Puis Gabriel prend sa guitare.
Uzu a l'impression d'être deux personnes ce soir celle qui rit et discute facilement avec un pote et celle qui épie le moindre geste, la moindre expression, la moindre mimique de l'être désiré. Le programme de sa soirée ? Dévorer des yeux son si joli minois, ses iris clairs, sa bouche si bien dessinée, le haut de sa nuque, la finesse de ses doigts, la beauté de son sourire, déchiffrer ses faits et gestes, décrypter ses réflexions, profiter de chaque contact, chaque frôlement, chaque coup d'œil, chaque attention
Si Uzu a fait partie d'un club de chorale pendant ses dernières classes au collège puis au lycée quand il était au Japon, il n'en a pas pour autant développé un immense intérêt pour la musique. Et bien qu'il ait finalement énormément apprécié cette activité comme défouloir, le chant n'était pour lui, au départ qu'un prétexte pour éviter les clubs de sport, ne se trouvant pas particulièrement porté sur l'exercice.
Bien sûr il a appris à aimer chanter mais du son, celui des autres, il n'en écoute jamais et n'y connait absolument rien. Cependant ce qu'il va vivre ce soir va le laisser sans voix. Uzu découvre qu'un homme qui joue de la musique et partage sa passion avec autant de flamme en lui que son hôte est plus désirable que n'importe qui d'autre.
Ce moment, il le comprend de suite, restera gravé pour toujours dans sa mémoire et sur son cœur. Sans doute la chose la plus envoûtante à laquelle il lui ait été donné d'assister.
Tout dans ce garçon lui plait déjà, l'attire, sa façon si singulière de dire les choses en mangeant la moitié des mots, son franc-parler, cette douceur, son besoin de lui, ce petit côté perdu. Gabriel est un personnage attachant. Pourtant, Uzu ne s'attendait pas à découvrir et à aimer plus encore, cet être qui, une fois qu'il pose ses doigts sur sa guitare, devient délicat, puissant, plus sensible encore et surtout si sûr de lui.
Puis il serait presque jaloux de cet instrument que Gabriel touche, caresse, moleste quasiment mais chérit comme un corps aimé. Sitôt qu'il ouvre la bouche et commence d'égrainer, ses premières notes, le sourire aux lèvres et les yeux brillants, tout le reste du décor disparait. Il est angélique. C'est un génie et le Japonais est terriblement touché que Gabriel lui permette si naturellement de pénétrer son univers. Éprouver cela est vraiment inédit. D'où peut venir cette émotion ?
-Je tombe amoureux ? Ça m'arrive à moi ?
C'est la question qui l'envahit soudain, au moment précis où Gabriel se met à chanter, ses compositions, en glissant habilement les doigts sur les cordes de cette guitare. Il le transporte ailleurs, un ailleurs plein de fantaisies. Uzu ne cherche pas à tout comprendre mais il sait qu'il aimerait l'écouter ainsi pour toujours. Ses textes sont remplis de sens, ils lui semblent uniques et presque trop vrais.
-Quand il joue sa musique, on ne le croit pas et pourtant c'est bien le même, c'est lui.
Par la suite Gabriel invente, il improvise sur le moment présent avec humour.
Sa musique touche le cœur de Uzu alors qu'il ne s'y attendait pas du tout. Elle illumine soudain Gabriel d'une lueur nouvelle. Elle révèle de lui une facette autre, bien plus profonde et plus intense.
La soirée suit son cours et les moments qui se succèdent sont presque extra-terrestres. L'expérience a marqué Uzu si profondément qu'il en reste hypnotisé. Pour cacher son trouble, il tente de se détendre avec un peu, beaucoup, d'alcool. Gabriel quant à lui a compris qu'à travers sa musique il a réussi à charmer son ami et ça le rend carrément euphorique.
Gabriel se réfugie dans la cuisine. Il a failli perdre le contrôle. C'est sans doute à cause de l'alcool ingéré ce soir. Il n'a pas bu énormément, juste suffisamment pour que la soudaine intimité perçue entre lui et Uzu lui fasse perdre tous ses moyens. Il a été sur le point de l'embrasser. Il en est mortifié. Uzu a-t-il remarqué quelque chose ? Il se repasse le film de ces dernières minutes.
