"Il peut arriver que des désordres physiologiques se produisent. Surtout lorsque le potentiel magique est trop fluctuant ou trop important."
Les propos de Ley et des images de l'explosion tournent en boucle dans ma tête alors que j'avance rageusement le long de la rue, laissant derrière moi la bibliothèque disproportionnée et tous les idiots qui sont dedans. Et devant. Argh putain mais comment a-t-il osé me cacher ça ! Et même, comment a-t-il pu oser… Penser me cacher quelque chose d'aussi… ! Et… Penser que j'le découvrirai pas ! Mais quelle espèce de…
Mais tout accaparé par ma crise d'hystérie intérieure, je ne remarque pas que je fini par prendre un chemin tout à fait différent de celui de l'allée. Tout comme je ne remarque pas les ruelles adjacentes à celle dans laquelle je marche, et en particulier celle de laquelle, à la faveur des ombres des bâtiments alignés en rangs serrés, de petits yeux de fouine étincelants me fixent avec avidité.
Je ne comprends que quelque chose cloche que quand je sens un léger courant d'air dans mon dos. Mais il est déjà bien trop tard et tout va bien trop vite : un bras implacable enserre ma gorge comme un étau tellement puissant que le cri d'exclamation que je pousse instinctivement ne franchit même pas la barrière de ma gorge. Je me débats furieusement : donnant des coups de coudes les plus amples possible derrière moi, balançant les pieds dans l'espoir désespéré d'atteindre mon agresseur. Mais mes gestes sont aussi vains que désordonnés que faiblissant, et bien vite un voile noir est tiré devant mes yeux rougis de larmes.
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Des sons confus me parviennent alors que je sens peu à peu la froideur des lattes de bois sur lesquelles je suis allongé propagent sur ma peau une série de désagréables frissons, j'ai l'impression de sentir mon corps s'alourdir à chaque instant. Quand j'ouvre les yeux je les referme immédiatement, cette lumière aveuglante est une vraie torture ! Ainsi privé de ma vision, c'est donc à tâtons que je trouve à grand peine un mur sur lequel m'appuyer pour me relever. Grossière erreur : au moment même où je parviens à poser mon dos sur la paroi de bois incurvée, j'ai l'impression de me retrouver sur une attraction de Break Dance de fête foraine et je m'écroule à nouveau avec un grognement très disgracieux.
J'abandonne toute tentative quand des bruits de pas réverbérés comme un écho constant martèlent mes oreilles et décide de faire le mort. Au dernier moment cependant, je me retourne face contre le mur de bois : impossible de cacher autrement la grimace de douleur que m'arrache la combinaison des échos qui frappent mes tympans comme des uppercuts, de mes entrailles qui dansent la gigue, de la lumière qui grille mes rétines et des nausées qui me saisissent à la gorge.
Les individus se sont arrêtés pile derrière moi, ils sont deux et leurs voies sifflantes sont engagées dans une discussion basse mais animée, dont bien-sûr je ne comprends pas un mot, mais je peux affirmer qu'ils parlent la langue des gens du pays. Comprenant que je n'ai pas la moindre chance de déceler la moindre syllabes cette fois - ces dernières étant à peine discernables les unes des autres dans mon état actuel – je rouvre très lentement les yeux, en prenant bien-sûr garde aux hommes dans mon dos, dans l'espoir de comprendre enfin où j'ai encore atterri. Et malgré l'impossibilité de les ouvrir de plus de quelques millimètres – et grâce aussi au léger grincement que j'entant venir du plancher à intervalles réguliers – je parviens à deviner que je suis sur un bateau.
L'un des deux autres me donne soudain un violent coups dans les côtes et la douleur intrinsèque de mes os couplée à celle du coups me font hurler. Un rire qui rappelle celui d'un ivrogne de grand chemin retentit alors qu'une grosse main me saisit par la nuque, la force de la pression comprimant presque totalement ma gorge et faisant naître une nouvelle vague de frissons sur mon échine. Voilà donc les enfoirés qui m'ont foutu là. Ils me regardent tous deux, le plus petit avec ses yeux de fouine plantés sur un visage chevalin au teint olivâtre, avec son sourire de requin ; et l'autre avec son œil unique et son cache-œil, noirs tous les deux ; et son rictus imbécile et quelque peu édenté.
