ? Ah ! Deux belles garces, oui. Elles te font des courbettes, et derrière ton dos racontent les pires horreurs ! Mais je leur ai lancé une malédiction, elles ne vont pas rire longtemps, ajouta Angie avec un sourire machiavélique.

— Angie, tu n’as pas le pouvoir de lancer des malédictions…

— Que tu crois ! T’imagines pas tout ce que j’ai appris en potassant ce manuel vaudou. Enfin, je n’incluais pas Eoin et Lynn, tu penses. Un rouquin et une obèse qui se marient et qui ont eu le bon goût de nous pondre une petite merveille d’intelligence… Ils sont bien trop cool pour faire partie de la clique des Horribles Silfes de la Haute.

— Et Jane et moi ? demanda Andy avec un petit sourire.

— Toi, t’es homo depuis que t’es né, et t’es né au Dix-neuvième siècle, alors plus cool que ça, je ne vois pas. Jane… bon, c’est vrai qu’elle se fait continuellement maltraiter par sa famille. Mais elle est tellement… tellement gentille ! (Elle fit une grimace sur ces mots.) Elle ne pourrait pas… je ne sais pas, utiliser ses super-méga-pouvoirs de Gardefée pour mater son frère une bonne fois pour toute ?

— Comment ? En le sauvant d’une balle perdue ? En lui jetant son empathie à la figure ? répondit Andy. Je te rappelle que les Gardefés ne peuvent pas utiliser leurs pouvoirs pour blesser ou tuer, seulement pour soigner et protéger.

Il coula un regard vers Ianto, qui haussa les épaules.

— Exact. Ça, c’est une vraie malédiction ! J’étais bon tireur, avant. Maintenant, tout ce que je pourrais abattre, ce sont les feuilles d’un arbre, et encore. J’ai fait le test : ça m’est… physiquement impossible. Je suppose que c’est pareil pour Jane. Je lui en ai voulu, au début. Mais d’après ce que j’en sais, elle n’y est pas pour grand chose, alors…

Angie se rassit en maugréant, et avala une gorgée de Chardonnay.

— Bon, en tout cas, Ianto, on va t’aider à le trouver, ton capitaine, continua Andy. Mais ça ne va pas être forcément très simple… Il existe une infinité de mondes parallèles, tu sais, et notre bureau en répertorie chaque semaine des dizaines de nouveaux.

— Ouais, mais on peut oublier les échos, intervint Angie.

— Les échos ?

Ianto fronça les sourcils.

— Tu sais, les mondes secondaires. Les petites jambes de pantalon. Devant l’air toujours plus perplexe du Gallois, elle précisa : Les jambes de pantalon ? Ça ne te dit rien ? Les mondes parallèles sont autant de jambes du pantalon du temps : chaque fois qu’un événement est modifié, une nouvelle jambe se forme… C’est l’écrivain anglais Terry Pratchett qui a théorisé ça, sans même connaître l’existence du Royaume Caché. Andy, tu ne m’enlèveras pas l’idée que c’est un Imagineur !

— Tous les grands écrivains n’en sont pas, sinon ça se saurait, lui rétorqua Andy.

— N’empêche, lui, c’en est un, obligé. Bref, il y a des modifications majeures, qui forment de nouveaux mondes majeurs. Par exemple, dans mon monde d’origine, le Danemark était une dictature, et les Flandres, où je suis née, étaient en guerre contre les Danois. Je ne crois pas avoir vu cette Histoire dans beaucoup d’autres mondes… Et puis il y a les modifications mineures, comme une porte d’entrée qui change de couleur ou deux personnes qui ne se rencontrent pas. Ces jambes de pantalon finissent par s’estomper, un peu comme des ricochets dans l’eau. Il n’y a pas d’Imagineurs dans les échos, donc ça en fait déjà pas mal à éliminer.

— Mais il nous en reste beaucoup trop, fit remarquer Andy tout en picorant la croûte de sa pizza, sur laquelle il restait de la sauce tomate. Tu as essayé en tapant des mots clés dans la base de données ?

Angie, qui s’était relevée pour contempler par la fenêtre les cimes du Royaume, balança une main négligente à son attention.

— Tu me prends pour quoi ? Une newbie ? Bien sûr que oui ! On a rentré « Torchwood », mais il existe des milliards de Torchwood à travers tous les univers !
Ianto hocha le menton.

— Angie dit vrai. Chez moi, Torchwood est un organisme britannique qui surveille l’activité des super-héros, mais dans l’univers que je cherche c’est un institut, créé par la Reine, pour protéger l’Angleterre contre les agressions extra-terrestres…

— Et dans d’autres univers, poursuivit Angie, c’est parfois une institution de jeunes surdoués, une branche secrète du MI-6, un orphelinat, une école militaire, une secte, un groupe de rock, voire même le nom d’une série télé, d’un film ou d’un comic book ! « Torchwood » existe partout, ça va être quasiment impossible de trouver le bon, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin… Si on veut trouver quelque chose, il va falloir passer par les données de contacts répertoriés, et espérer que Jack Harkness, Gwen Cooper, Owen Harper ou Toshiko Sato s’y trouvent quelque part. Pour le moment, ça n’a rien donné, mais avec ton aide, peut-être…

— Cheffe, compris, cheffe, s’exclama Andy en riant. On va le retrouver, le beau capitaine. Je suis bien trop curieux de le rencontrer !

Ianto se leva pour débarrasser les assiettes vides. Il était reconnaissant à ses deux collègues de se donner tant de mal pour l’aider, mais au fond de lui, il doutait de trouver si facilement l’univers de Jack Harkness. Et s’il le trouvait, que se passerait-il ? Plus le temps passait, et plus la relation entre Jack et l’autre Ianto prenait un tour romantique. Parfois, il se réveillait avec l’impression désagréable de n’avoir été qu’un intrus, un parasite entre les deux amants. Il avait beau vivre ses rêves comme s’il était dans la peau de l’autre lui, il craignait sans cesse d’être découvert.  

 

Lorsqu’Adam s’invita à Torchwood, sa crainte se transforma en réalité.

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