Une bêtise dite par l'un d'eux entraine un éclat de rire, et tout à coup, Gabriel s'aperçoit qu'il rit depuis une heure. Oui, pendant un moment, sa sœur lui est sortie de l'esprit, ses responsabilités ont semblé plus supportables, il s'est senti bien et il y a si longtemps que ça ne lui est pas arrivé. La discussion est tellement simple avec ce garçon. Mais c'est surtout Uzu qui, affichant cet air charmé, innocent et ses joue roses, a déclenché en lui une véritable tempête. Que s'est-il passé ?
Il s'est approché, ébloui par lui, a posé la main sur sa joue. L'asiatique n'a rien dit, leurs regards ont juste plongé l'un dans l'autre. Il a eu tellement envie de poser ses lèvres sur sa bouche fine, de le serrer très fort, qu'il sache à quel point il s'attache ! De lui montrer sa gratitude or, il a cru le voir pâlir. Uzu a-t-il compris ce qui allait arriver ? Il pense qu'il a été trop loin. Il redoute de ne plus réussir à se contenir dans l'état où il est. D'ailleurs, peut-être est-ce trop tard.
-Et merde, gémit-il, tout seul dans sa cuisine.
Il a la responsabilité de Hugo, on lui a bien fait comprendre que confier un nourrisson à un homme seul, de son âge, et sans expérience de surcroit, n'a rien d'une évidence. Il est encore, en quelque sorte, "en probation". Alors, homosexuel...
De son côté, Uzu ne comprend pas bien la raison pour laquelle son ami a si rapidement quitté la pièce. Il s'est senti si bien toute la soirée, et là, maintenant, il a la sensation d'avoir mal agi ou dit une bêtise, quelque chose qui a dû déplaire. La tête lui tourne, il se sent légèrement écœuré. Il est saoul. Il n'a pas l'habitude de boire, il faut dire. Il entreprend quand même de rejoindre Gabriel à la cuisine mais le décor valse quand il se lève. Il se sent tomber. Brusquement tout est noir. - UUUUZUUUU ! crie Gabriel en le voyant, gisant sur le sol.
De la cuisine, il a entendu le bruit de la chute. Il le retourne, effrayé. Son front a heurté le coin de la table basse, une bosse de la taille d'un œuf de caille enfle déjà. - Uuzuu ! Uuzuu, ça va ? Putain, c'que ça va ? Il a la nausée et souffre d'une affreuse migraine. - J'ai trop bu, je crois. Je pense que je ne pourrai pas conduire. Est-ce que je peux coucher avec toi ? lui sort-il d'une voix pâteuse, en revenant à lui. - Qu'est-ce que tu racontes ? Ouais, couchons ensemble, c't'une idée tiens, tsss ! Tu vas dormir dans mon ancien lit. Ces jeunes, y tiennent pas l'alcool ! - Désolé, grogne Uzu. - Dis pas d'bêtises. C'est d'ma faute, j'aurais pas dû t'laisser boire autant ! P'tain j'ai eu peur quand j't'ai vu par terre. Quelle andouille ! Il l'aide à marcher jusqu'à sa chambre, plutôt ahuri de le retrouver dans un tel état. Il n'avait pas réalisé. - Est-ce que ça va aller ? - Je veux un câlin ! réclame Uzu dans un rire idiot. - Y s'fout de moi c't'imbécile ? T'as d'la chance que j'te prenne pas au mot pff ! ronchonne Gabriel, déjà assez à fleur de peau pour ce soir.