Instinctivement et sans plus aucunement tenter de cacher ma douleur, j'essaie de me libérer. Mais le résultat est gerbant de pitié : je suis tellement faible que même les plus profondes griffures que j'essaie d'infliger à ce porc ont l'air de caresses affectueuses. Aussi me laisse-t-il m'écrouler à ses pieds en repartant d'un rire sonore. Rire qui s'arrête net quand je régurgite mon déjeuner sur ses pieds nus. Ça t'apprendra à traiter avec une telle indélicatesse quelqu'un sur le point crever, imbécile.
Malheureusement pour moi, je crois que mes pensées se sont reflétées sur mon visage, parce qu'au moment où je relève les deux fentes larmoyantes que sont mes yeux sur son visage, je reçois un nouveau coup. Dans le ventre cette fois. En réponse de quoi mon œsophage lui envoie un jet de bile sur le tibia avec en prime un très disgracieux bruit de gorge. Je peux voir son teint passer du brin sale au violet vif alors qu'il lève son poing vers moi. Mais alors que je me prépare au choc, rien ne vient et, quand je rouvre à nouveau mes yeux au quart c'est pour voir Face-de-requin lui balancer un tissu à la figure et l'entrainer hors de ce que je devine maintenant être la cale – non sans me jeter un regard méprisant. Leurs pas s'éloignent à nouveau et la trappe par laquelle ils sont arrivés se referme quelques minutes plus tard.
Je me détends peu à peu et pousse un profond soupir – qui se transforme en gémissement quand ma tête heurte la paroi de bois dans mon dos – et les larmes me montent aux yeux alors que je fais le bilan de ma situation. Je me suis encore salement embrouillé avec Cole – même si c'est pas de ma faute s'il te cache des choses – je me suis fait enlevé – pour la deuxième fois en deux jours, bravo – par des types encore moins recommandables que les premiers et maintenant je me retrouve sur un bateau qui va m'emmener je ne sais où, et pour couronner le tout je suis dans un état pire que jamais – ce qui ne serai pas arrivé si t'avais porté tes bijoux et fait leur test à la noix, mais après tout, pour quoi faire hein ?
En grognant un juron, je m'efforce de faire fî de ma culpabilité malvenue étant données les circonstances, pour retenter à la place de me lever pour chercher un moyen de filer. Par miracle, malgré les protestations de mes tripes et mes vertiges et bien… vertigineux, je parviens à me hisser le long de la paroi et lentement, prudemment, je me mets à la longer.
Au bout d'un moment, mon pied tape dans quelque chose d'un peu mou et rond, et je manque de m'affaler dessus (merci à la rainure entre deux planches de bois, dans laquelle je parviens in extrémis à enfoncer mes ongles, et les échardes qui se logent à cet endroit sensible entre l'ongle et la peau, je vous déteste). En étouffant un autre juron hargneux et en me protégeant de la lumière de ma main libre, j'ou un peu plus les paupières et me rends compte que je viens en réalité de shooter dans un visage. Celui d'un enfant à en juger par la forme triangulaire de son menton et la taille de son corps quelque peu décharné et vêtu de haillon. Mais qu'est-ce que c'est que ce délire encore ? Je m'agenouille au chevet de ce que je sais être un garçonnet – malgré la longueur de ses cheveux et la finesse de sa taille – et avise avec une inquiétude grandissante le filet de bave ténu que s'écoule paresseusement du coin de ses lèvre jusqu'au sol, en dégoulinant de sa joue.
Je prends son pouls et colle mon oreille sur sa poitrine en sentant la cadence très lente de ce dernier. Mon sang ne fait qu'un tour quand j'entends que son cœur ralentit.
"Non non non…" je murmure alors que je sens l'arrière de mon crâne pulser.
J'aurai vraiment dû assister à cette stupide formation aux gestes de premiers secours donnée à la fac, plutôt que d'y voir l'opportunité parfaite de finir le dernier tome de Héros de l'Olympe ! Avec un effort intense de réflexion, j'essaie de me souvenir de ce que m'en a raconter Cole, en priant pour trouver l'info. dans ma carte mémoire capricieuse. Les miracles existent après tout, non ?
"Tu dois vérifier si elle respire…la mettre en P.L.S….provoqué par ma déshydratation…"
Ce n'est qu'à ce moment que je remarque qu'effectivement le garçon est très pâle à la lumière tamisée des rayons qui passent à travers les rainures des lattes de la cale du bateau, il transpire ne transpire pas et pourtant, quand je pose ma main sur son front mon inquiétude ne fait que croître.
