Remue-Ménage

   Après que Spield eut conduit le trio au Tonneau percé à Coventry Street, Aidan voulut lui offrir une poignée de monnaie en signe de gratitude. Monnaie que le musicien déclina poliment, leur soutenant qu’il ne rendait pas service aux gens en attendant quoi que ce soit en en retour. Puis, après que le trio lui renouvela ses remerciements, l'accordéoniste partit dans la direction opposée. Faye le regarda partir jusqu’au dernier moment où il tourna à l’angle de la rue.

Sofia, Aidan et Faye découvrirent alors que le Tonneau Percé était en pleine rénovation depuis plusieurs jours et qu’il ne rouvrirait pas ses portes avant huit jours, c’est-à-dire le 25 octobre. 

Estimant ne pas avoir le temps d’attendre jusque-là, Sofia, Aidan et Faye abandonnèrent l’idée de demander de l’aide au tenancier de cette taverne et décidèrent de se rendre dans des librairies pour trouver des livres sur les jeux de cartes. Ils décidèrent également que si à travers leur lecture, ils ne trouvaient pas de réponse quant aux significations des cartes, ils se rendraient alors au Tonneau Percé le 25 octobre pour demander à des professionnels de les renseigner. En espérant qu’aucun autre meurtre n’aurait lieu d’ici-là…

-Autant multiplier par trois nos chances de trouver des livres qui pourraient nous aider, suggéra Aidan, dont la voix avait presque était camouflée par un orage. Séparons-nous et que chacun aille dans plusieurs librairies différentes. Retrouvons-nous à la maison d’ici trois heures.


   
   Après que le trio se fut séparé, Sofia regagna à Tavistock Place. En effet, alors qu’elle avait trouvé un livre intéressant sur le fonctionnement du bridge et qu’elle s’apprêtait à payer le libraire, elle s’était aperçue qu’elle avait oublié sa bourse chez elle. 

Lorsque Sofia rentra à l’intérieur de l’immeuble, elle n’eut même pas le temps de s’essuyer les pieds sur le paillasson qu’elle s’aperçut que la porte de son appartement était légèrement entrouverte.

-Laurie ? demanda-t-elle.

-Oui ?

La voix de sa voisine résonna derrière elle, au premier étage. Sofia se retourna et vit Laurie sur le palier de son appartement, son lapin blanc en mains qu’elle caressait tendrement.

-Désolée, je me suis absentée de chez vous un instant pour aller voir Lapin. Je ne voulais pas qu’il se sente seul trop longtemps…

Puis Sofia sentit quelque chose filer rapidement entre ses jambes et qui manqua de la bousculer. Elle aperçut alors Fely gravir les escaliers à grande vitesse et sautiller contre les jambes de Laurie, visiblement intrigué par le lapin. Celui-ci prit peur et sauta des bras de Laurie, Fely à ses trousses.

-Oh non ! Lapin ! s’écria Laurie.

-Fely, non !

Fely et Lapin s’adonnèrent alors à une infernale course poursuite, telle une traînée de poudre blanche et sablonneuse montant et descendant sans inlassablement les escaliers en furie. Lapin était redoutablement rapide mais Fely le talonnait. Malgré leur efforts, Sofia et Laurie ne parvinrent pas à les attraper, ces derniers gesticulant trop pour pouvoir être interceptés.

-Il va dévorer mon lapin ! paniqua Laurie, les mains plaquées sur ses joues.

-Ne dites pas de bêtises,  dit Sofia sur ton agacé tandis qu'elle essayait desespérement d"arrêter Fely. Les fennecs ne mangent pas les lapins.

Les couloirs s’emplirent des couinements de Lapin, des jappements de Fely et des petits cris aigus de panique poussées toutes les cinq secondes par Laurie, créant un vacarme assourdissant au sein de l’immeuble.

Une symphonie de claquements de portes contre les murs ainsi qu’un concert de pas martelant le sol résonnèrent alors en écho, se joignant à l’indicible chahut. Unes à unes, des têtes se penchèrent au-dessus des rambardes de l’immeuble afin de voir ce qui était à l’origine d’un tel tapage. 

-Non mais c’est quoi ce boucan ?

-Qui est-ce qui fait tout ce raffut ? 

-On peux plus faire la sieste tranquillement maintenant ?

