Recherches

Au détour d’un couloir poussiéreux supplémentaire.

— Regarde ça ! Pas de poussière, les instruments sur les tables ont l’air intacts ! Cette pièce a été épargnée par les ravages du temps ! 

— Tu es en train de me dire qu’on s’est tapé tout ce chemin dans ces ruines, à travers les débris et la poussière, pour rien ! Tu as encore voulu faire le malin, pourtant si tu avais eu un tant soit peu de cervelle, tu te serais arrangé pour qu’on passe par un accès entretenu ! Je ne comprends pas pourquoi tu te réjouis. Si ce lieu est régulièrement nettoyé, on ne va rien y trouver d’intéressant !

— Ne dit pas de bêtises ! Il n’y a pas d’autres chemins, c’est un sort qui a préservé cet endroit. Et c’est exactement ce genre de choses que j’espérais trouver ! Donc je ne vais pas bouder mon plaisir. Aide-moi à inventorier la pièce.

Mon ami d’enfance me lança un regard que j’ai interprété comme un «Tu as le droit de rêver». Après quelques minutes de recherches, j’avais mis la main sur un livre différent des autres.

— Viens voir ! Je crois que j’ai trouvé quelque chose d’utile.

— Qu’est-ce que ce livre en charabia a de particulier ? Demanda-t-il après avoir à peine posé les yeux sur les caractères.

— Ce charabia est en réalité de l’héraméen, soit un dialecte qui n’est plus utilisé depuis au moins dix mille ans. C’est précieux, cela va nous rapporter une fortune.

— Tu racontes vraiment n’importe quoi, qui payerait pour ça s’il est si facile de se procurer une copie ?

— Tu n’écoutes pas Boulier, répliquai-je en soufflant, ce n’est pas une copie, c’est un original que la magie de cette pièce a protégé de l’usure du temps. Et c’est probablement encore plus vieux que ce que je pensais. Cette version du dialecte est si archaïque que j’ai du mal à saisir plus que le sens général du texte.

— Et de quoi ça parle ? Parce que si ça indique comment distiller de l’alcool… Dit-il en faisant un geste vers un alambic sur l’une des tables.

— Les autres livres que j’ai feuilleté semblaient être des grimoires, il faudra du temps pour déterminer si on peut en tirer un bénéfice. Cependant, celui-ci ressemble à un journal, je suppose qu’il consigne les pensées du mage qui vivait ici. Il voulait se venger, continuai-je à mesure que je m'efforçais de déchiffrer, se venger de tous les sorciers. Toutefois, il savait que ce ne serait pas facile, pour ne pas dire dangereux. Il doutait de pouvoir mettre un terme aux exactions des uns et des autres. Alors, il a eu l’idée de créer un… absorbeur… de magie.

— Je ne comprends pas, tu parles d’un objet ?

— Une créature tueuse de mage, ai-je fini avant de relever la tête vers mon camarade.

— Tu rigoles ! Pitié, dis-moi que c’est une mauvaise blague ! Murmura-t-il en regardant tout autour de lui, si les voraciteurs ont été créés ici… Imagine qu’il y en ait ne serait-ce qu’un qui traîne dans les parages.

Des créatures de cauchemar, heureusement très rares. Et bien qu’il arrive qu’elles se nourrissent de la force vitale de non-magicien, c’était moi le plus puissant de nous deux, et donc, c’est moi qui risquais le plus de me faire attaquer, et tuer. Peut-être y avait-il ici des informations qui permettraient de s’en protéger ? Ou de les tuer ? Si c’était possible. Seulement, aurais-je le temps de les trouver et de m’en servir ? Je n’avais jamais eu la malchance d’en croiser. Par contre, les témoignages que j’avais entendus faisaient froid dans le dos. Les voraciteurs étaient capable d’absorber l’énergie qu’on utilisait contre eux. Et, comme si leur griffes ou leurs crocs ne suffisaient pas, ils pouvaient se rendre invisibles, se téléporter et avaient probablement bien d’autres capacités magiques. Je mis en pause le fil de mes pensées, ignorait Boulier qui s’agitait, et repris la lecture.

— La transformation avait rendu la femelle stérile, les accouplements avec les mâles… Je ne comprends pas ce mot, je ne sais pas quel animal s’était avant qu’il ne la transforme, mais cela ne donnait rien. Il parle de la nécessité de résoudre ce problème avant d’en créer d’autres. Cependant il voulait d’abord voir si son idée pouvait fonctionner, il s'apprêtait à passer à la phase finale de la métamorphose…

— Et ? Demanda Boulier désormais suspendu à mes lèvres.

— Le journal s’arrête. La suite se devine aisément. Cela a réussi, et il a été la première victime de sa créature.

— Et maintenant, elles prolifèrent…

— Peut-être pas, sinon depuis tout ce temps il y en aurait beaucoup plus, et plus aucun sorcier, comme le souhaitait ce cinglé. Réfléchi, elle se téléporte ! Des attaques géographiquement éloignées à peu d’interval ne prouve pas qu’il y en ait plusieurs. La créature a sûrement beaucoup appris au cours des millénaires, mais elle n’a pas réussi à se reproduire.

Soudain, je sentis une puissance écrasante à proximité. Je me suis tourné vers sa source. J’avais en face de moi la plus belle elfe que j’avais vu dans ma vie.

— Tu sembles intelligent pour un humain, tu pourrais m’être utile, susurra-t-elle d’une voix enivrante, j’aimerais enfanter.

Pendant que j‘essayais de résister à son emprise, je me demandais s’il s’agissait d’une illusion ou si elle avait changé de forme.

Aujourd’hui, je ne me rappelle pas la mort de Boulier, l’a-t-elle effacé ? L’ai-je seulement vu ? Elle me laisse juste assez de libre-arbitre pour poursuivre efficacement les recherches qu’elle m’a demandé. Néanmoins, c’est suffisant pour savoir que je serais bientôt mort. Si je réussis, le monde sera condamné en même temps que moi. Si je ne progresse plus, je ne lui servirai plus et elle me tuera. Je n’arrive pas à ralentir le rythme. Je crois que j’aurai bientôt réussi et cela me désespère.