Des bruits de pas descendant des marches d'escaliers surprennent alors que je passe ma main derrière sa tête avec dans l'idée – à défaut de pouvoir l'emmener dans un "endroit frai", ou lui faire "boire de l'eau ou une boisson énergisante" – de le dégager au moins de cet enchevêtrement indistinct de têtes et de membres dans lequel il est. Pris d'un élan de panique, je me glisse le plus rapidement possible sous le tas de corps près du garçon, dans l'espoir que les heures que j'ai passées à cuire au soleil ses derniers temps aient rendues indétectable la pâleur naturelle de ma peau. Le cœur battant, j'entends deux hommes (Dieu merci pas les même que tout à l'heure) passer devant moi…et s'arrêter !
Bon sang !
Je ne les vois pas – ma tête tournée sur le côté et cachée à la fois par un bras, une main et une épaule – mais je sens clairement leurs regards aiguisés analyser le tas d'êtres humains comme des commerçants analyseraient l'arrivage de marchandises du jour sur les étals du marché de Rungis. Alors qu'ils parlent, j'arrive enfin à extirper des échos de leurs voix – moins intenses que quand je me suis réveillé – le mot "valmort".
J'entends ensuite l'un des hommes se baisser, me donnant des sueurs froides, puis il saisit le bras du garçonnet et envoie valser le corps à travers la cale ! Ce qu'il ajoute à l'égard de son camarade est couvert par le bruit du corps qui retombe plus loin – j'espère de toutes mes forces que c'est sur le dos. Mais même si je l'avais entendu, je n'y aurais prêté aucune attention, toutes mes pensées étant focalisées sur ma main droite qu'il vient inconsciemment de découvrir, et dont je prie le Ciel pour qu'il ne la remarque pas. Je ne suis absolument pas certain de pouvoir accomplir un nouveau coup d'éclat semblable à celui que j'ai réussi à faire il y a deux jours, avec l'homme que j'ai manqué d'étrangler.
Ils s'éloignent tous les deux cependant, et je me mets à croire que j'ai quand même un peu de chance dans mon malheur…jusqu'à ce que je me souvienne d'où je suis parti, de vers où ils vont et ce qui se produira surement quand ils comprendront que je n'y suis plus. Ils sont déjà à mi-parcours quand je parviens à m'extirper miraculeusement sans bruit de ma cachette. Rapidement et le plus silencieusement possible – Cole aurait été fier de moi, sachant que lui c'est un ninja et que moi, je suis aussi discret qu'un éléphant marchant sur du papier bulles – quand soudain le bois sous mes pieds grince. Je me précipite derrière la colonne de bois carrée de la rambarde de l'escalier, avec l'espoir que sa largeur suffira à dissimuler ma fine silhouette.
La cale est maintenant si silencieuse qu'on pourrait y entendre une mouche voler, ou peut-être, dans l'attente insoutenable d'entendre le moindre son émaner des deux types. Finalement, l'un des deux finit par poser une question, et l'autre répond lentement, d'un ton distrait qui me laisse parfaitement l'imaginer entrain de scruter chaque recoin de son champ de vision. Puis à nouveau plus rien.
Mon regard tombe à nouveau sur le corps inerte du garçon. Inerte… l'idée me vient soudain à l'esprit que cet enfant est tout simplement mort, au même titre que ceux qui forment le tas dans lequel j'étais enchevêtré il n'y a pas une minute encore. C'est alors que j'entends enfin les pas retentir à nouveau en écho, et sans réfléchir, sans prendre en compte ni la voix dans ma tête qui me hurle comme une alarme de voiture "T'ES GRILLE, CASSE-TOI !", ni les tentatives frénétiques de mon cœur de traverser les parois ma cage thoracique pour prendre la fuite à ma place, je m'élance pour saisir le garçon.
Tout va alors extrêmement vite : je sens une chaleur anormale fondre sur moi, et à peine me suis-je à nouveau décalé maladroitement vers l'escalier qu'une aveuglante boule de flammes s'écrase contre le mur. Sans demander mon reste je monte les marches le plus vite possible, en titubant dangereusement, serrant de toutes mes faibles forces l'inconnu dans mes bras.