A cet instant, les Wilkerson, une famille de résidents trempés jusqu’aux os, rentrèrent à l’intérieur de l’immeuble. Alors que ces derniers regagnaient le premier étage, les bras chargés de courses, Lapin et Fely dévalèrent les escaliers que les Wilkerson étaient en train de monter. Tandis que Mrs Wilkerson poussa un cri terrifié en se plaquant contre le mur avec ses deux jeunes enfants, Mr Wilkerson renversa par inadvertance leur sac d’emplettes. Ainsi, un pot de moutarde se brisa sur une des marches, plusieurs tomates déboulèrent le long des escaliers, finissant leur course contre le mur du hall et un morceau de bacon tomba par-dessus la rambarde. C’était l’apparition soudaine de cette viande qui eut pour effet de détourner l’attention de Fely. Le fennec sentant l’odeur de la viande s’empressa alors d’aller dévorer le morceau projeté en dehors du sac, ne s’intéressant plus à Lapin.

-Non mais je rêve ! pesta Mr. Wilkerson en se précipitant au bas des escaliers. Voilà qu’il va dévorer notre bacon ! Un bacon à un shilling !

Mr Wilkerson retira alors le bacon des dents de Fely tandis que Sofia accouru pour prendre son fennec dans ses bras. Puis, d’un geste menaçant, Mr Wilkerson tendit le morceau de viande vers Sofia.

-Regardez un peu ce qu’à fait votre renard Snow ! scanda-t-il en désignant du menton le désastre présent.

-C’est un fennec, pas un renard ! Et il ne l’a pas fait exprès ! Il voulait sûrement jouer avec le lapin, c’est tout.

-Qu’importe ! répondit Mr. Wilkerson. C’est comme la dernière fois où vous aviez amené cette saleté de chat qui avait cochonné tout le hall avec ses traces de boue ! Ou encore ce chien à trois pattes qui avait infesté tout l’immeuble d’une odeur putride. Et maintenant vous nous ramenez un un lapin ! Je vais finir par déménager dans la jungle, on y trouvera moins d’animaux que dans votre appartement ! 

-Ouais c’est vrai ça ! résonna une voix au troisième étage.

 -On en a marre de vos bestioles, Snow !

Des murmures de mécontentement remplirent alors les couloirs en signe d’approbation envers ce que venez de dire Mr Wilkerson. A cet instant, Sofia ressenti ce très désagréable sentiment d’être seule contre tous.

-J’en ai rien à faire de vos avis ! Je ne vais pas m’empêcher d’avoir des animaux de compagnie juste pour vous faire plaisir !

 -Je vous assure que s’il n’y avait pas votre cousin, qui est bien plus respectable et aimable que vous, croyez-bien que ça ferait un bail qu’on aurait tous exigez votre départ auprès de Mr Milny !

-Non mais vous vous prenez pour qui à exiger mon renvoi d’ici !

-Si vous ne voulez pas que ça se produise, alors renvoyer au moins cette misérable petite chose ! dit-il en désignant Fely d’un signe de tête.

Il n’en fallut pas plus à Sofia pour sortir de ses gonds.

-Je vous interdis de parler comme ça de mon fennec ! Ce n’est pas une misérable petite chose ! C’est mon animal et je l’aime !

A sa fureur vinrent s’ajouter des larmes mêlées de tristesse et d’indignation. Entendre un animal se faire insulter comme un déchet, qui plus est son fennec adoré, avait le don de la mettre dans tous ses états. La réaction de Sofia n’eut pour autre effet que de consterner les résidents ici présent.

-Non mais regardez-vous ! Vous êtes pitoyable ! Une vraie gamine ! Vous croyez vraiment que la place d’un animal sauvage se trouve dans un charmant petit panier près d’un feu de cheminé ? Non, la place d’un animal se trouve ici, dit-il en indiquant son sac. Dans nos sacs à provisions, dans nos assiettes ! Ils ont été posés sur terre pour servir notre appétit et pas pour tenir compagnie à une espèce d’enfant mal élevée !

Ne pouvant plus contrôler sa colère, Sofia arracha le morceau de bacon des mains de Mr Wilkerson et le lui jeta à la figure, le tout accompagné d’une injure si révoltante qu’il vaudrait mieux taire en ces lignes.

Puis Sofia descendit les marches dans une allure transpirant de fureur, serrant tendrement Fely dans ses bras, comme pour le protéger de toute la malveillance qui pullulait à son égard dans ces couloirs. Et tout cela au travers de commentaires qui lui arrivaient aux oreilles tels que « Cette fille est complètement folle. » « Quelle honte ! » « Jamais de ma vie je n’ai vu un comportement aussi indigne ! » « Nous irons nous plaindre à Mr Milny ! »

Tandis que tous les habitants regagnèrent leur appartement en claquant fermement les portes, Mr Wilkerson ramassa le contenu du pot de moutarde qui trônait dans un amas de poils, tout en marmonnant une injure qu’il faudrait également ne pas nommer. Puis Laurie descendit les marches afin de rattraper Sofia.

