Quelques mois avant le régicide

Notes de l’auteur : Chapitre ajouté le 23/11/2024.

Alexander frémit lorsque le regard glacial du prince Altaïs se posa sur lui, après qu’il ait soigneusement fermé la porte de ses appartements derrière lui, comme pour lui faire comprendre que le Protecteur ne s’immiscerait pas dans son intimité, quels que soient ses ordres. Altaïs se souvenait-il de lui, de cette scène dans un corridor quelques jours auparavant ? Si tel était le cas, il n’en laissait rien paraître, mais elle tournait en boucle dans l’esprit d’Alexander. Il ne parvenait pas à oublier ce qu’il avait entendu, ce qu’il avait vu.

Il inclina le buste avec respect, intimidé par la froideur qu’il dégageait et par la pâleur de ses iris, peut-être également pour s’empêcher de le dévisager.

— C’est donc toi, le Protecteur que l’on a affecté à ma surveillance ?

— À votre protection, nuança maladroitement Alexander.

Il risqua un coup d’œil vers Altaïs, s’attarda un peu trop longtemps sur ses traits fins.

— Nous savons tous les deux que tu es là pour me surveiller lorsque ma famille ne peut pas me garder à l’œil, pour t’assurer que je ne m’enfuirai pas de nouveau.

Cette fois, Alexander ne le contredit pas. La veille, il avait enfin été nommé Protecteur à l’issue d’une grande cérémonie dans la cour du palais, mais il avait à peine eu le temps de réaliser que c’en était fini des tours de garde dans les couloirs déserts que ses supérieurs lui avaient confié sa première mission : surveiller le prince Altaïs. Ce rôle aurait dû être attribué à un garde royal, mais le roi et l’adal avaient requis un Protecteur dont la magie lui permettrait de se défendre si le prince se montrait agressif. Il devait le suivre où qu’il aille, s’assurer qu’il ne fuit pas une nouvelle fois, protéger les autres et le protéger de lui-même, lui avait-on expliqué.

Pourtant, Alexander ne parvenait pas à associer cette image avec celle du jeune homme qu’il avait aperçu dans le corridor, acculé comme une bête traquée, blessée. Aux menaces qui avaient déchiré le silence. Il est grand temps que tu disparaisses. Tout sera bientôt fini. Alexander ne savait pas qui s’en était pris ainsi à un prince, mais Altaïs n’avait pas fui sans raison, et la violence dont sa famille avait fait preuve à son égard à son retour confortait Alexander dans cette idée. Il se souvenait parfaitement de la flagellation qui avait eu lieu dans la cour du palais, à la vue de tous, à l’horreur qui lui avait étreint la poitrine en apercevant le sang ruisseler sur le dos du prince. Lui qui n’avait jamais eu de famille ne comprenait pas que l’on puisse traiter ainsi l’un des siens.

— N’aies pas l’air si inquiet, soupira Altaïs. Ou je vais croire que tu me crains. Je ne sais pas ce que l’on t’a dit à mon sujet, mais je ne m’en prendrai pas à toi.

Soyez prudent, Alexander. Le roi et l’adal ont insisté sur le fait que le prince Altaïs est imprévisible, qu’il pourrait s’en prendre à vous par cruauté.

Foutaises. Si la cruauté consistait à s’opposer à la royauté, Alexander l’était sans doute lui aussi, à moins qu’il ne soit trop lâche pour cela.

— Je m’inquiète pour vous. Vous étiez blessé…

Altaïs se figea, et son masque se fendilla un instant pour laisser entrevoir sa surprise, puis un rictus étira ses lèvres, à mi-chemin entre l’amertume et la moquerie.

— Je ne pensais pas que l’on t’aurait demandé de jouer les Guérisseurs. Ne sais-tu pas que ma famille a interdit que l’on me soigne ?