Je suis encore pris de ces satanées nausées et de cette impression que le sol ondule sous moi alors que je m'effondre sur la porte de la cale, qui s'ouvre immédiatement. Juste après, le claquement aigu d'une chaîne qui se tend parvient à mes oreilles et je roule instinctivement sur le côté. La combinaison de l'image rémanente des gerbes de flammes et des rayons du soleil enfin retrouvés font danser, sous les paupières obstinément closes et baignées de larmes, des ponts blancs et des flashs de couleurs éphémères ; alors qu'à ma droite j'entends à quelques centimètres me ma joue, le son d'une pointe de métal se ficher dans le bois.
Derrière moi, j'entends un nombre incalculable de pieds marteler le bois, alors sans attendre et en gémissant sous l'effort supplémentaire que me demande mon fardeau, je me relève et fais trois pas dans le sens opposé avant de m'effondrer à nouveau, vaincu par ma propre tête qui a subitement décidé de multiplier son poids par dix. Gémissant malgré moi de douleur, la respiration sifflante et difficile, je recommence cependant à rouler, rouler, rouler encore en protégeant la tête du petit garçon de ma main, avec plus que pour seul objectif de mettre le plus de distance entre nous et toute forme de danger.
Finalement, après ce qui me semble être une éternité, je heurte à nouveau du bois avec ma tête. Tout en ravalant un sanglot que me provoque la douleur du choc ardu sur ce point déjà si sensible, je me relève avec effort, laissant cette fois au sol mon fardeau. Je prends alors conscience que les bruits de pas se sont arrêter, que je n'ai eu à esquiver aucun projectile depuis une durée inhabituellement longue. Et quand je me retourne et ouvre enfin les yeux au quart, je comprends le pourquoi de ce changement.
Ils sont là, au moins une trentaine debout sur le pont arrière, appuyés sur la rambarde, ou assis sur les escaliers qui encadrent la porte de la cale et permettent d'accéder à cette partie du bateau, plus basse d'à peu près un mètre. Il y en a aussi au premier rang : en bas des escaliers, ils forment deux lignes interdisant l'accès à l'escalier qui ramène plus bas encore, dans le noir. Sur leurs visages, des regards indulgeant, des sourires de pitié et des éclats de rires hilares et sonores. Ils se moquent ? De nous ?! De moi ?!! Alors que je viens de leur échapper tous, malgré qu'ils m'aient drogués et malgré leurs saloperies de tours de passe-passe ?!
Ils sont stupides ! Maintenant je n'ai plus qu'à sauter et…
Mais quand je me retourne, je réalise deux choses qui font tomber en poussières le sourire de victoire qui avait à mon insu orné mes lèvres pendant un instant. Le bleu. Le bleu de l'océan tout autour de moi, tout autour du bateau, dans lequel je peux distinctement voir couler toute nos chances de nous en sortir. Et la terre au loin qui rétrécit peu à peu… Et puis ma gorge se noue quand je les vois : le Requin et l'Ivrogne borgne. L'un m'invite à rentrer dans la cale d'un geste exagéré de bouffon, tandis que l'autre tire une cravache de sa ceinture et la fait taper patiemment dans la paume de sa main, dans un geste sans équivoque en ce qui concerne que qui va m'arriver maintenant.
Les larmes me montent à nouveau aux yeux sans que je ne puisse les retenir, et pour une fois elles n'ont rien avoir avec la luminosité ambiante. Alors que les fous-rires repartent de plus belle, mon regard s'abaisse sur ce petit garçon maigrichon : je remarque alors ses cernes, sa cicatrice à la jugulaire… Elles ne datent pas d'hier, la vie n'a pas due être tendre avec lui… Mais il est si jeune, il a encore tellement de possibilités ! ça ne peut pas finir comme ça, pas pour lui !
Et c'est là qu'il se rappelle à moi : le hurlement déchirant de l'animal aux yeux écrabouillés, à la gorge tranchée. Automatiquement je porte ma main tremblante à la dent que j'ai arraché de son cadavre, en souvenir de lui… En souvenir de tout ce que j'ai dû et pu sacrifier pour rester en vie.
"Et pour toi non plus !, me tance une voix rageuse dans mon esprit.
La rage qui fait bouillir mon sang à cette pensé éclipse tous les autres sentiments que je ressens en ce moment : tristesse, culpabilité et abattement partent tous en fumée. J'ai pas survécu à un loup qui voulait t'arraché la tête pour en faire son quatre-heures et à des timbrés qui pouvaient te clouer sur place par la pensé, pour qu'au final un ramassis de débiles profonds, d'ivrognes et d'adeptes du S.M. te réduise à l'esclavage !