-Sofia, je suis vraiment vraiment vraiment vraiment désolée, dit-elle sur un ton exagérément confus tout en triturant ses mains. Pardonnez-moi…J’aurais dû fermer la porte de votre appartement avant d’aller voir Lapin. Je suis vraiment désolée…Tout ça, c’est de ma faute…S’il y a quoique ce soit que je puisse faire…N’importe quoi…Je…Je dois être une très mauvaise voisine, n’est-ce pas… ?

Alors que Sofia avait atteint le seuil de sa porte, elle se retourna et, toujours à bout de nerfs, adressa à Laurie un regard empli d’impatience. Elle puisait dans le peu de forces qu’elle avait encore pour ne pas abreuver Laurie de paroles discourtoises. Elle se contenta alors de répondre :

-Laurie, en règle générale, les bons voisins sont capables de s’apercevoir d’eux même quand leur voisin ne sont pas du tout en état de parler et qu’ils préfèrent être seuls.

Puis sur ces mots, Sofia referma la porte et se plaqua contre celle-ci.

En cet instant, son être était un mélange de colère, d’indignation et un profond sentiment d’injustice la submergea de la tête aux pieds. Tout ce festival d’émotions venait de la secouer intensément. Une immense boule prit sa gorge en otage. Puis elle plongea son visage dans la fourrure de Fely et fondit en larmes. Elle était complètement bouleversée. 

Depuis qu’elle avait appris la mort de son père, elle avait l’impression que les vannes étaient ouvertes et qu’un rien pouvait faire exploser ses canaux lacrymaux. Et là, l’un de ses plus gros points sensibles venant d’être touché, à savoir les animaux, cela ne pouvait avoir eu pour autre effet que de raviver inévitablement la rivière de larmes.

Depuis qu’elle était toute petite, Sofia avait toujours été très sensible à la cause animale. Elle aimait tellement les animaux qu’elle ne supportait pas qu’on les malmène, sous peine d’en devenir malade. Elle ne pouvait d’ailleurs s’empêcher de sermonner tous ceux qui agissaient mal envers eux, que ce soit en invectivant des enfants donnant des coups pieds à des pigeons, des cochers maltraitants leur chevaux ou encore des vieilles femmes criant à des chats des rues de déguerpir en leur jetant des pierres. Elle avait toujours été dans l’incapacité de rester silencieuse face à ces formes de cruauté. Et à chaque fois, son attitude lui avait toujours été reproché car, la personne qu’on avait blâmée n’avait jamais été celle qui avait brutalisé l’animal mais Sofia. Comme venait de le faire à l’instant Mr Wilkerson, on lui faisait toujours comprendre qu’il fallait être d’une bêtise sans nom pour se mettre dans un état pareil pour les animaux. Cela faisait des années que Sofia se sentait incomprise dans cette société pullulant de malveillance. Une société qui normalisait le non-respect des femmes ainsi que le non-respect des animaux. Elle se sentait en marge de cette société et ce sentiment d’incompréhension mêlée à une forme d’impuissance la rongeait douloureusement depuis toujours. C’était un mal que sa mère avait également porté toute sa vie.

Alors qu’elle hoquetait bruyamment contre le pelage de Fely, lequel était chagriné car il ressentait toute la tristesse de sa maîtresse, elle lui murmura.

-Ne les écoute pas. Ce sont tous des abrutis. Moi je t’aime.

Elle n’avait plus envie de sortir pour se rendre dans une librairie comme c’était prévu. Elle n’en avait pas le courage. Elle dirait à Aidan et Faye qu’elle n’avait rien trouvé et compta sur le fait que leurs recherches à eux auraient été plus fructueuses.

Sofia déposa délicatement son fennec au sol, se dirigea dans la cuisine et s’affaira à préparer du thé pour Aidan et Faye. Quelques minutes plus tard, la sonnerie retentit. 

Ils étaient déjà de retour ?

Sofia était tellement lasse par toutes ces vives émotions qu’elle ne prit même pas la peine de s’essuyer les yeux pour dissimuler les marques de son chagrin. Elle sortit de son appartement et ouvrit la porte de l’immeuble. Tandis que le bruit martelant de la pluie emplissait ses oreilles et que le froid transperçait ses vêtements, elle s’aperçut alors qu’il ne s’agissait ni d’Aidan ni de Faye mais de l’agent Jameson. 

Celui-ci était protégé par un parapluie noir malmené par le brutal déluge et des gouttes d’eau ruisselait le long de son casque.