Alexander tressaillit, horrifié par la barbarie dont faisait preuve le roi. Cela expliquait les bandages qu’il avait aperçus l’autre jour plonger sous la tunique d’Altaïs, sa posture raide et ses mouvements qu’il restreignait. Alexander répliqua avec aplomb :

— Qui saurait si je le faisais ?

Il se mordit la langue pour se contraindre au silence. Il s’était souvent montré insolent avec ses supérieurs durant ses années d’entraînement, une forme de revanche pour le garçon qu’il avait été et qui n’avait eu d’autre choix que d’intégrer l’armée, mais l’être avec un prince lui vaudrait peut-être plus que des coups de bâton. À sa grande surprise, Altaïs laissa échapper un rire léger, vaporeux dans l’atmosphère fraîche du corridor.

— Je m’attendais à un Protecteur docile, qui ferait preuve d’une loyauté aveugle envers la royauté.

— Vous semblez avoir présagé un certain nombre de choses à mon sujet.

L’ombre d’un sourire joua sur les lèvres d’Altaïs.

— C’est vrai, admit-il.

— Souhaitez-vous que je vous soigne ?

— Je ne te fais pas assez confiance pour cela.

Qu’avait-il cru ? Qu’Altaïs accepterait sa présence aussi facilement alors qu’elle lui était imposée pour renforcer les barreaux de sa prison ? Pourtant, Alexander était sincère dans son inquiétude, dans son désir de l’aider. Ne serait-ce que parce qu’il méprisait la façon dont la royauté écrasait ceux qui lui tenaient tête. Et parce que la détresse dans laquelle il avait découvert Altaïs quelques jours auparavant l’avait touché, avait trouvé un écho douloureux dans sa poitrine.

Alexander fut incapable de retenir la question qui lui brûlait la langue :

— Êtes-vous… Êtes-vous en danger ?

Altaïs se crispa.

— Je vais me permettre de te donner un conseil maintenant que tu gravites près du pouvoir : si tu veux survivre, ne te mêle pas de ce qui ne te concerne pas.

— Dans la mesure où je suis désormais votre Protecteur, la possibilité que vous soyez en danger me concerne.

— Tu dois me surveiller, rapporter mes faits et gestes : c’est tout. Mon conseil était sincère, ne cherche pas à faire davantage que ce que l’on t’a demandé.

Conscient qu’il n’obtiendrait rien de plus, Alexander inclina la tête. Lorsqu’il releva le menton, il eut la surprise de constater qu’Altaïs le scrutait toujours. Alexander ne put s’empêcher de songer qu’il le trouvait beau, fascinant, rougit en songeant que c’était la première fois que quelqu’un lui inspirait ce sentiment, et que s’enticher d’un prince méprisé par tous n’était sans doute pas la meilleure idée qu’il ait eue.

— Pourquoi t’ont-ils choisi ?

— Parce que même si mes supérieurs n’apprécient pas toujours ma langue trop pendue, ils reconnaissent mes compétences. Et que si jamais vous vous en preniez réellement à moi, ils ne seraient sans doute pas trop affectés par ma perte.

— Vraiment ? Les soldats de la Haute-Garde viennent pourtant de familles importantes, si ce n’est de la noblesse.

— Ce n’est pas mon cas.

Altaïs sembla apprécier sa sincérité, bien éloignée des courbettes hypocrites et des œillades lourdes de mépris qu’on lui accordait habituellement. Son regard avait perdu sa froideur au profit d’une certaine curiosité, et ses prunelles évoquaient davantage un lac qu’un glacier, malgré la méfiance qui les embuait.

— Comment t’appelles-tu ?

— Alexander, Votre Altesse.

— Tu m’intrigues, Alexander.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Nathalie
Posté le 24/11/2024
Salut Mathilde Blue

J'aime bien ce chapitre, où on découvre leur rencontre, leurs premiers mots. Très agréable. Les sentiments sont bien retranscrits :)
Vous lisez