Et je sais maintenant très bien comment me sortir de cette situation. De la même façon que dans les deux autres : "des manifestations involontaires sous l'emprise d'émotions fortes" hein Ley ?
Je me concentre donc sur ma rage, ma fureur de les voir se bidonner de ma faiblesse. Je l'imagine enflammer réellement mon sang, consumer mes chairs, et mon cerveau cogne de plus belle contre mon crâne, me faisant choir. J'imagine des langues de flammes sortir de ma bouche et de mes mains, j'imagine ma colère suinter des pores de ma peau comme de la lave crachée par d'innombrables volcans. Et alors que mes tripes se déchainent comme des damnées dans mon ventre, que ma gorge devient brulante et que le manège de breakdance se remet en marche à vitesse maximale, je peux clairement sentir l'air autour de moi chauffer et vibrer.
Mais quand je rouvre les yeux, la seule chose que je vois c'est la chaine de tout à l'heure fondre à nouveau sur moi, juste avant que je ne l'esquive non sans sentir une horrible brûlure sur ma tempe gauche. Ils ne rient plus, aucun d'eux. Toutes leurs têtes affichent des mines ahuries alors qu'ils ont les yeux rivés sur les cercles noirs de suie autour des marques de mes mains gravées dans le bois comme au fer rouge.
Toutes sauf celle du gars qui m'a lancé pour la deuxième fois sa chaîne à la figure. Lui il a en plus vraiment l'air de vouloir me tuer maintenant. Profitant de n'avoir que cet adversaire à distance à affronter – pour quelques secondes, du moins – je m'élance sur l'escalier de droite, la moindre parcelle de mon attention exclusivement tournée vers mon objectif du moment : survivre à n'importe quel prix.
Alors que les pirates assis sur l'escalier commencent à reprendre contenance, je leur balance ma cape poisseuse avec dans l'idée que le mélange de larmes, de morve, de sueur, de bile et de repas à demi digéré qui se sont succédé dessus depuis mon réveil, les dégoutent suffisamment – ou leur donne un orgasme suffisamment puissant, vu leurs penchants – pour me laisser le temps de leur passer dessus.
Mais alors que j'abat mon pied sur la tête de celui sur la dernière marche, la brûlure d'un coup de fouet meurtrit mes côtes gauches et je m'étale à nouveau parterre ayant juste le temps de me protéger le visage des mains et de rouler sur le côté avant qu'une main ne me broie littéralement la cheville droite. En me relevant, je vois le Borgne en bas, à l'autre bout du navire, avec son rictus édenté de débile congénital à nouveau sur le visage. Et c'est là que je réalise la connerie que je viens de commettre : seul à l'autre bout, en contrebas, le petit garçon est toujours inconscient. Je pense pouvoir affirmer qu'aucun de ceux qui m'encerclent maintenant progressivement – le Borgne inclus – n'aurait l'idée de s'en servir comme otage contre mo; le Requin et le Type à la Chaîne en revanche…
Mais ce-dernier m'assure que j'ai son attention pleine et entière en me renvoyant son serpent de métal en pleine figure, et je me prends un nouveau coup de fouet dans le bras – qui me fait hurler de douleur – par son comparse. Et j'ai à peine le temps de réaliser que cette fois, le lacet visiblement extensible s'est enroulé sur tout mon bras, que la chaîne enserre de mes jambes jusqu'à ma taille, me faisant tomber lourdement au sol d'un tour de main de son propriétaire.
J'enrage intérieurement un peu plus à chaque seconde… Mais je n'arrive plus à me concentrer ! Et même si. Je pensais qu'en me concentrant j'arriverai à maîtriser ce… ce pouvoir mais rien ! rien à part de la suie et des brulures de mégots de cigarette !