-Oh, agent Jameson. Je…Je ne m’attendais pas à vous voir. Que faites-vous ici ?  

Le policier saisit alors son crayon et s’appliqua à couvrir le mieux possible la feuille de ses mains afin qu’elle ne soit pas trempée puis tendit le carnet à Sofia. Elle lut le message qui était maculé de traces de pluie.

 Excusez-moi de vous déranger Miss Snow. J’ai été envoyé par l’inspecteur Ascott car il m’a donné pour ordre de vous adresser un avertissement quant à votre « comportement inadmissible » et m’a chargé de vous faire part que la prochaine fois que vous réitériez ce « comportement », il vous placerait en garde à vue pour outrage à agent. Croyez-bien que je sois en désaccord avec cela »

En lisant ce message, la colère de Sofia à l’encontre d’Ascott s’intensifia. Non pour l’avertissement qu’il venait lui donnait par le biais de Jameson mais pour le traitement qu’il faisait subir à ce dernier. Elle avait l’impression qu’il se servait de Jameson pour lui refourguer les tâches les plus ingrates tel un larbin. C’était presque une reconstitution de lady Belling avec ses caméristes James et Stewart.

-Je vois…

Puis elle essuya d’un revers de manche les larmes qui avait perlé le long de sa joue.

-Vous devez me trouver très bizarre, suggéra Sofia, gênée. A chaque fois que nous nous voyons, je suis toujours soit très en colère, soit en train de pleurer.

Il écrivit à nouveau et tendit son carnet.

« Non, je ne pense pas cela du tout Miss Snow. Mais est-ce que ça va ? »

-Disons que j’ai connu des jours meilleurs, répondit-elle.

« Je suis certain que ça va s’arranger. » 

Sofia sourit. 

Elle s’aperçut que Jameson tremblait sur place. Il faut dire que la pluie était violente et le froid transperçant.

-Je viens de faire du thé. Voudriez-vous vous joindre à moi quelques instants ?

Surpris par cette demande à laquelle vraisemblablement, il ne s’attendait pas, Jameson, gêné, fit un signe de la main. Sofia comprit par là qu’il ne voulait pas la déranger.

-Au contraire, cela me ferait plaisir agent Jameson. Je vous en prie, rentrez-vous réchauffer un moment.

Flatté, il finit par accepter. Il s’extirpa alors du temps inamical et pénétra à l’intérieur de l’appartement de Sofia. D’un geste circulaire de l’index, il désigna l’ensemble de la pièce puis leva le pouce, comme pour dire « C’est très joli chez vous ! ».

Elle le remercia. Puis elle alla chercher une serviette qu’elle déposa sur le canapé afin que le ruissellement des vêtements de Jameson ne trempe pas les coussins. Puis elle se dirigea dans la cuisine et revint avec un plateau où y étaient disposés une théière, deux tasses en porcelaines d’où s’élevaient des volutes fumantes, quelques gâteaux et deux napperons en dentelles. Elle lui tendit une tasse et s’assit près de lui.

- « Merci beaucoup, c’est très gentil Miss Snow. C’est vous qui l’avez cousu ? », demanda-t-il en désignant la serviette où était brodée Refuge du cœur.

- Oh, oui, c’est une couette que j’ai cousu pour notre refuge.

- « Pour votre refuge » ?

-Oui. Mon cousin et moi avons toujours rêvé d’ouvrir un refuge pour animaux. En attendant d’en avoir un, j’ai cousu plusieurs couettes comme celle-ci.

- « C’est un projet très noble »

C’était l’une des rares fois où quelqu’un complimentait son initiative d’agir pour la cause animale. Cela remonta le moral de Sofia.

-Merci. Ce n’est pas ce que tout le monde pense. Mais bon au diable les mauvaises langues.

Alors qu’elle vit Jameson de nouveau sur le point d’écrire, elle lui dit :

-Je regrette de ne connaître aucun mot du langage des signes. J’aurais voulu éviter de vous faire écrire tout le temps.

Puis, comme s’il eût une illumination, Jameson déposa sa tasse sur le rebord de la petite table, griffonna à nouveau quelques mots sur son carnet et les tendit à Sofia.

« Voulez-vous que je vous en apprenne ? »

-Oh oui, avec plaisir, répondit-elle, enthousiaste.

A cette réponse, un grand sourit fleurit sur les traits de Jameson. A son tour, Sofia déposa sa tasse sur la table et réfléchit.

-Très bien. Commençons par les bases. Comment dit-t-on « Bonjour » ?

Jameson lui montra le geste et Sofia l’imita.

-Comment dit-t-on « S’il vous plaît » ?

Il lui montra à nouveau.

