– Sélène ! Comment tu vas ?
Cette voix fit sursauter la jeune fille. L’après-midi jeux de la veille occupait encore son esprit, occultant tout le reste. Elle avait hâte d’en parler à Chloé, qui arrivait vers elle. Sourire sincère. Indomptables frisottis. Pas élancés. Peut-être que son amie pourrait réussir à calmer la frustration qui s’était nichée dans sa poitrine.
Sélène était incapable d’exprimer ses sentiments au principal concerné, semblait soumise au moindre geste de Léo. L’amour donne des ailes, dit-on. Mais personne n’avait jamais émis l’idée d’être emprisonné par celui-ci.
– Ça va… Je crois, nuança Sélène.
– Tu crois ? Il faut que tu me racontes tout ce qui s’est passé hier !
– Ça risque d’être long, soupira-t-elle.
– Mais c’était bien, au moins ?
Un pli soucieux s’était dessiné sur le front de Chloé. Avait-elle tout deviné du désarroi qui emplissait Sélène ?
– Je ne lui ai pas demandé.
– Demandé quoi ?
– S’il avait reçu la lettre.
Un blanc. Quelques secondes à peine, et pourtant, une éternité. Chloé semblait encore plus déçue que son amie. Rien de nouveau sous le soleil. Peut-être se lassait-elle des histoires de Sélène ?
– Ah. Mais tu auras d’autres occasions, non ?
– Bien sûr qu’on se reverra. Je ne sais plus quand sera la prochaine après-midi jeux, mais au pire, il y a toujours l’école, réfléchit l’adolescente. Je suis vraiment idiote. J’ai eu plusieurs occasions, en plus ! Et chaque fois, j’abandonne au dernier moment. J’ai peur, je crois.
L’adolescente s’était emportée. En colère contre elle-même. L’amour lui prenait chaque atome de sa personne pour le donner à Léo, et pourtant, elle ne parvenait même pas à lui parler comme à une personne normale ! Mais il n’était pas une personne normale à ses yeux. Il était tellement plus.
– Peur de quoi ? continua Chloé. Tu sais, l’amour, ça me terrifie. Et en même temps, j’ai accepté d’être avec Félix. Et regarde ! Je suis encore vivante !
– Mais je fais comment, hein ?
– Il ne s’est vraiment rien passé entre vous deux ?
Alors Sélène pensa à toutes les sensations qui lui avaient étreint le cœur la veille, et commença à raconter. Le Loup-Garou, où deux coïncidences paraissaient improbables. Les regards échangés, cette bulle étrange qui les englobait tous les deux. Les parties d’Awalé à répétition, puis le cache-cache, après. Et les frissons qui l’avaient parcourue alors que Léo se tenait dans son dos, pendant qu’ils dégustaient leur part de tarte.
C’étaient des détails, insignifiants pour d’autres, mais tellement importants pour Sélène.
– C’est comme si on avait passé un accord tacite, conclut-elle. On s’aime, mais personne ne le sait. Nous n’en parlons pas entre nous… Mais c’est bien là. C’est bien réel.
– Ah, tu vois ! Il y a bien quelque chose entre lui et toi, Sélène. Je pense qu’il doit quand même être sous ton charme sans te le laisser paraître… Mais pour en être vraiment sûre, il faudrait lui demander la prochaine fois. Assure-toi que vous êtes seuls, comme ça tu as moins de stress, et vous serez plus tranquilles. Et tu lui poses la question ! Je suis certaine que tu peux le faire. Demande-lui s’il a bien reçu la lettre, et pour le reste, improvise. J’ai une énorme confiance en toi. Le moment venu, tu sauras exactement quoi lui dire, et tu feras les bons choix. Je te le promets.
– Tu crois vraiment ?
– Bien sûr, Sélène. Et puis même si par malheur, il ne partage pas les mêmes sentiments que toi… ce n’est pas grave, parce que tu l’auras toujours comme ami. Et je suis certaine que si cette fois n’est pas la bonne, tu trouveras un jour le véritable prince charmant.
La sonnerie interrompit le monologue enflammé de Chloé. Sur un dernier sourire encourageant, elle alla rejoindre Maïwenn et Norelia. Sélène la suivit plus lentement, méditant les derniers mots de son amie. Était-ce seulement possible qu’il n’éprouvât pas la même chose ? L’adolescente ne savait qu’en penser. Ça lui paraissait tellement improbable…
<3
Quelques jours plus tard, Sélène décida d’envoyer un message à Léo avant d’aller en cours.
« Est-ce que tu as lu le texte sur le Miroir du Riséd ? Je l’ai glissé dans ton bureau. C’est mon vœux le plus cher, et il te concerne… Tu comprendras quand tu liras. Il est écrit sur deux pages, dans une enveloppe avec ton nom écrit en pourpre. »
Les heures qui la séparaient de midi lui parurent être une éternité. La réponse de Léo pourrait révéler tellement de choses, répondre à tant de ses questions. Une heure passa. Puis deux. Le temps s’écoulait au ralenti. Enfin, la sonnerie annonça la pause de midi, et Sélène put vérifier si Léo avait reçu le message – oui – et s’il l’avait lu – non.
– Eh, Sélène ? murmura Norelia pendant le cours de français. Pourquoi tu t’es ruée sur ton tél à midi ? Tu attends une réponse de quelqu’un ?
La jeune fille s’était crue moins enthousiasmée que cela, et pourtant. Sa meilleure amie avait remarqué sa précipitation.
– Je me suis pas ru…
– Menteuse. Tu oublies toujours de le rallumer, d’habitude. Il se passe quoi ?
