Quelques jours avant le régicide

Notes de l’auteur : Chapitre ajouté le 23/11/2024.

Alexander frissonna en s’engageant sur le rempart, resserra les pans de sa cape ourlée de fourrure autour de ses épaules. Un nuage de buée s’échappait de sa bouche. Son cœur se réchauffa lorsqu’il aperçut Altaïs accoudé sur la pierre, indifférent à la brise nocturne qui cinglait son visage.

— Votre Altesse.

Altaïs se tourna vers lui, appuyant son dos contre la pierre du rempart. Même s’il s’évertuait à le cacher, Alexander le sentait préoccupé.

— Altaïs… Appelle-moi Altaïs lorsque nous sommes tous les deux.

— Altaïs…

Le nom glissa sur la langue d’Alexander comme une caresse.

— Que se passe-t-il ?

Altaïs ferma les yeux un instant, passa une main tremblante sur son bras.

— Je ne sais pas. Ce n’est sans doute rien, mais j’ai ce pressentiment depuis quelques jours, l’impression que quelque chose de grave est sur le point de se produire.

En le voyant réprimer un frisson, Alexander dut lutter contre l’envie de le prendre dans ses bras, pour le réchauffer, le rassurer. Il aurait voulu affirmer qu’il serait là, quoi qu’il se passe, qu’il veillerait sur lui, mais il savait qu’il n’avait pas le pouvoir de lui faire cette promesse. Trop d’enjeux lui échappaient, trop de vérités s’effaçaient, enfouies sous le silence.

— Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous aider, pour que vous ne soyez pas seul.

Un sourire courba les lèvres d’Altaïs, creusa des ombres sur son visage.

— Je voudrais tellement pouvoir partir, Alexander. Être libre de m’éloigner de ce palais de malheur et de ne jamais y remettre les pieds.

— Eh bien, je dois vous suivre où que vous alliez, badina Alexander. Je serais contraint de vous accompagner, pour vous surveiller, bien entendu.

— Et que dirais-tu si l’on nous retrouvait ? Que tu as malencontreusement failli à ta tâche qui consistait à t’assurer que je reste sagement au palais ?

— Je pourrais toujours affirmer que vous m’avez enlevé.

Altaïs laissa échapper un rire léger, éthéré.

— Un prince qui enlève son garde… Je ne suis pas certain que ce soit très réaliste.

— Et un garde qui tombe sous le charme du prince qu’il doit protéger ?

Les joues d’Altaïs se parèrent d’un voile aussi rosé que le crépuscule. Cela faisait des semaines qu’ils se tournaient autour, depuis le début peut-être, mais c’était la première fois que l’un d’entre eux évoquait leur relation de manière si explicite. Parce qu’elle n’avait rien de conventionnel, que ce soit à cause de leurs statuts respectifs ou de leur sexe. Et Alexander discernait dans le regard d’Altaïs la peur que cela faisait naître en lui.

Même si le Protecteur s’était efforcé de rester sourd à ce qu’il entendait, il lui avait été impossible de manquer les rumeurs qui avaient couru au sujet du prince, de la tempête qui avait secoué la famille royale lorsque cela s’était su. À quel point Altaïs en avait-il souffert ? Pourtant, ce fut le prince qui effaça la distance qui subsistait entre eux d’un pas affirmé.

— Et un prince qui tombe sous le charme du garde qui doit le surveiller ?

Alexander inclina la tête ; leurs visages étaient si proches que leurs nez se frôlaient. Que se passerait-il si quelqu’un les surprenait ainsi ?

— Je ne sais pas. Qu’en pensez-vous ?

Pour toute réponse, Altaïs posa une main sur sa nuque, caressa sa peau jusqu’à faire frissonner Alexander, remonta ses doigts dans ses cheveux blonds.

— Puis-je t’embrasser ?

Alexander ferma les yeux, le ventre embrasé par le désir.

— Tout ce que vous voudrez.

Le souffle d’Altaïs effleura sa bouche.

— Je voudrais bien plus encore.

Lorsque les lèvres d’Altaïs se posèrent enfin sur les siennes, Alexander frissonna, enivré par leur saveur, répondit au baiser comme s’il l’avait attendu toute sa vie. Sa magie crépitait dans ses veines, son cœur battait à tout rompre. Lui aussi voulait plus ; il désirait sentir le corps d’Altaïs contre le sien, il désirait le faire sourire, lui murmurer des mots doux dans le creux de l’oreille lorsque personne ne les regardait, s’introduire dans ses appartements le soir pour discuter jusqu’à ce que la fatigue les étourdisse.

Il désirait ce qu’ils n’avaient pas le droit d’avoir.

— Et si nous fuyions ? chuchota Alexander. Et si nous partions loin de ce palais ? Vous rêvez de pouvoir vous échapper, et rien ne me retient ici.

Cette idée était folle, mais ils étaient si jeunes encore. Alexander refusait de passer sa vie prisonnier du carcan de l’armée et de la royauté. Altaïs caressa sa joue avec tendresse.

— J’aimerais te dire oui, que nous allions chercher nos besaces et que nous récupérerions des chevaux aux écuries pour ne plus jamais revenir. Mais ma famille est bien plus impitoyable que tu ne l’imagines, ils ne me laisseront jamais m’échapper une nouvelle fois.

— Se contenteront-ils de vous laisser arpenter les corridors du palais ? On a menacé de vous faire disparaître, qui d’autre aurait eu cette audace si ce n’est l’un d’entre eux ? Chaque jour qui passe vous met davantage en danger.

Altaïs l’embrassa avec douceur, puis appuya leur front l’un contre l’autre.

— Tu as raison, chuchota-t-il. Mais j’ai peur.

Alexander referma ses bras autour de ses épaules.

— Cette fois, vous ne serez pas seul. Je vous en fais le serment.

Altaïs acquiesça avec un sourire si doux qu’Alexander ne put résister à la tentation de l’embrasser de nouveau.

— Laisse-nous quelques jours. Quelques jours pour que nous nous préparions. Quelques jours pour que nous partions.

Ses mots sonnèrent comme une promesse.

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Nathalie
Posté le 24/11/2024
Salut Mathilde Blue

Un chapitre doux, plein de promesses et tellement triste à la fois. Deux âmes qui veulent se réunir mais que la naissance interdit de réunir. Un Roméo et Juliette reécrit et très bien réalisé :)
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