Puis elle lui demanda de lui apprendre les signes pour plusieurs choses, comme par exemple, « Comment allez-vous ? » « Quel beau temps aujourd’hui » « J’adore les animaux » « J’ai faim » ou encore « Allez-vous faire voir ». La dernière phrase fit particulièrement sourir Jameson.

-C’est parce que c’est une phrase que j’ai envie de prononcer au moins quinze fois par jour, dit Sofia. Quand on me dit par exemple « Conduisez-vous en lady » « Arrêtez de nous bassiner avec vos animaux » ou quand l’idiot qui me vend des journaux me harcèle pour que je lui en dise plus au sujet de Gene Merc…Euh…Enfin…peu importe au sujet de qui, dit-elle avec un léger rougissement.

Au fil des minutes, Sofia se sentit allégée de toutes les émotions qui l’avait étreinte dans la journée grâce à sa conversation emplie de légèreté avec Jameson. Elle découvrit que celui-ci avait même un certain sens de l’humour car, alors qu’elle lui demanda qu’elle était le signe pour « fennec », il ne le savait pas et donc fit une imitation de l’animal, ce qui arracha un rire à Sofia. Puis le regard de celle-ci se perdit hasardeusement sur la pendule du living où il était indiquée quatre heures de l’après-midi !

-Oh Agent Jameson ! Je suis navrée, je n’ai pas vu l’heure passer ! Cela fait plus d’une heure que je vous retiens ! J’espère que je ne vous aurais pas retardé dans votre travail.

Il répondit par un dodelinement de la tête.

Jameson rassembla alors ses affaires et se dirigea vers la porte, accompagnée de Sofia, sans se rendre compte qu’il venait d’oublier quelque chose d’important sur le canapé.

-Merci beaucoup pour ce moment Alexander. Oh, navré, je voulais dire agent Jameson.

Ce dernier sourit. Il écrivit à nouveau sur son carnet. 

 « Vous pouvez m’appeler Alexander. C’est moi qui vous remercie pour ce moment Miss Snow. J’ai été enchanté de vous revoir. J’espère que cela ne sera pas la dernière fois »
 

Puis il descendit les marches du perron sous la pluie battante.

-Oh, et vous pouvez m’appeler Sofia aussi, lui dit-elle

Mais elle se rendit compte maintenant qu’il n’avait rien du entendre.

   Une heure plus tard, Aidan et Faye rentrèrent, trempés jusqu’aux os. Tous deux déchaussèrent leurs bottes imbibées d’eau puis s’assirent sur le canapé du living. Tandis qu’ils se séchaient avec une serviette en lin, Sofia leur apprit qu’Ascott avait fait mander Jameson pour lui donner un avertissement. Néanmoins, elle garda pour elle le moment qu’elle avait partagé avec l’agent de police. Elle n’avait rien à cacher. C’est juste que parfois, il y avait des beaux moments qu’on préférait garder pour soi. 
   Puis Sofia leur demanda s’ils avaient trouvé des livres sur des jeux de cartes. Aidan et Faye hochèrent la tête. Faye avait trouvé quatre livres et Aidan sept. Tous trois prirent une chaise pour s’installer devant la table du living, allumèrent la lampe à gaz et commencèrent sans plus tarder à étudier les livres. Et tout ça, sans remarquer ce qu’avait oublié l’agent Jameson sur le canapé.

 

*

Sur la scène du Royal Opera House, l'orchestre entama les premières notes de l'ouverture de La Flûte Enchantée de Mozart.  

Beethoven fut à nouveau transporté par l'aura magnétisante intrinsèque à l'univers de l'opéra. Ces moments-là étaient si divin qu'il jurerait que sa raison finirait un jour par se perdre dans cette océan d'émotions.

 Après près de trois heures de magie, les ténors unissent leur voix dans un final éblouissant. La salle croula sous les applaudissement galvanisés, les sifflements appréciateurs fusèrent et les cantatrices ramassèrent sur le plancher les roses que les spectateurs conquis lançaient à foison.

Lorsque Beethoven sortit du Royal Opera House, il retrouva alors les ruelles sombres et pavées du Londres vespéral. Plus de musique, plus de mezzo-soprano à la voix d'or, plus d'aura envoûtante, plus d'émotions sensationnelles. L'univers majestueux de l'opéra avait cédé sa place à celui de ce monde pathétique où ne dominait que vide, noirceur et insipidité. Il détestait toujours cette transition brutale.

Et tandis qu'il progressait dans les venelles lugubres, Beethoven songea à la mise en place du stratagème qu'il avait fomenté. Stratagème qui incluait la prochaine victime de son plan diabolique.

 


 

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