Rédemption

Par Bruns

Le pasteur Terry, Californie 

1974 

* * *      39      * * * 

La mort n’est crainte  
que par ceux qui veulent vivre. 

Le Roi Serpent 

* * * 

 

Ce matin-là, deux hommes différents sortirent de la cellule dans laquelle attendaient les condamnés à mort de la prison de Stockton. L’un était plein d’espoir, l’autre était un homme perdu. L’homme heureux était le condamné. Il savait qu’il allait retrouver sa famille. Il le savait. Un prêtre lui avait dit que la vie serait meilleure après la mort. L’autre, celui qui devait lui donner l’absolution, était sorti de la cellule en ayant perdu un petit bout de sa foi. Encore un. 

Le pasteur s’effaça pour laisser entrer deux gardes. Un troisième arma son fusil et surveilla la scène du couloir. Les deux gardes entrés dans la petite pièce qui sentait l’humidité et le moisi, libérèrent Bo Lloyd de ses chaînes, fixées par de lourds anneaux dans la roche. Ils entravèrent les chevilles et les mains du condamné et le poussèrent vers la sortie. Il souriait. 

Le petit gars propre sur lui qui était l’assistant du directeur, laissa passer les deux gardes et Bo Lloyd qui se traînait, enchaîné, puis les suivit invitant le pasteur à faire de même. Les derniers gardes fermèrent la marche. L’assistant, qui n’avait pas la décence d’être impressionné par cette situation s’adressa au pasteur. 

– Mon révérend, vous nous accompagnez à l’exécution. Ensuite, vous pourrez vous reposer et après le déjeuner, je vous propose d’accompagner les hommes de corvée. Nous devons remettre à neuf une route pas très loin d’ici. Votre présence leur mettra du baume au cœur, si c’est possible ! 

Le pasteur laissa le jeune homme lui expliquer le déroulement de la journée, sans l’interrompre. Il ne semblait pas se rendre compte de ce qui se passait ici. Un homme allait être exécuté et ce gars considérait cet événement comme une case à cocher dans l’organisation de sa journée. Ce jeune homme était déjà perverti lui aussi, par la violence qui règne en maître dans ce lieu perdu, au milieu du désert. Le pasteur se demanda ce qu’il faisait au milieu de tous ces hommes. Le seul qui semblait savoir où il allait était Bo Lloyd. 

La troupe monta d’un étage et le pasteur pouvait déjà sentir la chaleur du soleil californien. Ils avaient quitté l’ombre et arrivèrent dans une petite cour, encerclée par les bâtiments sur trois de ses côtés et fermée par les grillages barbelés sur le dernier côté. Il était encore tôt, mais la lumière était déjà forte et força le pasteur à se protéger les yeux. Il était le seul de la troupe à ne pas avoir de lunettes de soleil et il mit quelques secondes à s’acclimater. Quand il fût capable d’ouvrir les yeux sans souffrir il découvrit la scène. Les bâtiments donnant sur la petite cour formaient une arène. Le sol était sablonneux, à chaque fenêtre des bâtiments, les prisonniers avides de spectacle, se collaient aux barreaux. Un silence de mort oppressait ce lieu, même le vent du désert semblait aux aguets. Seule la peur était vivante. Elle s’amusait à serrer les cœurs et à torturer les âmes. La peur fixait un homme à qui on allait prendre la vie. La peur qui se repaît de la violence de cet endroit et dont le directeur était l’incarnation. La peur qui murmure à tous qu’ils se retrouveront à la place de Bo Lloyd, tôt ou tard. La peur qui leur promettait à tous, une vie de souffrance et un avenir de tourments. Le pasteur sentait cette peur. Elle était palpable et oppressante. Il la sentait depuis qu’il était arrivé dans ce pénitencier, mais ici, dans cette cour, la peur s’était invitée, comme témoin de moralité de cette exécution. 

Au milieu de la cour, la potence trônait comme un crucifix géant, plantée au centre d’une plateforme à moitié pourrie. Le bois de l’édifice était décrépi et rongé par le temps qui s’écoulait trop lentement dans cet endroit. La troupe se dirigeait vers l’édifice dont l’ombre du Christ s’étirait longuement dans la cour et s’écrasait sur une façade, avalant quelques spectateurs, comme une promesse de mort. Seul le bruit des chaînes du condamné brisaient le silence et résonnaient entre les bâtiments. Le pasteur y entendit le chant de la faucheuse venue chercher son dû. Au pied des marches, les gardiens firent monter Bo, seulement accompagné du pasteur. Les chaînes raclaient chaque marche déclamant le compte à rebours de l’exécution.  Après avoir gravi les quelques marches, Bo et le pasteur furent accueillis par un des gardiens. Il était habillé comme ses confrères, chapeau d’officier bien en place, lunettes de soleil bien en place, il mâchait un chewing-gum avec un léger sourire. Le pasteur sentit une odeur de vieille urine. La plateforme ne devait pas être lavée souvent. L’exécuteur, qui selon le pasteur ne méritait pas l’appellation de bourreau, saisit Bo par les épaules, le retourna et lui retira ses chaînes. Il lui attacha les mains dans le dos. Bo ne réagissait plus, il était déjà ailleurs, plongé dans les promesses d’un monde meilleur. Sans pénitence et sans regret il était maintenant libre.  Il n’avait jamais été libre de ses choix, de ses actes et de ses croyances, ni d’en accepter les conséquences, mais maintenant il était libre du jugement de ses pairs, de nos juges et de leurs flics. Il était libre de son bourreau.  

 

Juste libre. 

 

L’exécuteur retourna à nouveau le condamné et le plaça au-dessus de la trappe. Les yeux dans le vague, Bo se laissa mettre la corde autour du cou.   

–  Pasteur, faites votre office ! 

La phrase claqua dans le silence que personne n’avait encore osé rompre. Le pasteur s’avança vers Bo, lui mit une main sur l’épaule et fixa son regard. Il y trouva des larmes et de l’espoir. Cette fois le confesseur n’exhorta pas le condamné à la pénitence. Parfois, partir avec ses illusions est préférable. 

Le pasteur recula de quelques pas et regarda l’exécuteur. Ce dernier comprit. Il saisit un levier et le tira brusquement. La trappe s’ouvrit et Bo chuta rapidement. Ses vertèbres craquèrent. Le son claqua et résonna sur chacun des murs des bâtiments.  

Toujours en silence, les prisonniers disparurent un à un dans leur cellule. La rumeur carcérale s’éveilla à nouveau et le vent du désert recommença à murmurer sur Stockton.

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