La jeune fille se sentait piégée. Huit minutes au moins séparaient les élèves de la fin du cours ; et Norelia ne lâcherait pas l’affaire, elle en était certaine. En effet, même en se dépêchant, Sélène ne put échapper à l’interrogatoire de son amie. Celle-ci aurait pu travailler dans la CIA tant elle était perspicace.
– Alors ?
– Hm… Quoi ?
– Tu sais très bien ! Qu’est-ce que tu me caches, Sélène, mince ! Ça fait des semaines que tu me dissimules quelque chose… Alors ?
Sélène ne savait pas quoi répondre. Elle ne se sentait pas vraiment prête à tout avouer à Norelia, mais avait-elle le choix ?
– Je ne… Dès que je reçois le message que j’attends – comme tu l’avais sûrement deviné – je t’explique tout.
– Promis ? demanda Norelia.
– Promis, répondit sa meilleure amie après une seconde d’hésitation.
Au moins, Noli arrêterait de la soupçonner sans arrêt. Sa curiosité serait satisfaite… Et Sélène pourrait enfin lui parler. Seul bémol : Norelia restait l’ex de Léo. La personne qui l’avait aimé. Qu’il avait aimée.
Mais la fin de la journée s’écoula sans que le téléphone de Sélène ne vibrât. Le lendemain, idem. Que faisait Léo ? Il n’avait pas vu le message. Enfin, officiellement. Car ses notifications auraient dû l’avertir d’une nouvelle communication, non ? Mais rien. Toujours rien. Au fil des jours, l’adolescente perdit espoir. Elle essaya de penser à autre chose, d’éviter Norelia et toutes ces questions. Six jours passèrent ainsi.
La réponse de Léo n’apparaissait toujours pas dans ses notifications.
Léo
Je revois exactement le moment où j’ai sorti mon téléphone de ma poche pour écouter de la musique. Il y avait un message. De Sélène. Je me souviens de toutes les pensées qui m’ont traversé l’esprit. Il y a à peine une heure, je contrôlais plus ou moins ma vie. Elle devenait gentiment une catastrophe, mais je la voyais encore venir. Elle s’est débrouillée pour me le dire, finalement. Me demander la seule chose dont elle n’aurait pas dû me parler.
Six jours plus tard, mes doigts oscillent sur le clavier de mon portable depuis une bonne dizaine de minutes. La conversation était encore vide, il y a six jours. 144 heures pour réfléchir, et je ne sais toujours pas quoi écrire. La question est pourtant simple : oui ou non. Mais elle implique tellement de choses… Des choses auxquelles je ne veux pas penser. Sélène aurait pu demander à quelqu’un d’autre. Ce Samuel, par exemple. Elle avait l’air heureuse, dansant à son bras.
N. O. N. Non. Mes doigts ont couru seuls sur les petits rectangles qui délimitent les lettres. Je sais qu’après ça, je ne pourrai plus la regarder dans les yeux avant longtemps. Mais je n’ai pas le choix. Je ne peux pas lui dire. Briser notre amitié. J’espère juste qu’elle ne me posera pas plus de questions. Je ne voudrais pas la blesser plus. Même si je n’ai pas le choix.
Peut-être que je me prends trop la tête avec cette histoire. Et si je réponds la vérité… ? Non. Même si je dois lui mentir pour ça. Même si je ne pourrai plus croiser son regard sans culpabiliser. Il le faut.
J’ai déjà essayé de la comprendre. Plusieurs fois. Durant cette partie de Loup-Garou, à Awalé, à cache-cache… Même pendant les récréations. Je la vois m’observer, mais elle n’intercepte jamais mes regards. Je suis trop discret pour elle. Que signifient ses coups d’œil furtifs, de toute façon ? Est-ce seulement la vérité ? Que veut-elle ? Je ne comprends pas. Ça ne devrait être Sélène. C’est ma meilleure amie. Depuis des années. Ça ne devrait pas changer.
<3
Sélène jouait une toccata de Bach quand son téléphone vibra. Sans doute un énième message de Norelia. Persuadée que son amie n’avait pas tenu promesse, Noli la harcelait de questions, toutes suivies de centaines de points d’interrogation. Questions auxquelles Sélène se trouvait incapable de répondre. Alors elle essayait de s’expliquer, mais comment lui faire comprendre sans tout lui avouer ? Les mêmes objections tournaient en boucle dans son esprit.
L’adolescente acheva tranquillement son morceau avant de s’emparer de son portable. Sa main trembla en voyant le nom de Léo affiché sur l’écran.
Non.
Un unique mot. Sélène attendit une suite pendant quelques minutes, mais rien. Il n’avait reçu aucune des lettres qu’elle avait glissées dans son bureau. Au lieu de résoudre quelques-unes de ses interrogations, il n’y avait que plus de questions encore. Comment ? Pourquoi ? Que s’était-il passé ?
Sélène était certaine au moins d’une chose : son ami d’enfance n’avait pas pu lui mentir. Donc, Léo ignorait simplement tout des sentiments de la jeune fille. Alors, il faudrait trouver un moyen efficace de tout lui avouer. Mais les lettres ne fonctionnaient pas, et Sélène était incapable de lui parler de vive voix de tout l’amour qui la brûlait. Peut-être que Chloé pourrait l’aider…
Une petite voix lui soufflait que cette enveloppe n’avait pas pu disparaître comme ça. Assise devant les touches noires et blanches du piano, Sélène préféra la faire taire.
Sélène fait un pas, ose demander puis le moment de vérité s'éloigne de nouveau. Un bon chapitre où tu fais monter le suspense.
Heureuse de te voir encore par ici, et merci 💖
Effectivement, on se rapproche de la vérité... Plus que quelques chapitres ;-)