REDOUTABLE-AUBERGE 6
En arrivant tout en bas de Roulapick, les deux hommes prirent la direction de Cherpoule-Ville. Les rues endormies, éclairées par quelques lanternes s’étiraient luisantes, pavées de granite gris. La Cité semblait paisible.
**- Vous savez Capitaine, je connais quelqu’un qui peut nous aider. C’est un vieux Loup de Mer. Il raconte parfois des histoires, mais il connaît bien des choses. Il trouve souvent des solutions quand on croit que tout est perdu.
**- Oui espérons-le. Mais il est tard. Je pense qu’une bonne nuit de sommeil nous fera du bien.
Il faisait froid. Les frimas de la nuit glaçaient leurs mains et leurs visages inquiets et fatigués. Heureusement, à l’intérieur de Redoutable-Auberge brillait une faible lueur qui traversait les vitres givrées. Drôle d’idée, hein, de s’appeler ainsi ‘Redoutable Auberge’ ? Mais cette grande hostellerie portait le nom d’un étrange bateau, long comme un Cigare-Géant qui nageait sous l’eau ! Construit dans l’arsenal de Cherpoule, il faisait toujours la fierté et la réputation de la ville…
**- Ouf, elle n’est pas encore fermée. Peut-être aurons-nous aussi une bonne soupe bien chaude ?
C’était une immense demeure, dotée d’une centaine de chambres, qui logeait des aventuriers en partance pour des pays lointains.
Toutes les tavernes aux alentours dormaient. Plus loin, sur la place de la Réplique, trônait la statue de Ponaléon. A califourchon sur son cheval en bronze et stoïque dans la froidure, il semblait de loin saluer les deux marins d’un signe de la main. Malgré leur inquiétude, les deux hommes plaisantèrent en lui répondant d’un même geste. Une légende très ancienne raconte qu’il descend de son cheval de temps en temps pour accomplir une mission extrêmement urgente ! Beaucoup se demandent laquelle ? Mais personne n’a encore vraiment trouvé la solution à ce mystère. Ponaléon est tellement discret dans ces moments-là. Seuls les Cherpoulais devinaient secrètement la raison…
Quand ils pénétrèrent dans l’auberge, une chaleur bienveillante les accueillit. Un feu tranquille brûlait dans la grande cheminée. Des Jambons du Pays solidement accrochés aux clous du bout de l’ais, y pendaient pour s’imprégner de saveurs fumées.
Le patron aperçut les trois amis et leur fit signe d’entrer. La porte se referma sur le froid glacial de la rue. Cela faisait plusieurs semaines qu’ils naviguaient en mer. De retour au pays, ils apprécièrent cette chaleur qui réchauffait leurs corps. Devant la cheminée, Grégoire le Patron, poussa deux chaises près d’une lourde table en bois.
**- Eh bien, c’est pas une heure par ce froid pour traîner dans la cité. Vous avez bien d’la chance que je sois encore ouvert. Mais peut-être avez-vous faim ?
Sans attendre la réponse, il puisa dans le chaudron deux bonnes écuelles de bouillon brûlant garni de biscuit trempé, qu’il leur servit à table. Une assiette de tripes fumantes, accompagnée d’une bolée de cidre pétillant, complétèrent leur repas. Quant à Lili, le patron lui offrit des parures de poisson dont elle se régala.
Cependant, dans le bien être du moment et perdus dans leurs pensées, ils ne pouvaient oublier le drame qu’ils venaient de vivre ensemble. Tous trois se remémoraient en silence leurs derniers jours en mer…
Grégoire gratta fort sa gorge.
**- Hum humm ! Bon, il est temps de fermer. J’ai des chambres libres là-haut. Ce n’est pas raisonnable de repartir sur votre bateau à cette heure-ci et par ce froid. Il se fait tard et demain j’ouvre très tôt. Vous savez, c’est le matin qu’avance.
**- Oui bien sûr et merci pour votre accueil. Dites-moi, Patron, nous venons ici pour voir le Père Mahieu. Pensez-vous que nous pourrons le rencontrer ?
**- Parbleu ! Le Père Mahieu ? Sacré nom d’un chien ! Il vient tous les matins boire son coup et raconter ses histoires à n’en plus finir ! Néanmoins, c’est un brave bonhomme vous savez. Et tous l’aiment bien. Mais il est tard, on en reparlera demain. Allez ouste, tout le monde au lit.
Grégoire souffla les lampes et les bougies. Seul le feu rougeoyant du foyer éclaira les pas des deux marins vers l’étage.
L’escalier étroit grinçait. Ils arrivèrent aux chambres. Là, vestes et pantalons ôtés, ils s’écroulèrent sur le lit. Dans la nuit noire, derrière la fenêtre, Lili veillait. Elle regardait tout au loin la mer, par-dessus les toits des maisons…