Alors que Uzu dort d'un profond sommeil depuis deux heures, Gabriel tourne et se retourne dans son lit. Il serait absurde de continuer ainsi, il doit se décider à lui parler, qu'il lui dise ce qu'il en est vraiment, et ce qu'il ressent. Bien sûr, ça signifie se mettre en danger, à plusieurs niveaux. D'abord il risque de perdre son nouvel ami, pour de bon. Est-ce un ami ? Peut-il le considérer ainsi ? Certes non. Entre eux, c'est clair, ça sera beaucoup plus que de l'amitié ou ça ne sera pas. Et ça signifie également prendre le risque de perdre la garde du bébé. Oui, un homosexuel ce n'est pas ce qu'on trouve de mieux, paraît-il.
Et puis avec Yann la situation est déjà tellement compliquée. Tenter sa chance ? Mais Uzu ne risquerait-il pas de prendre mal une telle déclaration ? Et, si oui, irait-il lui faire du mal en allant le répéter ? Même si ce n'est pas son genre, dans cette situation, il a vu tant de gens proches changer de comportement. Alors, quoi ? S'il n'est pas en mesure de lui dire et s'il est illusoire de vouloir rester amis, il n'a plus qu'une seule alternative : cesser de le fréquenter. Son cœur se serre, le constat est froid, il en souffre. Il doit se faire une raison, il a peu de chance d'obtenir ce qu'il désire, et ce qu'il veut vraiment, c'est lui, Uzu. Cependant le danger de perdre bien plus que « juste » Uzu est trop important. - Pour Hugo, j'peux pas prendre c'risque, pour moi non plus d'ailleurs. À quoi bon souffrir sans espoir ? Il retourne l'admirer dans son sommeil. Cela l'aide-t-il à réfléchir ? Il s'assoit sur le bord du lit, passe une main légère sur la tête de l'endormi et se met à pleurer. - P'tain fait chier, gémit-il. Sa décision est prise, demain il lui enverra un mail. Trop dur de s'expliquer de vive voix. Et tant pis si c'est lâche.
Le lendemain matin quand Uzu se lève l'appartement est vide, seul un mot sur la table l'attend. « Salut, je suis absent pour la journée, j'espère que tu n'as pas trop mal à la tête, désolé pour cette nuit, je t'envoie un mail ce soir, claque la porte en partant. Salut, Gabriel. »
Il trouve la situation plutôt étrange tout-à-coup et l'ambiance de cet appartement vide, pesante. Ses souvenirs de la veille sont plus que brouillés.
- Pourquoi s'excuse-t-il pour hier soir ?
Les dernières phrases qu'il a prononcées lui reviennent en mémoire. Il est tout à coup assez gêné. De plus, que Gabriel ait « fuit » ainsi, semble du plus mauvais présage.
- Qu'est-ce que j'ai dit ? Est-ce que je lui ai vraiment proposé de coucher avec lui ?
Il continu ainsi à se poser la question durant toute la matinée, les heures à l'hôpital paraissent longues. Le malaise l'enveloppe chaque heure un peu plus, arrivé chez lui il tourne en rond et le mail qu'il reçoit dans la soirée, finit de l'abattre totalement. "Uzu, je suis désolé de la manière que j'emploie pour annoncer ça, ce mail. La soirée d'hier soir m'a montré que toi et moi, nous sommes trop différents et pas faits du tout pour s'entendre en amis, bien que tu sois sympa. Le problème vient de moi, pas de toi. Je ne suis pas capable d'être ami avec quelqu'un dans ton genre, pardon. Je me doute que ce message va te paraître bizarre, je voulais juste te dire que je préfère qu'on ne se revoie pas, je te remercie vraiment beaucoup pour ton aide et quand j'aurais du fric je t'en enverrai pour rémunérer tes heures de garde. Je refuse que tu continues de m'aider, ce serait me servir de toi et franchement, on ne sera pas amis toi et moi. Je n'espère pas que tu comprennes, d'ailleurs je ne te le demande pas, essaie juste de me pardonner. Gabriel.»
Au début de sa lecture, il n'y croit pas, il doit le lire et le relire, pour réagir et se rendre compte qu'il ne rêve pas, c'est même plutôt un cauchemar. La lecture finie, son cœur se met à battre si fort que le sang lui cogne dans les oreilles. Pris de panique, tout en relisant une fois de plus cet affreux message, il n'a de cesse de répéter à haute voix :
- Non ! Pourquoi ? Parce que je suis homo ? Et moi pour quelle raison est-ce que je lui ai dit des choses pareilles ?!