L'image du garçon me revient encore en mémoire, alors que chaque mouvement du Type à la Chaîne me rapproche inexorablement de ma fin. J'ai beau essayer de me débattre, mes liens ne faiblissent pas, bien au contraire j'ai la nette sensation qu'ils se resserrent de plus en plus à chaque fois… Il faut se rendre à l'évidence, cette fois-ci je suis définitivement out : saucissonné à terre, faible et fatigué – je sais maintenant pourquoi j'ai si mal aux os et à la tête, c'est évident : c'est le contre-coup de ce pouvoir – quand je pense que si j'avais agi avec la curiosité mêlée de froideur avec laquelle j'ai appréhendé ce monde depuis le début, rien de tout cela ne serai arrivé…
Quand je pense que depuis le départ je me suis pris pour le plus adapté de nous deux… Cole a de quoi survivre dans ce monde c'est certain : rapide, agile, expérimenté et débrouillard ; je pensais que si je parvenais à l'égaler sur le plan de la connaissance, je cesserai enfin d'être un fardeau pour lui… Comme le jour où nous sommes arrivés. Comme tous les autres jours avant ça…
Mais la seule chose que j'ai réussi à faire c'est semé le conflit et la discorde entre nous. Même aujourd'hui, je l'ai engueulé bêtement alors qu'il n'y a pas quelques jours avant, nous nous étions promis de rester souder à tout prix…
Bon et maintenant ? Je suis pas plus avancé ! Si je veux tenir ma promesse au moins une fois dans ma vie, quel que soit l'angle sous lequel on voit le problème, il faut que je me sorte de ce merdier !
Et il y a un moyen.
Quoi ? Hm bien-sûr qu'il y en a un. Ley l'a dit : les Manifestations se déclenchent involontairement en cas d'émotions fortes si le potentiel surpasse un certain degré de puissance.
Donc si ça a foiré tout à l'heure…
C'est que soit mon potentiel est pourri – mais au vu de la dernière Manifestation, le doute est de mise – ou alors que l'émotion choisie n'est pas la bonne. Et c'est vrai. La dernière fois, juste avant l'explosion, ce n'est pas de la colère que n'ai ressenti.
Et tu sais bien où trouver à nouveau ce sentiment, tu sais où aller le chercher très exactement.
Oui, je sais. Mais si ça fonctionne et que les effets sont tels que la dernière fois alors le garçon… Mais si je ne fais rien, lui comme moi serons out…
"Pfff… Foutu pour foutu, après tout."
Je jette un dernier coup d'œil à mon bras droit, là où l'ancienne plaie s'est rouverte avec l'ajout de la nouvelle, sur mon poignet. Et je l'entends à nouveau distinctement.
CLAC !
Un coup dans le mur. Un avertissement.
"Sors d'ici.
-Non je suis chez moi, je n'irai nul part."
CLAC !
Un autre coup sur l'autre mur. L'atmosphère est lourde comme du plomb. Il est furieux. Il s'approche.
"Depuis quand ? Tu ne m'as jamais rien dit. Quand allais-tu…
-Ce ne sont pas tes affaires, et vu ta réaction, jamais."
CLAC !
Encore un. Plus près encore. Par réflexe j'amorce un pas en arrière, mon cœur a tremblé dans ma poitrine pendant un instant, j'ai des sueurs froides. Mais je suis furieux ! Pour qui se prend-t-il, ce que je fais de ma vie ne le regarde en rien s'il n'est pas capable de l'accepter !
"Arrête ton char, tu ne me fais pas peur !"
CLAC !
Une douleur cuisante cette fois, et je hurle. L'attache de métal s'est enfoncée dans la chair sensible de mon poignet. Des larmes coulent le long de mes joues et je recule de plusieurs pas cette fois.
"Tu n'as pas peur ? Pourtant tu cries et tu chiales comme une femme et tu recule comme un faible."
J'entends maintenant le sol vibrer sous mes pieds. Chaque pas sonne maintenant comme une sentence. Le bruit de l'extrémité métallique maculée de mon sang, trainant sur la moquette, comme un décompte avant le prochain coup.
"Tu es faible et vain. Tu t'es corrompu. Tu n'es plus rien."
Je retiens mon souffle. Il arrive.
"Je t'ai tant donné… Et toi ? Tu t'es jeté dans les bras du Malin à la première occasion ! Tu es mon plus lamentable échec."
Mon dos heurte la porte glacée, je sens le tissu imbibé de sueurs froides de mon T-shirt. Le marteau abat l'enclume sur ma poitrine. Arrête. Pitié ne fais pas ça !
"Espèce de sale…"
Les larmes inondent mes yeux et déferlent sur mes joues. Pitié !
"SUPPÔT DU DIABLE !"
J'ouvre des yeux exorbités, ma respiration se débloque d'un coup et je lui hurle à plein poumons de s'arrêter. Je sens une onde - qui n'a rien n'a voir avec mon hurlement – déferler alentours alors qu'il s'éloigne. Lui qui me regarde de ses innombrables visages déformés pas un mélange de fureur et de dégoût profond. La dernière chose que je vois ce sont ses yeux grands ouverts injectés de sang. Et puis tout s'éteint.