Il ne prend pas ni le temps d'enfiler une veste ni de prévenir sa mère qui crie derrière lui, pendant que, la vision embuée, il dévale les marches de l'immeuble.
- Youzeu ! Youzeuuuu ! Où vas-tu ? Youzeuuuu !
Dans sa tête ça tourne.
- J'exige qu'il me dise si c'est ça qu'il me reproche ! J'ai forcément mal agi, il a dû trouver déplacé ce que j'ai dit. Oui c'est ça, il a compris ! Sûrement il a découvert et je le dégoute. Je veux qu'il me le dise clairement ! Même sans espoir, Uzu n'est pas prêt à laisser aussi facilement derrière lui la première personne à le bouleverser sentimentalement.
Gabriel attend dans l'ombre, assis par terre, depuis le biberon du soir. Il laisse le soleil se coucher, sans allumer la moindre lumière et reste là, sur le plancher du couloir, à attendre. Il suppose que Uzu ne se contentera pas d'un simple mail, il va venir c'est forcé. Pourtant il espère encore que non, qu'il n'osera pas. Il l'espère ? Ou pas, en fin de compte, il ignore ce qu'il souhaite vraiment. Il craint le scandale et surtout il ne sait pas quoi dire de plus. Il a également peur d'avouer. Puis affronter son jugement serait trop dur. Il lui en voudra sûrement. A l'opposé s'imaginer qu'il pourrait ne pas se déplacer, se dire : « ce type n'est qu'un connard » et nullement chercher d'explication, ne serait-ce pas là le pire ?
Il entend son pas rapide dans l'escalier. Et son cœur se met alors à battre au même rythme que lui.
-Il est venu... Gabriel avait beau s'en douter, que la chose se confirme lui permet de réaliser que lui-même, est important pour Uzu, du moins suffisamment pour qu'il se déplace et demande des comptes. En éprouve t-il une certaine fierté ? Il en est touché en tout cas.
Je comprends un peu la réaction de Gabriel, il fais cela pour son neveu.
Et d'un autre côté, j'ai de la peine pour Uzu qui ne comprends pas très bien.
"Son cœur se sert" => se serre (du verbe serrer et non servir)
Eh beh ! Sympathique soirée ! C'est tellement évident qu'ils se plaisent... Seulement voilà, scrupules, culpabilisation, moralisation, honte, gêne, un cortège de sentiments parasites qui font que tout capote. En même temps qu'une bonne cuite, qui, on le sait, n'aide pas du tout à faire un groooos câlin bien senti. Donc, voilà. C'est bien mené tout ça. J'aime bien ta façon de les faire se confronter. C'est à la fois naturel et simple. Ils ont des caractères et des talents tellement différents que ça ne pouvait pas marcher d'emblée. Et seule l'attirance physique ne peut expliquer de se jeter sur l'autre sans réfléchir. Bravo. Voilà un chapitre plutôt réussi.
Bon, pour les fautes, ne t'inquiète pas trop. Je te sens motivée pour continuer de progresser à apprendre à ne plus en faire. Et plus tu pratiqueras l'écriture avec attention, plus tu parviendras à en faire de moins en moins. Donc, je t'encourage à continuer comme tu le fais.
à ++ pour la suite.
Haha et alors que j'ai dit qu'ils ne se tourneraient pas autour pendant 3h avant d'aller plus loin, voilà pas que c'est exactement ce qu'il se passe ! Mais comme je l'explique un peu dans la fiche de perso de Gabriel c'est un garçon qui hésite pour tout ce qu'il entreprend, il se pose beaucoup (trop) de questions. Nan mais ça va pas durée très longtemps rassures-toi. Seulement ses interrogations ont de l'importance quand même, enfin je pense. Sa toute nouvelle responsabilité le pousse à ne pas agir sans réfléchir.